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Discours apocalyptiques et information scientifique

Publié en ligne le 23 avril 2020 - Science et décision -

À 1,5 degré de plus, la moitié de l’humanité va mourir » prédit la romancière Fred Vargas (France Info, 10 mai 2019) ;  « Il ne resterait que dix-huit mois pour sauver la planète » affirment plusieurs médias (Cnews, 29 juillet 2019, Ouest-France, 28 juillet 2019) ;  « Aujourd’hui, un effondrement majeur des sociétés industrielles, […] c’est très probable avant 2020, et sûr avant 2030 » annonce Pablo Servigne [1], auteur avec Raphaël Stevens d’un best-seller intitulé Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (éditions du Seuil, 2015). Un appel signé de 200 personnalités principalement issues du monde des arts et du spectacle annonce qu’ « au rythme actuel, dans quelques décennies, il ne restera presque plus rien. Les humains et la plupart des espèces vivantes sont en situation critique » [2]. Le très médiatique astrophysicien Aurélien Barreau l’affirme également :  « Nous sommes en train de mettre en place le crash du système planète terre […]. Je n’ai plus peur de parler de fin du monde » [3]. Yves Cochet, ancien ministre de l’Environnement, se prépare activement à cette situation où, selon lui, en 2050  « l’humanité n’existera plus en tant qu’espèce » : il a acquis une longère près de Rennes lui assurant un accès autonome à l’eau, trois hectares de forêt pour disposer  « du bois pour se chauffer » et suffisamment éloignée de la ville  « parce que les citadins iront saccager ce qu’il y a autour », ainsi que des chevaux  « pour la traction animale [car] en 2035, il n’y aura plus de pétrole » [4].

Le dernier jour de Pompéi, Karl Bryullov (1799-1852)

Les discours apocalyptiques se multiplient dans les médias et la fin du monde serait donc pour demain. Bien entendu, personne ne peut « connaître avec certitude ce que va être le futur. Devins et astrologues ont eux-mêmes souvent su rester prudents et ont évité de s’hasarder à des prédictions trop précises. Mais depuis l’époque où les « arts divinatoires » étaient l’unique recours possible pour les dirigeants souhaitant savoir de quoi demain sera fait, la science moderne s’est développée. La compréhension des phénomènes naturels et les connaissances en physique, en chimie et en biologie permettent de se projeter dans le futur avec une plus grande fiabilité.

Ce que la science dit…

Ainsi, depuis plusieurs décennies, les scientifiques ont mis en évidence un réchauffement climatique de notre planète et démontré la responsabilité des activités humaines dans ce processus. Leurs conclusions s’appuient sur une analyse des processus physiques sous-jacents et sur des données d’observation de plus en plus précises. Des simulations informatiques permettent d’anticiper des scénarios d’évolution. À partir de l’examen de l’ensemble de la littérature scientifique telle que régulièrement compilée par le GIEC, un large consensus s’est établi. Ces conclusions peuvent être consultées [5]. Le lecteur curieux n’y trouvera nulle part corroboration des visions apocalyptiques de fin du monde. Ceci d’autant plus que la science peut éclairer le futur, mais elle ne peut pas le prédire dès lors qu’il dépend en grande partie de décisions humaines (qu’elles soient de nature technologiques, sociétales, réglementaires, ou comportementales).

 « On sait ce qu’il faut faire, il n’y a plus qu’à le décider » entend-on souvent dire, ce ne serait  « qu’une question de courage politique ». Certains prétendent que leur programme politique découle logiquement des constats scientifiques du GIEC et que les débats sur le nucléaire, les OGM, les énergies intermittentes (éolien, solaire), les pratiques agricoles, le recours aux pesticides, les comportements alimentaires, la démographie ou la « nécessaire décroissance » seraient tranchés sur des bases scientifiques. Il n’en est rien, bien entendu.

La science est un formidable instrument : elle permet de comprendre ce qui est, condition indispensable à une action efficace et raisonnée.

Si elle ne prescrit rien, elle permet cependant le développement de technologies que la société pourra choisir de mettre en œuvre, et selon les modalités qu’elle souhaitera retenir. Ses applications ont ainsi permis de nourrir – avec, certes, de grandes inégalités – une population passée de moins de deux milliards de personnes au début du XXe siècle à près de huit milliards aujourd’hui ; elles ont contribué à l’allongement de l’espérance de vie dans la quasi-totalité des pays et ont aidé à l’amélioration des conditions d’existence.

… et ce qu’elle ne dit pas

Ce que la science ne dit pas, et ce n’est pas son rôle, c’est ce que doivent faire nos sociétés et ce que doit être la hiérarchie des priorités : en effet, elle ne peut pas prétendre apporter une vision complète de l’ensemble des dimensions économiques, sociales ou sociétales qui composent la réalité d’une situation. Par exemple, sur le climat, la « simple » question de l’importance relative des actions à entreprendre pour limiter la hausse des températures et de celles qui permettront aux populations les plus exposées de s’adapter ne relève pas de la seule logique scientifique. Cette frontière épistémique est malheureusement trop souvent oubliée.

La peur est-elle bonne conseillère ?

La jeune Greta Thunberg, intervenant au forum économique de Davos en janvier 2019, exhorte les responsables d’entreprise et les dirigeants politiques présents :  « Je ne veux pas que vous soyez désespérés, je veux que vous paniquiez […], je veux que vous ressentiez la peur qui m’habite chaque jour et que vous agissiez, comme s’il y avait le feu, parce que c’est le cas » [6]. Paradoxalement, comme le souligne Gérald Bronner,  «  le discours alarmiste explique en partie l’insuccès de ceux qui veulent alerter ». Pour le sociologue, nous sommes écrasés par les alertes, avec pour conséquence,  « malgré le danger environnemental bien réel, une forme d’apathie [qui] gagne les populations ». Il poursuit en constatant que  « nous sommes saturés d’offres de peur » et qu’en réaction  « des individus radicalisent leur discours » avec le risque de discréditer le récit écologique :  « la peur peut être bénéfique quand elle correspond au consensus scientifique. Hélas, l’émotion n’est pas toujours alignée avec la science » [7]. Ajoutons qu’un discours de peur étouffe toute possibilité de débat de fond sur les solutions à mettre en place. Contester le bienfondé d’un programme asséné au nom d’un avenir apocalyptique est très vite dénoncé comme prétexte pour nier la réalité du problème et l’ « urgence à agir » dans le sens préconisé.

Information scientifique et transparence des décisions

Vanité, nature morte au globe terrestre,Frans Luycx (1604-1668)

Il se pourrait, à l’inverse, que l’information scientifique, la pédagogie et l’explication soient plus productives, que ce soit pour sensibiliser les citoyens ou justifier des actions politiques. La récente décision (juillet 2019) de déremboursement de l’homéopathie a mis en avant l’expertise de la Haute autorité de santé. Celle relative aux vaccinations obligatoires (prise en décembre 2017) s’est également appuyée sur l’expertise en la matière. Dans les deux cas, il s’agit de décisions d’ordre politique, mais qui ont clairement explicité l’état des connaissances pris en compte et la logique de la décision au regard de l’objectif affiché. Nous sommes loin de cette situation en ce qui concerne la transition énergétique avec, par exemple, la priorité affichée pour une réduction des émissions de CO2 et la fermeture annoncée de moyens de production d’électricité peu émetteurs (les centrales nucléaires), ou, dans le domaine de l’agriculture, avec des avis d’agences sanitaires souvent occultés.

D’une façon plus générale, il serait souhaitable que toutes les décisions politiques, dès lors que la science ou la technologie sont invoquées, fassent l’objet de la plus grande transparence sur les données probantes qui ont été considérées 1 [8]. Non parce que ces données déterminent la décision (ce n’est pas le cas, de nombreuses autres dimensions sont à considérer, qu’elles soient politiques, économiques, sociales ou éthiques), mais parce qu’elles contribuent à en préciser l’enjeu et permettent aux citoyens de mieux comprendre les motivations d’une politique et de décider s’ils y adhèrent.

Références

1 | Servigne P, « L’effondrement avant 2020 ? », entretien, 15 avril 2019. Sur YouTube.
2 | « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité » : l’appel de 200 personnalités pour sauver la planète, 3 septembre 2018. Sur lemonde.fr
3 |Intervention d’Aurélien Barreau au festival Climax, septembre 2018. Sur positivr.fr
4 | « Yves Cochet : “L’humanité pourrait avoir disparu en 2050” », Le Parisien, 7 juin 2019.
5 | Site GIEC, ipcc.ch
6 | « “Je veux que vous paniquiez” : Le discours poignant de Greta Thunberg à Davos », Paris Match, 25 janvier 2019. Sur parismatch.be
7 | « Climat, gluten, ondes, vaccins... Nous sommes saturés d’offres de peur », entretien avec Gérald Bronner, L’opinion, 24 juillet 2019. Sur lopinion.fr

1 C’est l’objet de la campagne Transparency of evidence, initiée en 2016 par l’association Sense about science au Royaume-Uni (senseaboutscience.org), en partenariat avec l’Alliance for useful evidence et l’Institute for Government.

Publié dans le n° 330 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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