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Débat. Lutte anti-OGM : anticapitalisme ou technophobie ?

Publié en ligne le 3 octobre 2007 - OGM et biotechnologies -
Deux points de vue ont été publié dans le numéro 279 de Science et pseudo-sciences (hors-série sur les OGM, octobre 2007).
« Lutte anti-OGM : anticapitalisme ou technophobie ? », Yann Kindo (article ci-dessous).
« Faut-il être libéral pour être pro-OGM ? » par Jean-Paul Oury.

Il existe en France (et ailleurs) une opposition systématique et d’ordre politique à la culture de plantes transgéniques. Elle est à juste titre identifiée à la mouvance dite « altermondialiste », dont l’auteur de ces lignes se revendique au moins partiellement. Dans ce milieu spécifique, l’opposition aux OGM joue souvent un rôle politique structurant et relève de l’évidence, presque de l’identitaire. Le choix du refus semble aller de soi sur la base d’une accumulation d’arguments d’ordre sanitaire, écologique, philosophique ou économique. Pris en un tout, une telle accumulation apparaît convaincante. Je conteste néanmoins ce semblant d’évidence.

Les arguments d’ordre sanitaire

C’est cet argument qui l’emporte probablement dans l’opinion publique, parfois persuadée – à tort – de courir de plus en plus de risques en s’alimentant, du fait de « toutes ces saloperies chimiques et OGM qu’ils nous font avaler ». Les OGM, réduits ainsi aux plantes transgéniques, relèvent dans cette optique d’une forme de « malbouffe » particulièrement inquiétante, car nouvelle et méconnue. Pourtant, pour être le plus répandu, cet argument est aussi le plus faible de tous, car le moins étayé par des preuves. Ainsi, aucune étude reconnue par des autorités scientifiques compétentes n’a, à ma connaissance, jamais mis en évidence un risque de cet ordre pour un OGM mis en culture. Beaucoup d’altermondialistes le reconnaissent, expliquant que là n’est pas le principal problème, qui est plutôt d’ordre économique et écologique. Pourquoi alors surfer sur des peurs que l’on admet parfois infondées et sur le sentiment régressif que l’alimentation, « c’était mieux avant » ?

Les arguments d’ordre écologique

Ces arguments renvoient à des phénomènes peut être plus difficiles à évaluer que les risques d’ordre sanitaire. Ils perdent néanmoins du poids au fur et à mesure que le temps passe et que les cultures OGM se répandent : depuis 1996, la mise en culture en plein champ d’OGM s’est considérablement accrue, pour atteindre 102 millions d’hectares aujourd’hui, dont près de la moitié pour les seuls États-Unis (qui, bizarrement, saccageraient ainsi leur propre environnement au lieu de simplement aller « polluer » celui des pays pauvres, comme ils pourraient le faire). Or, à ce jour, si l’on exclut l’hypothèse selon laquelle une gigantesque conspiration cache la vérité sur les dégâts des OGM, aucune catastrophe sanitaire ni écologique ne pointe le bout de son nez. À quel seuil les anti-OGM considéreront-ils que la pratique a tranché ? Des millions d’hectares sur une décennie ne sont-ils pas un ordre de grandeur significatif pour commencer à se faire une opinion ?

Les arguments d’ordre philosophique

« Êtes-vous en mesure, d’assurer, de prouver que l’utilisation d’OGM en milieu ouvert n’a pas, n’aura jamais de conséquences négatives sur la santé humaine ? ». Cet argument peut sembler de bon sens mais il est tautologique et stérile : nul ne peut prouver qu’à l’avenir on ne va pas découvrir quelque chose que l’on ignore aujourd’hui, car personne n’a le don de prémonition. La recherche a des normes différentes de la voyance... Il me semble donc, que pour les OGM comme pour toute nouvelle invention, il faut se poser très classiquement la question en termes de comparaison entre les bénéfices attendus et les risques estimés, et le faire en endossant évidemment le point de vue du consommateur et du citoyen (et pas de Monsanto), au regard des besoins alimentaires et des équilibres écologiques tels que nous souhaitons les préserver.

Les arguments d’ordre économique

« De toutes façons, à qui profitent les OGM, sinon aux grands semenciers ? ». Dire que le capitalisme repose sur le recherche du profit et que ce moteur-là entre en contradiction frontale avec les aspirations écologiques et sociales est une chose. Dire que les marchandises vendues par les capitalistes n’ont aucune utilité sociale en est une autre, qui relève de l’idéologie de la Décroissance et non, par exemple, de l’analyse marxiste. Comment imaginer que des technologies qui n’offrent aucun avantage hormis à celui qui les vend trouvent preneurs sur un marché, même faussé par des logiques monopolistiques ? Il faut également découpler la question de la production d’OGM de celle du brevetage du vivant : on peut très bien être favorable à l’une et opposée à l’autre, de la même manière qu’on peut être favorable à la production de médicaments efficaces et être opposé au système des brevets qui empêche la copie des molécules et la diffusion de ces médicaments à bas prix.

Au total, une accumulation d’arguments boiteux ne produit pas une évidence solide, mais débouche sur un édifice conceptuel plutôt fragile, et peu pertinent politiquement. La critique du capitalisme et la recherche d’une alternative sociale et écologique n’ont rien à gagner de la disqualification quasi-principielle des OGM, et devrait peut-être plutôt poser les problèmes comme elle le fait pour les laboratoires pharmaceutiques : ce qui est produit est globalement utile à la société, mais celle-ci gagnerait à un contrôle public accru, pour éviter les fraudes et orienter la recherche vers des besoins fondamentaux, même s’ils ne sont pas « rentables » d’un point de vue marchand. On pourrait ainsi mettre les biotechnologies au service de la nécessaire « Révolution Doublement Verte », celle d’une agriculture qui devra nourrir les 9 milliards d’habitants attendus pour ce siècle tout en préservant les équilibres écologiques menacés. Ainsi veillera-t-on à ne pas confondre critique d’un système économique et critique de la technologie.