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Covid-19 : entre science et politique, quelle confiance ?

Publié en ligne le 17 janvier 2021 - Covid-19 -
Introduction du dossier de Science et pseudo-sciences n°335


Science, confiance et politique sont les trois dimensions d’un espace aux interactions complexes. La confiance est nécessaire pour la mise en œuvre des politiques de santé publique et de gestion de crise, mais le degré de confiance dont jouissent les décideurs est en général très relatif. La science bénéficie d’une bien meilleure image qu’elle tire des vérités qu’elle arrive ainsi à établir, de sa méthode d’investigation et de la neutralité de ses conclusions. Son pouvoir se limite à dire ce qui est et à éclairer les possibles décisions. Le mélange des genres a souvent conduit à brouiller de nombreux débats et à décrédibiliser tant l’expertise que la décision (voir l’entretien avec Étienne Klein, « La Covid, la science, les controverses et nous ».

Crispin et Scapin,
Honoré Daumier (1808-1879)

Un an après le début de la pandémie de Covid-19, des vaccins commencent à être disponibles. Leur mise au point représente une prouesse technologique rendue possible grâce à des collaborations internationales et au partage d’informations scientifiques. La disponibilité de ces vaccins suscite l’espoir et rappelle aussi que la science peut également apporter une contribution fondamentale pour aider à résoudre des problèmes majeurs de nos sociétés. Pourtant, selon un récent sondage, quatre Français sur dix déclarent ne pas avoir du tout l’intention de se faire vacciner et quatre sur dix également préfèrent attendre avant de se décider [1]. Cette défiance n’est pas nouvelle et s’explique en partie par différents facteurs tels que la crainte d’effets indésirables, la méfiance envers l’industrie pharmaceutique, le naturel perçu comme bon par opposition à l’« artificiel », le tout sur fond de campagnes d’opposants à la vaccination (voir par exemple [2]).

Il serait toutefois réducteur de ne voir dans ce scepticisme que le produit d’une désinformation organisée. Certes, les théories complotistes sont bien présentes et parfois relayées dans de grands médias (voir l’article « L’arbre du complotisme et la forêt de la désinformation » de Jean-Paul Krivine). Ainsi, le Pr Perronne (dont nous avions déjà rendu compte des graves dérapages [3]) déclarait-il sur France 3 le 18 octobre 2020 que les mesures de gestion de crise relèvent d’une « instrumentalisation de la peur » pour permettre « l’arrivée du vaccin qui ne va servir à rien » et que si des malades gardent des séquelles, « c’est parce qu’ils n’ont pas été traités par l’hydroxychloroquine » [4]. Le Pr Raoult, de son côté, se demandait (Ouest-France, 19 août 2020) « qui va vouloir se faire vacciner pour un truc qui ne tue pas » [5].

La compétition est vive entre des entreprises pharmaceutiques qui espèrent toutes être la première à déployer leur solution. Les délais raccourcis et les annonces marketing suscitent interrogations et suspicions. La sécurité est-elle bien analysée ? L’efficacité n’est-elle pas intentionnellement surestimée ? La communication institutionnelle des laboratoires pharmaceutiques provoque parfois doute ou suspicion au regard des éléments financiers en jeu. Pour promouvoir le remdesivir, molécule qui a, un temps, suscité des espoirs, le laboratoire Gilead n’a-t-il pas tenté de décrédibiliser les essais conduits par l’OMS qui concluaient à l’absence d’intérêt thérapeutique contre la Covid-19 [6] (sur le remdesivir, voir l’article « Le remdesivir dans le traitement de la Covid-19 : état des connaissances » de Yousra Kherabi et Nathan Peiffer-Smadja) ?

La Guérison de Tobie,
Mathias Stomer (c.1590-ap.1650)

Que faut-il croire ? À qui faut-il accorder sa confiance ? Car c’est bien de confiance qu’il s’agit : pour le public, il est impossible de comprendre et synthétiser directement la littérature scientifique. L’évaluation du risque, dans de très nombreux pays, repose sur le travail d’agences de sécurité sanitaire. Elles ont accès, de façon confidentielle, aux données brutes transmises par les entreprises du médicament. La question n’est donc pas de seulement de « faire confiance aux industriels de la pharmacie » (pour la sincérité des données transmises aux agences), mais surtout d’accorder – ou non – sa confiance aux agences d’évaluation des risques (en particulier sur leur aptitude à évaluer la qualité et l’exhaustivité des données qui leur sont transmises). On pourrait certes préférer une mise à disposition publique de toutes ces données. Et le fonctionnement des agences n’est pas toujours irréprochable (voir par exemple [7, 8]). Mais malgré leurs imperfections, leur travail d’évaluation est sans doute la meilleure boussole dont nous disposons à ce jour. À moins d’imaginer un complot généralisé où tous les experts et toutes les agences du monde seraient impliqués, les avis rendus publics, quand ils sont cohérents entre eux, sont de bien meilleure valeur que les analyses partisanes ou les prétendues expertises indépendantes.

Le recul du temps permettra de mesurer la qualité et la durée de la protection accordée par chacun des types de vaccins selon la population ciblée. Les rapports d’évaluation des agences et les publications dans des revues évaluées par les pairs apporteront progressivement plus de transparence 1. La pharmacovigilance permettra d’identifier plus précisément les effets secondaires.

La précaution, ce n’est pas « ne rien faire » tant que l’on ne dispose pas d’une certitude absolue (qui n’existe jamais en science), mais d’examiner à chaque instant le rapport entre les bénéfices et les risques (des actions envisagées, comme de l’inaction). Les conséquences sanitaires et économiques de la pandémie sont gigantesques. On les constate, même s’il existe encore de grandes incertitudes sur leur étendue à plus long terme. Les bénéfices attendus de la vaccination peuvent être évalués, même s’ils demandent à être confirmés précisément. Ils portent sur la protection sanitaire, mais aussi indirectement sur la situation économique et sociale induite par la pandémie.

Les autorisations de mise sur le marché se feront au regard d’effets secondaires limités (avec plusieurs mois de recul, il est raisonnable de penser que les effets graves seront extrêmement rares).

Mais individuellement, nous sommes bien mal armés pour procéder à cette évaluation : « Les récits qui attireront l’attention du public sur les coûts plutôt que les bénéfices d’un phénomène, ou qui proposeront une narration fondée sur l’heuristique de la peur, pourront bénéficier de notre inaptitude partagée à concevoir raisonnablement le risque » [9]. Et la peur est souvent aggravée par l’ignorance. Bien peu de gens savent comment fonctionne notre système immunitaire, comment agit un vaccin, ce qu’est la nouvelle technologie ARN et pourquoi la crainte qu’ils induisent une modification de notre patrimoine génétique n’a pas de fondement scientifique, comment un vaccin est évalué, validé, autorisé à la commercialisation… Si toutes les interrogations soulevées par la perspective de la vaccination sont légitimes, l’information scientifique (c’est-à-dire les réponses à ces interrogations) est une autre nécessité pour permettre la confiance.

En France, comme dans de nombreux pays, les autorités politiques ont fait le choix d’une vaccination non obligatoire. À chacun, donc, de prendre sa décision avec l’aide des informations disponibles et les conseils de son médecin. Il importe de le faire en étant le mieux informé possible.

De ce point de vue, la transparence promise sur les résultats des essais cliniques sera un élément majeur. Mais cet exercice de transparence est très délicat à mener dans un contexte de polarisation et de cristallisation des débats. Comme le souligne Aurélie Haroche, rédactrice en chef au JIM.fr [10] : « C’est la question cruciale de la façon dont on lutte contre la délétère défiance et réticence vaccinale qui se joue. » Et elle soulève une question importante : quelle place médiatique accorder aux interrogations des experts ? « Faut-il croire que l’expression du doute est dangereuse alors que sans cesse sont vantés les mérites de la transparence ? Faut-il réserver la parole des experts à des publics sélectionnés pour éviter des emballements dommageables ou au contraire rappeler que la pluralité est indispensable pour l’exercice du libre choix et du choix
éclairé ? La nuance et le doute doivent-ils être bannis pour parer à tout effet contre-productif ? Enfin que penser de l’influence de ces querelles sur l’opinion ? »
Le pari de la vérité contre la désinformation, de la raison contre le complotisme est souhaitable, mais en ayant conscience que la lutte est difficile.

Science, confiance et politique sont des ingrédients majeurs de la crise que nous traversons. Les vaccins n’en sont pas la seule illustration. Le mode de propagation du virus (aérosols, gouttelettes) a été l’une des questions sous-jacentes à la controverse autour des masques (voir l’article « Covid-19 : une transmission par aérosols ? » d’Yves Brunet et Gaëlle Uzu). Les dispositifs d’accompagnement à domicile des patients diagnostiqués, avec les craintes sur les libertés individuelles, a également été un autre objet de questionnement (voir l’analyse du livre La Vague de Renaud Piarroux).

Bien qu’indispensable (et notre revue y apporte sa contribution), l’information scientifique ne lutte pas à armes égales contre la peur, la désinformation ou l’insinuation. On peut raisonnablement espérer qu’à terme, elle l’emportera.

Références

1 | « Les Français et la vaccination contre le Covid-19 », sondage réalisé par BVA pour Europe 1, 23 novembre 2020. Sur bva-group.com
2 | Raude J, « Vaccination : une hésitation française », The Conversation, 2 décembre 2020. Sur theconversation.com
3 | « Covid-19 : l’Afis condamne les graves dérapages du Pr Perronne relayés par plusieurs grands médias », 22 juin 2020. Sur afis.org
4 | Perronne C, lors de l’émission « Dimanche en politique » sur France 3, 18 octobre 2020. Sur planete360.fr
5 | « Masque, vaccin, hydroxychloroquine : ce qu’il faut retenir de la rentrée médiatique de Didier Raoult », Ouest France, 19 août 2020. Sur ouest-france.fr
6 | “Gilead Sciences Statement on the Solidarity Trial”, communiqué de presse de Gilead, 15 octobre 2020. Sur gilead.com
7 | Krivine JP, « Mediator : l’expertise publique fragilisée », Science et pseudo-sciences n° 295, avril 2011.
8 | Hill C, « Dépakine et Mediator : repensons la pharmacovigilance », Science et pseudo-sciences n° 318, octobre 2016.
9 | Bronner G, La Planète des hommes, réenchanter le risque, PUF, 2014.
10 | Haroche A, « Vaccin : un professeur de médecine devrait-il dire ça ? », jim.fr, 12 décembre 2020.

1 Les communiqués de presse devancent parfois les publications dans des revues scientifiques. Ils créent alors un état de fait où les experts non impliqués dans le développement ou l’évaluation du vaccin ne disposent d’aucun des éléments scientifiques leur permettant de formuler des commentaires éclairés. Ils ne peuvent donc faire part que de leurs interrogations et transmettre ainsi leurs doutes à ceux qui les écoutent. Communiquer avant publication n’est pas sans risque en termes de confiance, car il est déjà arrivé qu’une annonce faite précipitamment soit retirée dans un second temps.