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Chroniques de l’espace

Publié en ligne le 19 novembre 2019
Chroniques de l’espace
Jean-Pierre Luminet
Cherche Midi et France Inter, 176 pages, 2019, 14,80 €

Les auditeurs de France Inter se souviendront certainement de l’été 2019. Cette station de radio, bien que généraliste, avait commandé à Jean-Pierre Luminet quarante émissions scientifiques de haut niveau, d’environ cinq minutes chacune 1. Toujours disponibles en podcast 2, elles viennent de paraître sous le titre Chroniques de l’espace. Son auteur, directeur de recherche au CNRS et spécialiste reconnu des trous noirs, est romancier, poète et vulgarisateur hors-pair : plusieurs de ses ouvrages ont été commentés dans nos colonnes.

D’après lui, « ce n’est pas 40 chroniques mais 400 qu’il me faudrait pour retracer l’épopée de l’exploration spatiale dans toute son ampleur ». France Inter l’avait chargé en effet de « décrire les étapes de ce qu’il est convenu d’appeler la “conquête spatiale”, qui a culminé avec l’envoi d’êtres humains sur la Lune. » Or, dit-il, « je suis astrophysicien et non pas astronaute. Ce qui me passionne par-dessus tout, c’est d’essayer de comprendre les mystères de l’Univers, […] de raconter ce que l’exploration spatiale, à travers ses sondes et ses télescopes, a apporté à la connaissance du cosmos qui nous héberge. Ce faisant, je vais devoir faire l’impasse sur des sujets aussi intéressants que la vie à bord des stations spatiales ou encore le programme spatial français. » (p. 73)

Dans les premiers chapitres nommés « Utopies Célestes » et « La conquête imaginaire de l’espace », Jean-Pierre Luminet nous apprend que des voyages fantastiques vers notre satellite avaient déjà été imaginés par Lucien de Samosate (IIe siècle), Giordano Bruno (1548-1600), Johannes Kepler (1571-1630), Cyrano de Bergerac (1619-1655)… Cependant, il va accorder à juste titre une place particulière de visionnaires à Jules Verne (1828-1905), Herbert George Wells (1866-1946), Georges Méliès (1861-1938), Fritz Lang (1890-1976)… dont les romans et les films de science-fiction vont fasciner les grands noms de la conquête spatiale : Constantin Tsiolkovski (1857-1935) ; Sergueï Korolev (1907-1966) ; Wernher von Braun (1912-1977) ; Hermann Oberth (1894-1989), etc.

Très opportunément, Jean-Pierre Luminet présente la conquête de l’espace comme « une conséquence d’un terrible conflit politique entre les États-Unis et l’Union soviétique » et prétend qu’« elle aurait probablement été remplacée par une guerre nucléaire si les deux superpuissances n’avaient pas trouvé l’arène spatiale pour croiser symboliquement le fer. » (p. 23) Il est vrai que ces deux superpuissances et leurs alliés respectifs ont rivalisé dans la course aux armements nucléaires 3, durant la période de la guerre froide, tout en s’affrontant sur les terrains de l’économie, de la culture, de la science et du sport ; et, en l’occurrence, en ce qui nous concerne, de la conquête spatiale.

Ce sont les Soviétiques qui remportent la première manche lorsqu’ils mettent en orbite le 4 octobre 1957 Spoutnik 1, suivi un mois plus tard de Spoutnik 2 avec la chienne Laïka à bord. Ces exploits deviennent un véritable camouflet pour les États-Unis lorsque Iouri Gagarine exécute une révolution complète autour de la Terre à bord de la Vostok, et est récupéré sain et sauf sur le territoire de l’URSS. Piqué au vif, le directeur de la Nasa, Wernher Von Braun, déclare : « Pour rester au niveau, les États-Unis doivent courir comme un diable. » (p. 29) Voilà pourquoi le jeune président américain, John F. Kennedy, déclare dans son fameux discours de Houston, le 25 mai 1962 : « Nous choisissons d’aller sur la Lune ! » Le coup d’envoi du programme Apollo est ainsi donné. Après maintes péripéties, le vaisseau numéro 11 de ce projet va réaliser enfin cet exploit : le 21 juillet 1969, Neil Armstrong et Buzz Aldrin seront les premiers à fouler le sol de notre satellite, scellant ainsi la victoire américaine.

De même que ces émissions de France Inter pouvaient s’entendre séparément, les Chroniques de l’espace se lisent dans n’importe quel ordre. Les premières pages suivent plus ou moins la chronologie, mais la plupart ciblent des thèmes spécifiques comme « Le mal de l’espace », « Femmes en orbite », « Le vaisseau Terre », « Les trous noirs », le « Big Bang »… Elles fourmillent d’anecdotes piquantes, comme celle de Svetlana : embarquée avec quatre hommes, elle tente de concevoir « le premier enfant de l’espace » ! Si l’expérience n’a pas été concluante, elle déclarera s’être « bien amusée » pendant le vol (p. 70) 4. Le livre n’oublie pas d’évoquer les convoitises des entreprises privées, tant celles du tourisme pour multimillionnaires que celles de l’exploitation minière. Barak Obama n’a-t-il pas autorisé en 2015 les firmes américaines à posséder et à vendre des ressources de l’espace, en flagrante violation d’un traité de l’ONU de 1967 ? (p. 103)

Un regret : l’absence d’index. Ceci est indispensable dans un livre qui regorge d’informations. Mais pourquoi donc certains éditeurs doivent-ils faire des économies de bouts de chandelles ?

Ce livre d’un remarquable vulgarisateur ne requiert aucune connaissance préalable. Jean-Pierre Luminet domine incontestablement son sujet et, de plus, il trouve les formulations simples pour rendre faciles des notions compliquées. Son ouvrage, qui s’adresse à un public avide d’informations de qualité, se lit si facilement qu’une fois ouvert il est difficile de le refermer.

1 De sa voix chaude et plaisante à l’antenne, Jean-Pierre Luminet nous avait fait une fabuleuse histoire. Il avait déroulé par le menu de très savoureuses anecdotes d’une période héroïque, peuplée aussi bien de savants géniaux que d’hommes et de femmes intrépides qui avaient bravé le danger, y laissant parfois leur vie. Il nous avait égrené des noms de satellites, de fusées, de navettes spatiales, de stations orbitales : Spoutnik, Pionner, Lunik, Apollo, Columbia, Discovery, Challenger, Atlantis, Endeavour, Dawn, Hayabusa, Bourane, Mir, la Station spatiale internationale, les télescopes Hubble et Chandra. Et il nous a parlé de galaxies, de vie extraterrestre, de vitesses cosmiques, etc.

3 Il faut d’ailleurs noter que les premiers lanceurs, aussi bien américains que russes, sont issus de la technologie des missiles développée par le régime nazi (V2).

4 Cette anecdote a toutefois été remise en cause, comme le signale la chaîne AstronoGeek https://www.youtube.com/watch?v=vzA....

Publié dans le n° 331 de la revue


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Auteur de la note

Arkan Simaan

Agrégé de physique, historien des sciences et (...)

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