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Centrales nucléaires : un plaidoyer de l’OMS, qui a peur de Becquerel ?

Publié en ligne le 2 janvier 1996 - Nucléaire -
SPS n° 176, novembre-décembre 1988

« L’humanité a appris, à ses dépens, qu’aujourd’hui, "personne n’est à l’abri". Les pluies acides dues à l’industrie, les écoulements chimiques ou pétroliers, les conséquences des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme entraînent des risques pour la santé auxquels aucun pays n’échappe. L’environnement social affecte aussi notre bien-être. Les transplantations d’organes réservées au petit nombre sont-elles acceptables sur le plan de l’éthique, alors que tant de personnes n’ont aucun accès aux soins médicaux ? L’alcool, les drogues, la sexualité des adolescents, posent des problèmes insolubles à la société ; et le SIDA ajoute une dimension nouvelle et regrettable. » C’est en ces termes que Santé du Monde, magazine de l’OMS, présentait son numéro de juin dernier, consacré aux risques liés à l’environnement. L’article que nous reproduisons ci-dessous, extrait de ce numéro, et signé de M. Vaiery Abramov, attaché de presse à la division OMS de l’information du public et de l’éducation pour la santé, surprendra peut-être quelques-uns de nos lecteurs. Le fait de le publier n’implique pas que nous souscrivons sans réserve à tout son contenu. La sécurité des centrales électronucléaires est un problème à prendre au sérieux ; tout donne à penser que tel est le cas en France. Celui du stockage des déchets radioactifs n’est peut-être pas pleinement résolu. Mais il est vrai aussi que l’importance que le public donne aux événements dépend beaucoup plus de la façon dont ils sont présentés dans les médias que de leur importance réelle. Un article comme celui de M. Abramov, qui est un des responsables de l’information à l’Organisation mondiale de la Santé, remet les pendules à l’heure, face aux campagnes de panique d’une presse avide de sensationnel, dans le style « Tchernobyl-sur-Seine ». Il n’est pas inutile de rappeler qu’une différence de plusieurs ordres de grandeur sépare le bilan total actuel des accidents dans l’électro-nucléaire du bilan annuel du massacre routier, ou des ravages de l’alcool et du tabac. Ces deux derniers facteurs de mort et de malheur étant chez nous encouragés par la passivité - ou la complicité - des pouvoirs publics. Sur un point cependant M. Abramov se trompe : en général, ce n’est pas aux scientifiques qu’il faut reprocher la désinformation.

Qu’il y a-t-il de commun entre la télévision couleur, les voyages par avion et la descente à skis ? Le rayonnement. Si rebutante que soit cette idée, chaque être humain porte en lui environ 10 000 becquerels de rayonnement. Paradoxalement, dans notre monde orienté vers l’écologie, l’adjectif naturel est l’un des mots à la mode et l’alliance de naturel et de rayonnement a quelque chose de pas naturel du tout.

Et pourtant, les rayonnements sont parmi les choses les plus naturelles du monde, au même titre que l’air. Ils nous entourent depuis très longtemps. Après tout, n’ont-ils pas permis à notre univers de naître, Il y a environ 20 000 millions d’années ? Les substances radioactives ont fait partie de notre planète depuis ses origines. De nos jours, de même que dans les temps immémoriaux, toutes les cellules vivantes contiennent des traces de ces substances. Elles ont certainement contribué à la formation de la première manifestation de vie sur la terre et le rayonnement du soleil a permis à la vie de se maintenir jusqu’à maintenant.

Certaines régions sont plus radioactives que d’autres. De nombreuses études révèlent que la très grande majorité des gens vivent dans des régions où le taux de la dose moyenne de rayonnement varie de 0,3 à 0,6 millisieverts par année. Il existe toutefois des endroits du globe où les taux atteignent 400 millisieverts et ce, dans des pays aussi éloignés les uns des autres que l’Inde, le Brésil et l’Iran. Des générations entières ont vécu dans l’état indien de Kerala sans ressentir le besoin de demander aux gourous scientifiques le taux local de rayonnement ; de récentes études épidémiologiques effectuées au Kerala ont décrété que l’état de la population était satisfaisant, du moins pour le niveau des rayonnements. Et pourtant, les taux permanents de rayonnement atteignent 10 millisieverts. En comparaison, les taux européens, après l’incendie de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Union soviétique) en avril 1986, se situaient entre 0,6 et 1,2 millisieverts.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les préférences alimentaires peuvent également favoriser un régime radioactif. Supposons que vous dépendiez, pour votre subsistance, de viande de caribou comme les dizaines de milliers de personnes qui habitent sous les latitudes nordiques. Le problème est que le menu de ces animaux est constitué principalement de lichens et de champignons qui ont la particularité d’accumuler les substances radioactives. La population locale mangera donc des repas très riches en polonium-210, soit jusqu’à 35 fois le niveau normal. A l’autre bout du globe, les gens vivant dans la région de l’Australie occidentale, très riche en uranium, vont se mettre à table sans penser une seconde au fait que la viande locale de mouton ou de kangourou contient des substances radioactives 75 fois plus nombreuses que la normale.

Les tentatives injustifiées pour discréditer les progrès scientifiques et technologiques et le refus d’accepter les techniques nouvelles font penser à un mouvement luddite d’aujourd’hui. Après Hiroshima, tout ce qui se rapportait au nucléaire est devenu la cible favorite d’une haine irrationnelle : la bombe A, les stocks excessifs d’armes nucléaires, l’irradiation alimentaire, l’énergie nucléaire, tout était mis dans le même panier. Hormis une école de pensée défendant « l’utilité » de l’arsenal nucléaire, l’ensemble du public ressent une peur et un malaise profonds, bien compréhensibles, face à la Bombe. Malheureusement, au fur et à mesure des débats publics, la séparation entre l’utilisation militaire et pacifique de la puissance nucléaire est de moins en moins précise. La controverse a par conséquent divisé inégalement les opinions et les « retombées » se font encore sentir. Les stocks nucléaires associés au concept si justement nommé de MAD (destruction mutuelle assurée) - mad en anglais veut dire fou - ont créé une mauvaise réputation à la puissance nucléaire. Et pourtant, personne ne fait le rapprochement entre le pétrole et le napalm.

Qu’en est-il maintenant de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire ? S’agit-il, comme certains le prétendent, d’un « moyen très onéreux de faire bouillir de l’eau ? » Ou n’est-ce pas, comme le disent certains autres, un moyen écologiquement propre et sûr ? Les résultats des contrôles de sécurité ont démontré que l’énergie nucléaire présentait beaucoup moins de dangers que les mines de charbon ou l’industrie chimique. L’Inde se rappelle encore avec angoisse la catastrophe chimique de Bhopal qui a tué 2 000 personnes et affecté 200 000 autres. Et pourtant, les accidents de Tchernobyl et de Three Mlle Island aux Etats-Unis ont laissé dans nos mémoires des traces psychologiques sans commune mesure avec aucun des accidents de l’industrie minière. La mort de 31 hommes courageux qui ont donné leur vie pour limiter les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl occupera une place moins importante dans l’esprit des gens que la peur exagérée des retombées radioactives.

« Il est improbable que les pays d’Europe occidentale détectent ou identifient une recrudescence des cas de cancer, même si quelques pays ont déjà procédé à des calculs préliminaires tendant à prouver que l’augmentation de la morbidité et de la mortalité nationales pourrait être attribuables au désastre de Tchernobyl », indique M.J. Waddington, expert en hygiène du milieu au bureau régional de l’OMS pour l’Europe à Copenhague, « dans un pays comme la Suède, les effets défavorables du radon naturel sont beaucoup plus importants ».

La présentation, en 1956 (au Calder Hall, Royaume-Uni) du premier réacteur nucléaire de taille a déclenché une bataille sur le ring de l’énergie mondiale, monopolisé à l’époque par les poids lourds des industries du charbon et du pétrole. Trente ans après, 26 pays sont maintenant membres du club plutôt fermé de l’énergie nucléaire et possèdent à eux tous 406 réacteurs. En réalité, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 70 pour cent de toute l’énergie produite en France, 50 pour cent de celle produite en Corée du Sud et un quart de celle du Japon, avide d’énergie, proviennent des centrales nucléaires. Elles sont moins onéreuses que le charbon ou le pétrole et ne dégagent ni pluies acides ni brouillard industriel.

Pourvu que les déchets radioactifs soient enterrés sous le niveau de la mer, les prévisions les plus pessimistes ont conclu qu’il faudrait de 300 à 500 000 ans pour que le plus puissant remonte à la surface. Dans de nombreuses régions houillères à travers le monde, les scories constituent d’importants émetteurs de rayonnements qui semblent devoir rester à la surface pour toujours. il en va de même pour les combustibles fossiles, prétendument sans danger pour l’écologie.

Notre ère a vu naître de nombreux radionucléides fabriqués par l’homme et utilisés pour la médecine, la production d’énergie, la prospection de minéraux, le traitement des céréales et la détection du feu, pour ne nommer que quelques applications. La médecine moderne, à elle seule, s’en est amplement servi. De nos jours, presque chaque hôpital possède du matériel médical radiologique, qu’il soit destiné au diagnostic ou au traitement des maladies. Ce matériel va de l’appareil bien connu de radiographie aux appareils informatisés de tomographie, servant à déceler les tissus cancéreux. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le traitement radioactif est l’un des principaux moyens de combattre le cancer.

En résumé, on peut raisonnablement affirmer qu’un faible rayonnement engendre un risque public mineur. Beaucoup de gens acceptent facilement les dangers beaucoup plus importants que présentent la cigarette ou la conduite automobile. Selon une publication de l’ONU, « le ressortissant d’un pays industrialisé qui reçoit une dose moyenne de rayonnement émis par les sources naturelles ou artificielles, a cinq fois plus de risques de mourir sur la route et plus de 100 fois de risques de mourir de l’abus de tabac que de contracter une tumeur mortelle radio-induite. »

Les activités de la science moderne et de la technologie en général, et de la science nucléaire en particulier, dépassent la compréhension de la communauté non scientifique. Lorsque l’on submerge les gens avec des mots comme rems, becquerels, millisieverts, grays, il leur faut beaucoup de temps et de patience pour y voir clair dans ce labyrinthe sémantique. Peu à peu, les chemins des deux groupes s’écartent l’un de l’autre. Nous croyons donc qu’une partie de la responsabilité de la réticence du public face à l’ère nucléaire revient aux scientifiques, murés dans leur tour d’ivoire, qui n’ont pas su traduire les réalités de leur monde savant en langage accessible aux profanes.

La connaissance fait la force, mais ne devrait pas être réservée à quelques privilégiés !

Mesurer la radioactivité

Le becquerel, dont le, nom vient du physicien français Antoine-Henri Becquerel (1852-1908) qui a découvert le principe de la radioactivité, sert à mesurer l’activité d’un échantillon. Un becquerel (Bq) correspond à une transformation nucléaire par seconde.

Le gray est l’unité de dose absorbée de rayonnement ; en d’autres termes, il révèle l’énergie intrinsèque de toute irradiation. Le gray (Gy) remplace le rad et équivaut à 100 rads.

Le sievert (Sv) est l’unité de mesure d’équivalent de dose d’un rayonnement soit, la dose absorbée, modifiée par un facteur de qualité qui dépend du type de rayonnement. Le sievert a remplacé l’ancienne unité, le rem (1 Sv = 100 rem). Un millisievert équivaut à la millième partie d’un sievert.