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Ce que nous apprend la crise du coronavirus

Publié en ligne le 12 mars 2020 - Covid-19 -

À l’heure où ces lignes sont écrites (12 mars 2020 [la France en est encore au stade 2 de l’épidémie]), nous ne savons pas comment l’épidémie de coronavirus (Covid-19) va évoluer en France et dans le monde. Mais quelques commentaires peuvent être déjà formulés.

Tout d’abord, l’origine de cette infection est tout ce qu’il y a de plus « naturel » : il s’agit d’une contamination d’origine animale probablement en lien avec un marché d’animaux vivants dans la ville de Wuhan en Chine (affirmation peu contestée, même si quelques rumeurs ont circulé sur les réseaux sociaux attribuant l’origine de l’épidémie à un virus échappé d’un laboratoire chinois [1]). L’animal à l’origine de la transmission n’est pas encore identifié avec certitude, même si la forme humaine du virus est très proche de celle d’un virus détecté chez la chauve-souris [2]. Ceci nous rappelle, s’il en était besoin, que « naturel » ne signifie pas forcément « bon » et que l’Homme continue à vivre dans une nature qui n’est ni bienveillante, ni accueillante, ni l’inverse d’ailleurs : elle se contente d’être…

Second constat : c’est bien vers la science que le grand public semble se tourner en priorité [3], et non vers les pseudo-sciences. La Chine, en étant la première à séquencer le génome du virus, a confirmé qu’elle était à la pointe de la science et des biotechnologies. Même si la médecine traditionnelle est mise en avant par les autorités chinoises (qui souhaitent en faire un produit exportable [4]), dans les faits, les mesures mises en place relèvent d’abord de la médecine scientifique (des antiviraux, des corticoïdes) [5]. Même la principale entreprise mondiale de produits homéopathiques (Boiron) s’est vue contrainte de publier sur les réseaux sociaux un message précisant « ne pas recommander le recours à [ses] produits pour la prévention ou le traitement des symptômes de coronavirus » et « exhortant [le public] à suivre les conseils des autorités gouvernementales » [6].

Pour l’heure, en ce qui concerne le coronavirus, les autorités publiques sont confrontées à une situation très délicate : il reste encore beaucoup d’incertitudes concernant le virus et toute décision a forcément des effets collatéraux qu’il s’agit de prendre en compte. Cette « crise du coronavirus » montre parfaitement que, sur un tel sujet, la décision doit s’appuyer sur les connaissances scientifiques et médicales mais ne peut s’y réduire. Et les dimensions économiques et sociales des décisions prises peuvent conduire à des conséquences majeures. Comme le rappelle le Pr François Bricaire, « il faut bien sûr tenir compte de la nécessité de protéger, mais il y a aussi la nécessité de vivre et de maintenir un certain nombre d’activités. Ceci peut être fait à condition que le phénomène infectieux ne soit pas suffisamment sévère » [7]. La mise sous cloche de la Chine et le ralentissement économique mondial ont des impacts qui ne sont pas que financiers : ils peuvent conduire à des effets sanitaires collatéraux difficiles à chiffrer et qu’il importe d’essayer d’anticiper et de comptabiliser dans la gestion et le bilan de la maladie (pénurie de certains médicaments, suicides et maladies dus à des pertes d’emploi ou à l’angoisse ou l’isolement, etc.). Rappelons par exemple qu’en 2013, l’OMS constatait que l’accident nucléaire de Fukushima n’avait fait aucun mort du fait de la radioactivité, alors que l’on compte par centaines le nombre de victimes du fait des évacuations (stress, suicides, anxiété, maladies cardiaques, etc.) [8]. Cet équilibre n’est pas simple à gérer et le « principe de précaution » souvent invoqué s’avère souvent une bien mauvaise règle car il n’intègre pas le coût de la précaution. Comme le souligne le sociologue Gérald Bronner, « le décideur se met en danger dès qu’il refuse les mesures maximalistes de précaution pour intégrer dans son évaluation la possibilité de dégâts collatéraux de ces mesures » [9].

En France, le ministre de la Santé affirme, à propos de la gestion de l’épidémie de coronavirus, que toutes les décisions prises « sont des décisions qui sont fondées sur le rationnel scientifique validé par les commissions d’experts » [10]. De telles déclarations sont bienvenues et leur mise en œuvre contribue à légitimer l’expertise publique et à renforcer la confiance qui lui est accordée. C’est ce qui avait été fait récemment à propos du remboursement de l’homéopathie ou à propos de l’obligation vaccinale. Constatons qu’il n’en est pas de même quand il s’agit d’agriculture (avec par exemple le glyphosate) ou encore d’énergie et de climat (avec l’arrêt de la centrale de Fessenheim présenté comme s’inscrivant dans la transition écologique nécessaire face au réchauffement climatique), où l’expertise publique est ignorée dans les déclarations mêmes des décideurs.

Toujours est-il que, pour le moment, les citoyens semblent se tourner vers la science pour obtenir des réponses à leurs questionnements et à leurs inquiétudes. Ainsi, par exemple, la recherche d’un vaccin est espérée par la plupart des personnes et les discours critiques sur la vaccination se sont faits très discrets. C’est plutôt rassurant.

Et, jusqu’à présent dans cette « crise du coronavirus », c’est en général vers des experts reconnus que les micros sont tournés, à la différence d’autres sujets médiatisées comme l’énergie ou l’agriculture, où des « experts » autoproclamés issus de mouvements associatifs partisans occupent l’espace médiatique.

Sans savoir comment l’épidémie va évoluer, c’est cependant bien dans cette direction qu’il faut poursuivre.


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Les auteurs

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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