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Artemisia annua, l’actrice, le professeur et le paludisme

Publié en ligne le 14 janvier 2021 - Santé et médicament -

Le 3 septembre 2020, une rencontre était organisée entre le pape François et une quinzaine de personnes dont « des religieux, des chercheurs en biodiversité, des cultivateurs et l’actrice engagée dans l’écologie Juliette Binoche » [1]. À cette occasion, l’actrice a offert au souverain pontife de l’armoise pour l’inciter à agir afin de « faire en sorte que les pauvres puissent cultiver cette plante ». Juliette Binoche relayait ainsi un message en vogue voulant présenter les tisanes à base d’Artemisia annua (armoise annuelle) comme un traitement efficace et facilement accessible contre le paludisme.

Le paludisme est toujours une maladie endémique (particulièrement dans les pays de l’Afrique subsaharienne). En 2018, l’OMS comptabilisait plus de 220 millions de personnes atteintes et enregistrait plus de 400 000 décès, dont 67 % d’enfants de moins de cinq ans [2]. L’organisme de santé de l’ONU s’inquiète par ailleurs du fait que « les données concernant la période 2015-2017 ne révèlent aucun progrès significatif ».

Artémisinine et Artemisia

L’artémisinine, une molécule organique extraite de la plante, a été identifiée comme efficace contre les infections à Plasmodium falciparum, l’un des parasites à l’origine du paludisme (cette découverte a valu à la chercheuse chinoise Youyou Tu le prix Nobel de médecine en 2015). Cette substance active entre dans la composition d’un des traitements les plus efficaces à ce jour.

Artemisia annua © Jorge Ferreira

Dans le même temps, des préparations non pharmaceutiques et des tisanes à base de feuilles d’Artemisia voient le jour et sont promues sur la base d’allégations revendiquant la même efficacité que les préparations pharmaceutiques. La réalité est toute différente. D’une part, comme le rappelle l’Inserm [3], l’impossibilité de doser correctement la quantité de la substance active (artémisinine) dans ces préparations fait que, « si ces traitements peuvent […] améliorer les symptômes de certains patients, les doses non contrôlées et souvent insuffisantes peuvent conduire à un échec thérapeutique : tous les parasites ne sont pas éliminés, la maladie peut réapparaître ». Plus grave, ces traitements favorisent le développement de résistance « lorsqu’une population de parasites est exposée à des niveaux trop faibles de ce principe actif ». Enfin, en France, l’Académie de médecine met en garde contre le risque élevé d’accès pernicieux (forme grave de crise paludique touchant le système nerveux) chez les enfants de moins de cinq ans du fait de la « composition incertaine » de ces remèdes à base d’Artemisia [4].

L’OMS, dans son analyse de l’absence de progrès significatifs dans la lutte contre le paludisme, identifiait des causes multiples mais soulignait le rôle de « l’émergence continue de la résistance du parasite aux médicaments antipaludiques ». En France, l’Académie de médecine a repris ce message dans un communiqué de février 2019 [4] et rappelle que, si le recours à des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA), associé à un diagnostic rapide et à l’utilisation de moustiquaires, est toujours efficace, l’artémisinine, « antipaludique puissant, d’élimination rapide, doit toujours être associée à un autre antipaludique d’action plus prolongée afin de parachever le traitement et d’entraver la sélection de résistances ». L’institution dénonce ainsi la recommandation de tisanes à base de feuilles d’Artemisia car cette « monothérapie favorise l’émergence de souches de P. falciparum résistantes, alors qu’aucune molécule n’est actuellement disponible pour remplacer l’artémisinine dans les CTA ».

En conséquence, face à ce risque majeur, l’Académie de médecine mettait « solennellement en garde les autorités de santé, les populations des zones de transmission du paludisme, les voyageurs séjournant dans ces pays, face aux recommandations scientifiquement incertaines et irresponsables pour l’utilisation de cette phytothérapie, dangereuse pour l’avenir de la lutte antipaludique » et demandait que « cesse une campagne de promotion organisée par des personnalités peut-être bien intentionnées mais incompétentes en paludologie ».

Même message côté OMS qui, après une analyse détaillée [5], « ne justifie pas la promotion des matières végétales d’Artemisia ou leur utilisation sous une quelconque forme pour la prévention ou le traitement du paludisme ».

Malheureusement, malgré ces mises en garde, les progrès des résistances au traitement à base d’artémisinine sont régulièrement constatés. Ainsi, jusque récemment circonscrites en Asie du Sud-Est [6], des résistances viennent d’être observées pour la première fois sur le continent africain [7].

La recherche de cautions scientifiques

Juliette Binoche a déjà relayé de nombreuses rumeurs infondées, sur les vaccins ou la 5G [8]. Mais, après tout, elle n’a aucune compétence pour se prononcer sur les sujets qu’elle promeut de la sorte, et ce devrait être aux médias qui choisissent de relayer les propos de la célèbre actrice de le rappeler.

Le fantôme du marais
(allégorie du paludisme),
Maurice Dudevant, dit Maurice Sand (1823-1889)

En revanche, la responsabilité de certains professionnels de santé paraît plus importante quand ceux-ci mettent leur autorité scientifique au service de cette désinformation. La Maison de l’Artemisia se présente comme une « association humanitaire française de lutte contre le paludisme par l’Artemisia, à destination des populations les plus vulnérables du Sud » qui déploie ses activités jusqu’en Afrique [9] pour promouvoir la culture locale de la plante. Sa fondatrice, Lucile Cornet-Vernet, met en avant une étude portant sur près de 1 000 patients atteints du paludisme en République démocratique du Congo ayant donné lieu à deux publications scientifiques [10, 11] qui affirment l’efficacité du remède (et même, une plus grande efficacité que les CTA). Cette étude, dont les résultats ont été co-signés par elle et par des médecins congolais, a également bénéficié de la signature du professeur Christian Perronne, infectiologue à l’hôpital de Garches en région parisienne 1.

Ces deux articles viennent finalement d’être rétractés à la demande du rédacteur en chef de la revue Phytomedicine dans laquelle ils avaient été publiés. Ce retrait est le résultat d’un travail d’investigation rigoureux et opiniâtre mené par un groupe de médecins, dont le Dr André Gillibert, médecin interne de Santé publique de Rouen [12]. Ces deux décisions sont motivées en des termes identiques : « Des inquiétudes ont été soulevées concernant l’approbation en temps opportun par le comité d’éthique de l’étude présentée par cet article, le consentement des participants à l’essai à publier leurs données, ainsi que la fiabilité des données incluses dans l’article ; les auteurs n’ont pas été en mesure de fournir des explications raisonnables. » 2

Signalons enfin un événement organisé en 2018 dans les locaux de l’Assemblée nationale par les députés Cédric Villani et Stéphane Demilly, et auquel étaient invités Juliette Binoche, Christian Perronne et Lucile Cornet-Vernet. On peut légitimement s’interroger sur la pertinence de cette manifestation qui faisait la promotion de l’action de l’association La Maison de l’Artemisia [15] avec la caution de parlementaires.

Les pays pauvres ont aussi droit à des traitements validés

La Maison de l’Artemisia justifie son action par la possibilité pour des « acteurs locaux d’une vingtaine de pays africains de se soigner à moindre frais, localement et efficacement alors qu’un médicament sur deux vendu en Afrique est falsifié et que les résistances médicamenteuses se développent ». Lutter contre les contrefaçons est un enjeu majeur, mais qui ne peut pas se faire par la promotion d’une autre forme de faux-médicaments.

Artemisia et Covid-19

L’Artemisia, sans doute auréolée de son caractère « plante naturelle issue de la médecine traditionnelle chinoise », a également été promue par le gouvernement malgache sous le nom de Covid-Organics dans la lutte contre la Covid-19, donnant lieu à une forte médiatisation sur les réseaux sociaux [1]. En France, le professeur Perronne a relayé le propos en déclarant que l’Artemisia « est une plante qui marche remarquablement bien » [2].

De son côté, l’Agence nationale de sécurité du médicament [3] et l’Académie de médecine [4] ont mis en garde contre le recours à des préparations à base d’Artemisia dans le traitement des infections à coronavirus en l’absence de données scientifiques apportant une preuve d’efficacité.

Références
1 | « L’OMS a-t-elle vraiment reconnu l’efficacité de l’artemisia contre le covid-19 ? », Libération, 7 mai 2020. Sur liberation.fr
2 | Entretien Sud Radio, YouTube, vidéo, 10’42’’. Sur youtube.com
3 | ANSM, « L’ANSM met en garde contre les produits présentés sur Internet comme des solutions au COVID-19, dont l’Artemisia annua - Point d’information », 4 mai 2020. Sur ansm.fr
4 | Académie nationale de médecine, « Artemisia et Covid-19 », Sur academie-medecine.fr

Références


1 | « Juliette Binoche a rencontré le pape François et lui a offert de l’artémisia », Paris Match, 4 septembre 2020.
2 | OMS, « Paludisme », 14 janvier 2020.
3 | Inserm, « L’Artemisia plante miracle, vraiment ? », 2 juillet 2020.
4 | Académie de médecine, « Proposition d’un traitement du paludisme par des feuilles d’Artemisia », communiqué, 19 février 2019.
5 | OMS, « Utilisation des formes non pharmaceutiques d’Artemisia », note d’information, 10 octobre 2019.
6 | Institut Pasteur, « Paludisme – une cartographie mondiale de la résistance à l’artémisinine apporte la confirmation que celle-ci est confinée en Asie du Sud-Est », communiqué de presse, 23 juin 2016.
7 | Uwimana A et al., “Emergence and clonal expansion of in vitro artemisinin-resistant Plasmodium falciparum kelch13 R561H mutant parasites in Rwanda ”, Nat Med, 2020.
8 | « Covid-19, vaccins et 5G : les délires complotistes de Juliette Binoche sur Instagram », France Inter, 7 mai 2020.
9 | Site de l’association La maison de l’Artemisia, maison-artemisia.org
10 | Munyangi J et al., “RETRACTED : Artemisia annua and Artemisia afra tea infusions vs. artesunate-amodiaquine (ASAQ) in treating Plasmodium falciparum malaria in a large scale, double blind, randomized clinical trial”, Phytomed, 2019, 57 :49-56.
11 | Munyangi J et al., “RETRACTED : Effect of Artemisia annua and Artemisia afra tea infusions on schistosomiasis in a large clinical trial”, Phytomed, 2018, 51 :233-40.
12 | Garcia V, « Tisane d’Artemisia : le combat de scientifiques pour faire rétracter deux études », L’Express, 22 août 2020.
13 | « Maladie de Lyme : et si le scandale était ailleurs ? », dossier sur la maladie de Lyme, SPS n° 321, juillet 2017.
14 | « Covid-19 : l’Afis condamne les graves dérapages du Pr Perronne relayés par plusieurs grands médias », communiqué de l’Afis, 22 juin 2020. Sur afis.org
15 | « Échanges sur la lutte contre le paludisme – Assemblée nationale, Paris – 13 novembre 2018 », YouTube. Sur youtube.com

1 C. Perronne est, par ailleurs, l’un des principaux promoteurs d’une prétendue maladie de « Lyme chronique » qui serait rebelle aux traitements actuellement recommandés pour la maladie de Lyme [13]. Il s’est également fait connaître par un soutien sans faille aux thèses de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine et par de graves dérapages dans la controverse associée [14].

2 Voir le préambule des articles en ligne (un article rétracté reste en ligne, mais avec la mention « retracted »).

Publié dans le n° 334 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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