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Alfred R. Wallace

Publié en ligne le 10 avril 2014
Note parue dans Raison Présente, n° 188, 4e trim. 2013.
Alfred R. Wallace

L’explorateur de l’évolution 1823-1913

Peter Raby, Préface Jean Gayon

Éditions de l’évolution, 2013, 443 pages, 24 €

Les spécialistes de l’histoire de l’évolutionnisme connaissent évidemment ce voyageur qui, des îles Moluques (Indonésie), écrivait à Darwin en 1858 pour lui proposer des vues théoriques sur la sélection des plus aptes, à la faveur d’un envoi qui plongea son destinataire dans un profond désarroi. Il y trouvait, en effet, les idées, poursuivies depuis 1838, sur lesquelles il avait entamé un travail qu’il ne parvenait pas à conclure, et dont il craignait de perdre le bénéfice de l’originalité. Ils savent aussi comment l’affaire se résolut : deux amis de Darwin, le géologue Lyell et le botaniste Hooker présentèrent devant la société linnéenne de Londres le texte de Wallace et des extraits de Darwin, notamment des notes de 1844 qui attestaient de sa priorité.

On ne sait, le plus souvent (moi le premier), rien de plus de ce naturaliste-explorateur, l’un des pères de la bigéographie, avec Humboldt. Aussi doit-on savoir gré à l’éditeur (qui envisage toute une collection sur ce savant) d’avoir fait traduire l’ouvrage très documenté de Peter Raby, ancien maître de conférences à Cambridge et par ailleurs homme de lettres et de théâtre.

Le personnage est intéressant. Et quelques années après l’année Darwin, sur laquelle tant de travaux ont été publiés, il n’est pas inutile de savoir, à la fois, comment Wallace eut, indépendamment de lui, les mêmes idées que Darwin, et ce qu’il devint après cet épisode glorieux de sa vie, car le lecteur français découvrira d’abord que sa notoriété fut immense dans les dernières années de sa longue vie (1823-1913)… avant de s’effondrer totalement.

Sur la naissance de l’idée, on apprend qu’elle lui apparut aussi par la lecture de Malthus, et que les paradisiers d’Indonésie lui firent le même effet que les pinsons des Galapagos sur Darwin, nous dit Peter Raby. Cette idée sélectionniste ne pouvait venir qu’à des naturalistes voyageurs, et Wallace a eu la chance d’en parler à des amis rencontrés à l’autre bout du monde avant d’acquérir la certitude qu’il avait « enfin trouvé la loi naturelle susceptible de résoudre le problème de l’origine des espèces  ».

Le second épisode de sa vie est riche de réflexions et d’ouvrages sur maints sujets, notamment un livre sur le Darwinisme, en 1889. Il se distingue de son aîné en refusant la sélection sexuelle. Il restera cependant assez darwinien (et peut-être justement très orthodoxe) en s’opposant au mutationnisme d’Hugo de Vries (il est vrai à l’époque, et encore longtemps, présenté comme une théorie concurrente de la sélection) et à Bateson, un des tout premiers généticiens. Vivre vieux offre le danger d’avoir à prendre parti sur les idées des successeurs. Mais qui pouvait, en 1900, comprendre que darwinisme et génétique s’uniraient en une théorie synthétique de l’évolution trente à quarante ans plus tard ?

Pourtant Wallace s’éloigne de Darwin pour d’autres raisons : d’ordres philosophique, religieux et politique. Il est socialiste et croit à l’entraide entre les hommes, non à leur concurrence. Sur ce point il est un adversaire du darwinisme social. Mais comment concevoir, dans le cadre darwinien, l’amélioration souhaitable de la race humaine ? D’autant que Wallace refuse, suite à la lecture de Weismann, l’hérédité des caractères acquis. Il compte sur l’éradication de la pauvreté et « la Femme de l’avenir ». Mais cet esprit réformateur est un farouche adversaire de la vaccination.

Il refuse aussi que l’esprit disparaisse après la mort ; sans quoi notre société ne serait que lutte entre des individus sans espoir. Et la mort de proches le conduit à fréquenter les médiums et s’adonner aux tables tournantes. C’est une des raisons qui nuiront un temps à sa réputation. Mais on sait qu’à l’époque, des savants de la notoriété de Crookes suivront le même chemin. Et le rationaliste qui s’en indignerait à juste titre serait surpris d’apprendre que Charles Richet, l’un des premiers membres du comité d’honneur de l’Union Rationaliste, par ailleurs prix Nobel (1913) de médecine pour sa découverte de l’anaphylaxie, créa le terme de métapsychie, et s’adonna à cette fausse science que, pudiquement sa nécrologie (Les Cahiers Rationalistes n°45, décembre 1935), juge « encore [sic] incertaine et chancelante, et encombrée de faits douteux ou erronés ».

Voir aussi : note de lecture.