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Agriculture, science et société : rétablir le dialogue

Publié en ligne le 21 novembre 2015 - Science et décision -

Le 11 mars 2015 s’est tenu à Paris un colloque organisé par le Ministère en charge de l’agriculture et ayant pour titre « Science et société : le chercheur entre autonomie, implication et responsabilité ». Les institutions qui ont porté ce colloque étaient l’Académie d’agriculture de France, la Direction générale de l’enseignement et de la recherche du Ministère en charge de l’agriculture et l’INRA.

L’introduction, par les trois responsables de ces institutions, G. Tendron, M. Riou-Canals et F. Houllier, a dressé le constat de la fracture qui s’est installée entre la science, ses applications et ses impacts sur la société. Cette fracture vient pour une bonne part d’un manque de dialogue, à l’origine d’une méconnaissance croissante de l’agriculture par nos concitoyens. La confiance dans les experts est remise en cause. L’acceptabilité de certains projets n’est pas acquise d’emblée. L’adhésion des consommateurs citoyens suppose de plus en plus une analyse au cas par cas de l’impact des principales innovations. Les outils de décision sont devenus insuffisants. Les codes de déontologie des chercheurs ne sont plus adaptés à une pratique intense et variée de l’innovation. Le concept de progrès est contesté. Il doit être revivifié dans un esprit de co-construction plutôt que de normes et il doit éviter d’être la cible de polémiques sans fin. Les projets des chercheurs font de plus en plus souvent appel au partenariat avec des entreprises privées et des institutions publiques, l’Union Européenne en particulier. Les chercheurs doivent davantage s’impliquer dans la gestion globale de leurs projets et ne pas laisser cette tâche aux philosophes et aux médias.

La philosophe de l’INRA, Catherine Larrère, a dressé un tableau de l’évolution des postures de la recherche et des chercheurs depuis un siècle. La notion de responsabilité a progressivement émergé en même temps que la confrontation croissante avec la liberté du chercheur. La science est victime de son succès car elle procure aux responsables politiques des pouvoirs excessifs et non partagés (exemple d’Hiroshima). La complexité et le coût des projets imposent de plus en plus souvent des collaborations entre la recherche et les entreprises privées. Ce type de partenariats, devenu indispensable dans bien des cas pour répondre à la demande d’innovation de la société, comporte diverses contraintes qui vont de la confidentialité à l’impact sur la société et qui doivent être traitées au cas par cas.

Des recherches méthodologiques sur la manière de gérer les projets de recherche et basées sur des cas concrets sont en cours, à l’INRA notamment. Les impacts d’un projet doivent être analysés dès sa conception et tout au long de son développement pour atténuer autant que possible les conséquences financières et humaines d’un éventuel abandon du projet en question. Une des difficultés est l’acceptabilité d’un projet par une opinion publique pas toujours préparée à analyser des situations complexes et comportant des incertitudes, reconnues comme normales par les chercheurs, mais peu rassurantes pour des non-spécialistes.

Une étude en cours ayant pour but de diminuer les épandages d’herbicides dans les vignobles repose sur une confrontation constructive entre les vignerons et les chercheurs (Jean Masson, INRA). Il semble que cette méthode, qui n’hésite pas à affronter un vigoureux dissensus initial, peut se révéler créative lorsque chaque partie accepte de prendre en compte les différences qui l’opposent à ses partenaires.

La mauvaise foi de certains partenaires, qu’elle soit idéologique ou clairement financière et basée sur des rapports de force, rend souvent cette approche inopérante. L’échec du projet de la vigne génétiquement modifiée par des chercheurs de l’INRA pour résister à un virus particulièrement nuisible est éloquent. De longs pourparlers très approfondis entre toutes les parties prenantes ont conduit à un authentique consensus qui n’a pas réussi à empêcher la destruction de la vigne par des opposants.

L’adoption de postures ne faisant pas appel à la pratique systématique du rapport de force mais plutôt basée sur la bonne foi des partenaires est généralement considérée comme une utopie. Mais pour certaines personnes, les problèmes à résoudre sont si complexes qu’ils ne peuvent reposer que sur des approches rationnelles et qu’il faut laisser une place à l’utopie. Des enseignants proposent pour cela de replacer les étudiants dans la pratique du dialogue et de la dialectique admettant les positions de leurs partenaires afin de réhabiliter un climat de confiance propre à favoriser un dialogue constructif.

Les problèmes des relations science-progrès-société sont de mieux en mieux analysés mais les moyens pour les résoudre restent à trouver.


Publié dans le n° 313 de la revue


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L' auteur

Louis-Marie Houdebine

Louis-Marie Houdebine (1942-2022) était directeur de recherche honoraire à l’INRA. Il a été membre de la (...)

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