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Affaire de Cleveland : le rôle honteux d’une medium

Publié en ligne le 17 août 2014 - Paranormal -

Séquestrées durant plusieurs années, Amanda Berry, Georgina DeJesus et Michele Knight ont été retrouvées vivantes le 6 mai 2013 dans la maison d’Ariel Castro à Cleveland aux USA. Dans cette sordide et incroyable affaire, un élément illustre le rôle néfaste des charlatans mediums qui se posent parfois en auxiliaires de police dans les enquêtes sur des disparitions. Ils ne peuvent jouer aucun rôle positif, n’ayant aucune compétence particulière, mais ils peuvent parfois être à l’origine de drames à l’intérieur du drame, comme c’est peut-être le cas ici. Cette exploitation des enlèvements d’enfants n’est pas nouvelle. Elle est honteuse pour ceux qui la mettent en œuvre, mais également pour ceux qui lui font de la publicité.

Cleveland : ajouter l’ignoble au drame

Amanda Berry, qui s’est échappée lundi 6 mai 2013, avait disparu le 21 avril 2003. Un an plus tard, en 2004, sa mère, Louwana Miller, désespérée, avait participé à un show télévisé en compagnie de la medium Sylvia Browne 1. Au cours de l’émission, Louwana Miller avait poussé Sylvia Browne à lui dire si sa fille était toujours vivante. Au lieu de répondre à la mère qu’elle ne pouvait pas le savoir, la medium, sûre de son « talent », lui a affirmé que sa fille était morte et qu’elle ne la reverrait qu’au paradis.

La mère est morte en 2006. Sa fille, bien vivante, a retrouvé sa liberté cette semaine. Elle a pu revoir sa sœur, mais pas sa mère.

Sylvia Browne n’en est pas à son coup d’essai. Dans une vidéo de CNN datant de 2007 consacrée à la triste carrière de la medium, on constate 2 qu’elle avait déjà annoncé à des parents que leur fils disparu, Shawn Hornbeck, était mort. Elle avait de surcroît indiqué où il fallait creuser pour retrouver son corps. Au passage, elle avait même proposé une description du meurtrier qui, comme par hasard, avait la peau sombre et les cheveux longs avec des dreadlocks (mèches de cheveux emmêlées).

Le jeune homme disparu a pourtant été retrouvé bien vivant et en bonne santé, et son kidnappeur était blanc avec des cheveux courts. Souhaitons que l’enquête n’ait pas été polluée par ses fausses pistes. Les parents ont ensuite révélé qu’elle leur avait proposé son aide contre de l’argent.

En sens inverse, en avril 1999, lors d’un autre show télévisé, Sylvia Browne avait expliqué à la grand-mère d’une fillette disparue, Opal Joe Jennings, que celle-ci était bien vivante, mais qu’elle était en situation d’esclavage au Japon. Quatre ans plus tard, les restes de la fillette étaient retrouvés au Texas. Selon l’autopsie, elle avait été tuée peu après sa disparition. D’autres cas sont répertoriés sur la page Wikipédia consacrée à Sylvia Browne 3.

Existe-t-il un cadre légal ou législatif sur les affirmations médiumniques ? 4 De toutes façons, la meilleure protection contre ces comportements reste encore tout simplement le fait de ne pas y croire.

À défaut, on peut aussi au quotidien s’efforcer de démasquer les imposteurs et les croyances sur lesquelles ils prospèrent. C’est ce que fait le magicien et pédagogue sceptique James Randi, avec sa fondation et son prix de 1 million de dollars qui serait remis à toute personne parvenant à passer un simple test qui prouverait son pouvoir paranormal en conditions expérimentales 5. Sylvia Browne avait proclamé en direct à la télé qu’elle relèverait ce défi. Elle ne l’a pas fait à ce jour 6...

En France aussi

Malheureusement, l’exploitation sordide de la fragilité de personnes confrontées à un drame n’est pas nouvelle, et n’a pas lieu qu’aux USA. Rappelons en France un épisode resté tristement célèbre et impliquant le médium Didier Derlich. Répondant en direct sur RTL, dans l’émission « Vibrations » du 30 mars 1988 à un appel angoissé d’une mère dont le fils Loïc a disparu, ce dernier répond : « Je suis convaincu que votre fils est vivant. Je suis convaincu que votre fils, vous le reverrez [...]. Pour moi il n’est pas mort, c’est le B.A.BA du tarot, il n’y a pas de mort, il y a une vie ». À la mère retrouvant espoir et qui demande confirmation, Didier Derlich répond : « Il est vivant, Sylvie, on va le retrouver ». L’après-midi même de l’émission... le petit Loïc sera retrouvé noyé dans la Dordogne. Didier Derlich a continué à prospérer. Galilée avait su s’arrêter dans sa pratique, sans doute alimentaire, de l’astrologie (il avait prédit une longue vie au Duc de Toscane, qui devait mourir quelques semaines après).

Une pratique ancienne et florissante

L’angoissant problème des disparus au lendemain de la seconde guerre mondiale a donné lieu à des pratiques similaires en réaction desquelles s’est constitué le « Comité Para Belge », l’association sœur de l’AFIS outre-Quiévrain. Paul M.G. Lévy s’est mis, à la fin de la guerre, à la recherche de ses anciens compagnons de résistance et de captivité. Son activité le fit intervenir dans les journaux et radio et il devint ainsi l’une des personnes les plus actives pour la recherche des disparus de la guerre en Belgique. Confronté à des demandes de plus en plus nombreuses de familles à la recherche de proches disparus, Paul Lévy constata l’ampleur du rôle néfaste que radiesthésistes et médiums jouaient dans cette tragédie, ravivant des espoirs contre des sommes d’argent parfois importantes, espoirs peu réalistes à mesure que le temps passait. Il décida alors de prouver aux yeux du grand public l’absence de validité des pouvoirs allégués. Lors d’une émission radiodiffusée, il s’engagea à faire recruter les radiesthésistes qui pourraient prouver leurs résultats par le Bureau International de Recherches d’Arolsen (basé en Allemagne). Aucun ne se fit connaître.

Mais de cette initiative est né le « Comité Para Belge », sur la sollicitation d’un représentant du ministère de la Santé publique et de scientifiques intéressés à soumettre les allégations des partisans des sciences occultes à la critique et l’analyse scientifique.

Sources

Sylvia Browne :
http://www.badscience.net/2013/05/s...

Sur le cas de Didier Derlich :
http://referentiel.nouvelobs.com/ar...

Comité Para belge : souvenirs de Paul M.G. Lévy, dans La science face au défi du paranormal, seconde édition, 2005. Relie-Art éditeur.

Les deux derniers cas, ainsi que d’autres, ont été traités dans SPS n° 279, novembre 2007.

Aucun voyant n’avait prévu l’attentat au marathon de Boston

Benjamin Radford, membre du Committee for Skeptical Inquiry (l’association sœur de l’AFIS aux USA) notait qu’aucun voyant n’avait prédit l’attentat à la bombe perpétré lors du marathon de Boston (qui a causé la mort de 3 personnes et en a blessé 264 autres), constatant une fois de plus la défaillance de leurs pouvoirs allégués. Mais il revient dans le numéro de juillet 2013 du Skeptical Inquirer sur une critique qui lui a été adressée : « vous ironisez qu’aucun voyant n’ait prédit un événement important... mais l’un d’entre eux l’aurait-il fait, aurait-il été pris au sérieux ? ».

Tout d’abord, note Benjamin Radford, il faut s’entendre par ce que l’on appelle une prédiction. Une vague formulation, comme par exemple « il y aura un attentat à la bombe à Boston en 2013 » n’a pas la même valeur que « une bombe va exploser sur la ligne d’arrivée du marathon ». Or, les voyants, astrologues et médiums ont une forte propension à s’attribuer des prédictions très précises... après coup. Ensuite, poursuit l’auteur, la police écoute tous les témoignages. Si l’un d’entre eux émane de quelqu’un qui donne des informations assez précises (et qui peuvent donc être recoupées ou vérifiées), ou qui a déjà donné des informations fiables dans le passé (pour quelque raison que ce soit, et admettons même, du fait des « pouvoirs paranormaux » revendiqués), il sera pris au sérieux. Mais, on n’a jamais, jusqu’à aujourd’hui, trouvé un tel médium. Et Benjamin Radford souligne que le bilan de ce type de « collaboration » est en général, non seulement nul, mais souvent préjudiciable. Il rappelle ainsi l’annonce par un voyant, en mars 2004, d’une bombe à bord d’un avion d’American Airlines reliant la Floride au Texas. L’appareil a été fouillé de fond en comble en vain, entraînant un retard à l’embarquement puis une annulation pure et simple du vol.

Par contre, on a bien rencontré de très nombreux voyants qui, consciemment ou inconsciemment, pour l’appât du gain ou parce qu’ils se croient réellement dotés de pouvoirs extraordinaires, exploitent de facto des situations de détresse sans avoir pu prouver la moindre utilité. En réalité, ils n’ont fait qu’ajouter de faux espoirs à la détresse, moyennant souvent une rémunération.

J-P.K.

1 Un compte rendu de cette émission, daté du 18 novembre 2004, est disponible sur Internet : http://www.wkyc.com/news/story.aspx?storyid=26501(indisponible—31 mai 2020).

4 En 2004, l’AFIS avait publié dans sa revue une série d’articles sur le thème « Le droit face au paranormal » (consultables sur notre site Internet).

5 Un prix similaire avait été proposé jusqu’en 2002 en France par Henri Broch, Gérard Majax et Jacques Theodor.


Thème : Paranormal

Mots-clés : Voyance

Publié dans le n° 307 de la revue


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Les auteurs

Yann Kindo

Yann Kindo est enseignant en histoire-géographie. Il est l’auteur du blog La Faucille et la Labo

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Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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