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44 arguments infondés contre la médecine scientifique

Publié en ligne le 3 juin 2015 - Médecine -
Cet article est paru dans le Skeptical Inquirer de novembre 2014 (la revue éditée par le CSI) sous le titre “Doctor-bashing arguments… and their rebuttals : defending science-based medicine”. Il a été traduit de l’anglais par Jean-Paul Krivine et est publié ici avec l’aimable autorisation de l’auteure (qui a apporté des précisions sur la version française).

Les partisans des médecines alternatives 1, ainsi que leurs fournisseurs de remèdes charlatanesques, se font un plaisir de dénigrer la médecine conventionnelle et la science. Ils répètent en boucle les mêmes arguments éculés. Ce petit guide rassemble les éléments permettant de répondre aux principales critiques de ces accusateurs de la médecine scientifique.

Comme ces derniers sont incapables de porter la controverse sur le terrain de la science, leur seul recours est de souligner les imperfections de la médecine scientifique, comme si cela suffisait à prouver la supériorité de leurs méthodes.

Un peu comme les créationnistes qui pensent qu’une controverse sur quelques petits détails de la théorie de l’évolution prouve quelque part que « Dieu l’a fait ».

1. La science ne peut pas tout savoir

L’acteur Dara O’Briain le disait très joliment : « la science sait qu’elle ne sait pas tout, sinon, elle aurait tout arrêté. Mais justement, parce qu’elle ne sait pas tout, cela ne signifie pas que l’on puisse remplir les trous avec n’importe quel conte de fées ».

2. Il y a d’autres moyens d’accès à la connaissance

Certes, il y a l’intuition, l’imagination, le rêve, la révélation, la tradition, la spéculation, la « pensée déformée » (stoned thinking) promue par Andrew Weil, le gourou de la « médecine intégrative », les anecdotes et les observations personnelles. Tous ces moyens peuvent conduire les gens à des croyances bien ancrées, à l’illusion de la connaissance. Mais tant que ces croyances ne sont pas réellement testées, il n’y a aucune raison de penser qu’elles reflètent la réalité. C’est bien la méthode scientifique qui a produit une connaissance suffisamment robuste ayant permis aux êtres humains d’aller sur la Lune ou de transformer le SIDA de maladie mortelle en maladie chronique avec une espérance de vie quasi-normale.

3. La science est juste une autre religion

La science ne fait que deux hypothèses fondamentales : il y a un monde matériel et l’on peut apprendre comment ce monde fonctionne. La science ne « croit » rien. Elle ne fait qu’interroger et vérifier. Et elle a une très longue liste de succès à son actif. C’est incontestable, la méthode scientifique marche.

4. La science passe son temps à changer d’avis

Oui, et c’est une bonne chose. Les conclusions scientifiques sont toujours provisoires. Les scientifiques ne s’intéressent qu’aux faits, et les suivent, où que cela puisse les mener. Ainsi, doivent-ils souvent changer d’orientation quand de nouveaux faits les y poussent. À l’inverse, même placés devant des faits sans ambiguïté, les partisans des médecines alternatives ne changent jamais d’avis. La médecine scientifique cesse le recours à certains traitements s’ils s’avèrent inefficaces et l’histoire de la médecine est remplie de théories et de méthodes qui ont été abandonnées. Les médecines alternatives ne rejettent jamais aucun de leurs traitements et elles n’ont presque jamais testé une de leurs méthodes contre une autre pour identifier la meilleure.

5. La science est dogmatique

Ainsi, de façon contradictoire, la science passerait son temps à changer d’avis tout en étant dogmatique. En réalité, le dogmatisme se trouve du côté des médecines alternatives, pas du côté de la science.

6. Vous ne faites que soutenir systématiquement et par principe la « médecine officielle »

Quand un groupe d’experts évalue toute la littérature scientifique disponible et délivre un avis fondé sur des preuves (evidence-based), il est utile d’écouter ce qu’il a à dire, et pourquoi il le dit. La méthode fondée sur les preuves est une méthode générale, pas un livre de recettes de cuisine. Les médecins sont appelés à utiliser leur propre jugement pour l’appliquer à des patients individuels. Il y a une différence entre l’argument d’autorité (« c’est un grand professeur, on se doit de croire tout ce qu’il dit ») et accepter un consensus d’experts qui en savent bien plus sur le sujet que nous-mêmes.

Si les dix meilleurs garagistes s’accordent sur la nécessité de remplacer le carburateur de votre voiture, il est probablement raisonnable de le remplacer. Et il est déraisonnable de croire votre coiffeur qui prétend que vous pouvez le réparer en l’aspergeant de jus de citron. Trop souvent, les partisans des médecines alternatives sont ceux qui répètent comme des perroquets ce que disent des « autorités » peu crédibles qui ne savent rien de ce dont elles parlent.

7. Les médecins ont peur de se voir retirer leur droit d’exercer s’ils prescrivent des traitements non approuvés

Le retrait de l’autorisation d’exercer dépend d’autorités régulées, et il ne peut intervenir que si le médecin met en œuvre des traitements irrationnels ou se livre à des pratiques charlatanesques.

Ce paragraphe a été adapté en en respectant l’esprit. La version originale portait sur le rôle de l’AMA (American Medical Association) dans l’autorisation d’exercer aux USA. [Note de la rédaction]

8. Vous, les rationalistes*, vous avez des a priori contre les médecines alternatives

Nous avons des a priori... en faveur de la science et de la raison. Nous avons des a priori à l’encontre des allégations qui ont été testées et rejetées et qui sont incompatibles avec l’ensemble de nos connaissances scientifiques. Nous avons des a priori à l’encontre de ceux qui prodiguent des soins en disant des choses fausses aux patients et qui présentent des opinions comme s’il s’agissait de faits établis. Nous avons des a priori contre l’utilisation de placebos car cela constitue un mensonge, et le mensonge n’est pas éthiquement acceptable. Nous n’avons par contre aucun a priori contre les médecines alternatives pour le simple fait qu’elles seraient alternatives. Nous considérons qu’il n’existe en fait qu’une seule médecine, que les traitements ont, ou bien été testés et évalués comme efficaces, ou bien ne l’ont pas été, et que toutes les affirmations doivent être considérées selon les mêmes normes et standards, ceux de la méthode scientifique.

* « Skeptics » a été traduit par « rationalistes ». [Note de la rédaction]

9. Vous êtes payés par la big-pharma, qui veut promouvoir ses produits et discréditer les médecines alternatives

C’est une accusation gratuite. Je ne connais pas d’auteur d’étude critique des médecines alternatives qui soit payé par les compagnies pharmaceutiques. Nous-mêmes* n’acceptons aucun cadeau des entreprises du médicament, nous ne recevons aucune rémunération de leur part. Par contre, notons que de nombreuses filiales des compagnies pharmaceutiques commercialisent des compléments nutritionnels ou diététiques. Nous pourrions tout aussi bien accuser les partisans des médecines alternatives d’être payés par la big-pharma quand ils font la promotion de leurs produits. Qu’en est-il des « big-compléments nutritionnels  » ?

* Le « nous » de l’auteure désigne le CSI, association sœur de l’AFIS aux USA, ainsi que le blog qu’elle anime. Les sources de financement de l’AFIS sont transparentes, elles viennent exclusivement des cotisations de ses adhérents et des ventes de sa revue. [Note de la rédaction]

10. Les médecins ont peur de la compétition

La plupart des médecins ont déjà un nombre bien suffisant de patients et ne pourraient raisonnablement pas en traiter plus. Les praticiens des médecines alternatives n’ont qu’une petite partie du « marché » de la santé. Les médecins ne sont donc pas inquiets de la compétition. Ils sont en réalité soucieux de la santé de leurs patients et n’aiment pas les voir se faire abuser, prescrire des traitements inefficaces, dissuader de poursuivre des traitements adaptés ou encore les voir mettre leur vie et leur argent en danger.

11. Les médecins ne traitent que les symptômes, pas les causes

Ce n’est bien entendu pas le cas ! Les médecins traitent les causes sous-jacentes chaque fois que c’est possible. Un patient atteint de pneumonie ne se verra pas simplement prescrire des médicaments contre la fièvre, la douleur et la toux. Le microbe responsable sera recherché et l’antibiotique adapté sera prescrit. Dans le cas d’une fracture douloureuse, le médecin ne se contentera pas de proposer un antalgique. Au contraire, il immobilisera la fracture ou insérera une broche. Si un patient souffre d’une douleur insupportable au bas de l’abdomen, une appendicite pourra être suspectée et une éventuelle opération sera proposée ; le médecin ne se limite pas à un simple traitement de la douleur. En réalité, ceux qui accusent la médecine d’ignorer les « causes sous-jacentes » sont en général ceux qui pensent que la maladie est due à un dérèglement profond (« subluxations », « déséquilibre du qi », mauvaise nutrition, etc.). Ainsi, en lançant une recherche sur Google avec l’expression « la véritable cause de toutes les maladies », j’ai trouvé soixante-trois réponses*. Toutes ont d’ailleurs tendance à proposer un unique traitement universel (quand vous avez un marteau comme seul outil, tout ressemble à un clou).

* Voir : https://skepticalinquirer.org/2010/...

12. La médecine scientifique n’est pas capable d’expliquer pourquoi certains attrapent une maladie et d’autres pas, ou pourquoi les gens tombent malades à un moment particulier

Les théories alternatives ne le peuvent pas davantage. Mais les médecins ont toutefois certaines idées sur les raisons qui font que de telles choses se produisent : exposition aux infections, nombre d’organismes qui pénètrent le corps, facteurs génétiques, toxines, déficience immunitaire, etc. Les partisans des médecines alternatives affirment avoir une explication complète des maladies et l’attribuent à une cause unique qui détériorerait la santé. Mais ils n’ont jamais prouvé en quoi leur explication est meilleure que celles données par la médecine conventionnelle, ni en quoi elle améliore les chances de guérison des patients.

13. La médecine officielle tue des patients

Les détracteurs citent avec délectation les statistiques sur les effets secondaires des médicaments, les erreurs médicales, les effets iatrogènes et les décès associés. Leurs chiffres sont en général faux. Mais même quand ils sont exacts, il n’est pas rationnel de regarder ces chiffres isolément. Les maux doivent être évalués en regard des bénéfices. La médecine sauve bien plus de personnes qu’elle n’en tue. Beaucoup de ceux qui développent une complication suite à un traitement seraient décédés sans lui, parfois plus rapidement. Tous les traitements efficaces ont des effets secondaires. Et les médecins évaluent toujours la balance risques/bénéfices pour rejeter les traitements où le risque est trop important au regard des bénéfices attendus. Le rapport risques/bénéfices des médecines alternatives devrait être comparé à celui de la médecine conventionnelle. Si aucun bénéfice n’est attendu, aucun risque ne se justifie. Or, il n’existe aucune preuve que les médecines alternatives sauvent des vies. Mais elles peuvent tuer en détournant les patients de traitements éprouvés.

14. Les médecins ne s’intéressent qu’à l’argent

La plupart des médecins ne sont pas venus à cette profession pour devenir riches, mais parce qu’ils voulaient aider leurs congénères. Il y a bien d’autres moyens plus efficaces pour devenir riche. Les études médicales sont longues, exigeantes et coûteuses. Très souvent, les médecins ont des horaires extensifs, des gardes à assurer. Ils doivent souvent s’endetter pour mener à bien leurs études ou s’installer, et mettront de nombreuses années pour rembourser. Les belles maisons et belles voitures ne viennent que longtemps après la fin des études, et ceux qui gagnent beaucoup d’argent ne sont qu’une minorité. Une meilleure façon de faire fortune est de commercialiser des faux traitements ou de répandre la désinformation (tels que les Dr. Oz, Andrew Weil, Burzynski, Daniel Amen, Kevin Trudeau, et toutes les sociétés qui vendent des compléments nutritionnels et des aides miraculeuses à la perte de poids). Le Laboratoire Boiron a vendu en 2012 pour 566 millions d’euros de remèdes homéopathiques, qui ne sont essentiellement que de l’eau et du sucre.

15. Vous avez un esprit borné

Nous sommes ouverts à tout type de traitement, peu importe sa plausibilité a priori, pour peu qu’il fasse la preuve de sa sûreté et de son efficacité. Avant de pouvoir expliquer comment il marche, il faut d’abord s’assurer qu’il marche. Si l’homéopathie avait montré un succès comparable à celui de la pénicilline, tout le monde l’utiliserait. Quand la bactérie Helicobacter a été proposée comme cause possible des ulcères gastro-duodénaux, il n’a fallu que quelques années pour en faire la preuve et mettre au point des antibiotiques efficaces, aujourd’hui traitement de référence. Quand une méthode comme l’acupuncture est étudiée depuis des siècles et que son efficacité reste toujours aussi incertaine, la seule attitude raisonnable est d’arrêter de l’étudier et de dépenser plus utilement l’argent du financement de la recherche. Il n’est pas utile de garder un esprit ouvert aux théories du mouvement perpétuel ou à celles de la Terre plate. En réalité, ce sont les partisans des médecines alternatives qui ne font preuve d’aucune ouverture d’esprit : la plupart d’entre eux sont tellement convaincus de leurs croyances qu’ils rejettent systématiquement toute preuve du contraire. Un jour, un praticien de ces méthodes m’a avoué qu’il continuerait à les utiliser même s’il était définitivement prouvé qu’elles ne marchent pas, car « ses patients les aiment ».

16. Les médecins ne font jamais de prévention

Ils en font ! Qui, pensez-vous, a inventé les vaccins ou les tests de dépistages préventifs ? N’avez-vous jamais entendu parler de la médecine préventive ? Les médecins prodiguent régulièrement des conseils à leurs patients, ils leur recommandent de contrôler leur poids, de s’assurer de leur équilibre alimentaire, d’attacher leur ceinture de sécurité, ils abordent des sujets tels que l’exercice physique, l’alcool, les drogues, la violence domestique, etc. Ces sujets sont régulièrement traités dans les principales revues médicales. À l’inverse, il n’y a pas de preuve que les conseils préventifs venant des médecines alternatives produisent de meilleurs résultats que ceux prodigués par les médecins.

17. Les médecins ne connaissent rien à la nutrition

Ils comprennent la science de la nutrition et conseillent leurs patients sur la base de preuves scientifiques. Ils se réfèrent à des diététiciens pour des régimes particuliers. Les partisans des médecines alternatives affirment en savoir plus sur la nutrition, mais ils donnent en général des avis infondés ou pseudo-scientifiques.

18. Les médecines alternatives sont meilleures car elles sont globales

Les médecines alternatives se sont approprié une idée bien présente dans la médecine conventionnelle. Dans les écoles, les médecins se voient enseigner qu’une bonne prise en charge nécessite de considérer le patient dans son ensemble et pas uniquement de traiter la maladie, de prendre en compte d’autres informations sur son environnement, son histoire. Et, normalement, le dossier médical d’un patient contient de telles données. Les bons cliniciens sont ceux qui s’intéressent à la famille du patient, son mode de vie, son travail, le stress, son éducation, ses habitudes alimentaires, sa situation socio-économique, ses croyances et toutes sortes d’éléments qui peuvent avoir un impact sur la prise en charge.

19. Les traitements alternatifs sont individualisés, et ne peuvent donc pas être évalués comme les produits pharmaceutiques

Tout traitement, quel qu’il soit, doit être analysé et évalué selon la méthode scientifique. Prenez par exemple un homéopathe qui délivre un traitement individualisé à un nombre suffisamment grand de patients. Il est possible de choisir aléatoirement certains traitements qui seront substitués par un placebo, en prenant soin de les faire administrer en double aveugle par une tierce personne. Ensuite, on peut évaluer statistiquement si les traitements initiaux sont en moyenne meilleurs que les placebos. Ainsi, les résultats de traitements individualisés peuvent bien être évalués et comparés avec les traitements conventionnels.

20. Les traitements naturels ne sont pas testés car ils ne peuvent être brevetés et il n’y a pas de profits faits avec eux

C’est absurde. La moitié des médicaments ont été développés à partir de plantes. Si la plante elle-même ne peut être brevetée, l’entreprise de médicament peut isoler la substance active et breveter le procédé, ou encore l’améliorer avec une version plus efficace et avec moins d’effets secondaires. Elle peut breveter la méthode de transformation de la plante en pilule. Il y a beaucoup d’argent à faire autour des plantes médicinales, des compléments nutritionnels, ou même avec les bonnes vieilles vitamines. Des milliards de dollars de profits sont ainsi générés chaque année.

21. Le traitement X a bien marché sur moi...

Peut-être... ou peut-être pas. Tout ce que vous pouvez constater, c’est que vous allez mieux, mais vous ne pouvez pas savoir de façon certaine si c’est grâce à lui. Ce peut être une erreur logique de type hoc ergo propter hoc (« à la suite de cela, donc à cause de cela »). Vous pouvez ne pas être capable d’envisager d’autres explications, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y en a pas. Le psychologue Barry Beyerstein a détaillé les différentes façons par lesquelles les personnes peuvent se convaincre de l’efficacité de faux traitements : ce peut être l’évolution normale de la maladie, le retour à une phase moyenne de symptômes cycliques, une erreur dans le diagnostic ou le pronostic, la concomitance de plusieurs traitements et le crédit donné à l’un d’eux particulièrement, l’effet placebo ou encore une amélioration passagère de l’humeur confondue avec la guérison*.

* www.quackwatch.com/01QuackeryRelate...

22. Vous ne pouvez pas critiquer si vous n’avez pas essayé sur vous- mêmes

Essayer sur soi-même un traitement n’est pas une manière fiable de l’évaluer. L’expérience personnelle peut sembler extrêmement convaincante, mais elle est trop souvent trompeuse. En réalité, elle tend à interférer sur la capacité de chacun à évaluer les faits scientifiques de façon objective. Si les symptômes disparaissent, vous n’avez aucun moyen de savoir si c’est grâce au traitement, s’ils auraient disparu de toute façon, ou si une autre cause peut expliquer l’amélioration. C’est pourquoi la science utilise des « groupes de contrôle ». Si vous subissez un jour un traitement, et que vous allez mieux ensuite, il vous semblera raisonnable de recommencer par la suite face aux mêmes symptômes. Mais cette expérience personnelle ne peut tenir lieu de preuve d’efficacité.

23. Tant de personnes utilisent le traitement X, elles ne peuvent pas toutes se tromper...

Si, elles le peuvent ! L’argument de la popularité est un argument erroné qui n’indique nullement la vérité. Pensons juste au nombre de personnes qui croient aux horoscopes ou qui consultent des voyants. Pendant des siècles, on a cru aux vertus des saignées pour équilibrer les humeurs et guérir des maladies. Ce n’est que quand des tests correctement menés ont été pratiqués que les médecins ont découvert qu’ils avaient tué plus de patients qu’ils n’en avaient aidé*.

* Voir La naissance de la médecine scientifique (1) : Face au scorbut et aux saignées. (traduction du chapitre 1 de leur livre, maintenant publié en français : Médecines douces : info ou intox, Cassini 2014).

24. Utilisé depuis des siècles, cela aurait été abandonné si ça ne marchait pas

L’argument de la « sagesse des anciens » qui nous remonte de l’Antiquité est erroné. Nos ancêtres ont trouvé quelques remèdes efficaces par essais et erreurs, mais ne disposaient pas de l’avantage procuré par la connaissance scientifique. Ils ne savaient pas comment tester les remèdes et ne pouvaient pas faire la différence entre la sagesse des anciens et des erreurs répétées de génération en génération depuis l’ère préscientifique.

25. C’est naturel, donc c’est sans danger

Pas nécessairement. Beaucoup de substances naturelles sont des poisons mortels. Tout traitement naturel se doit d’être testé pour son efficacité, mais aussi pour son absence de danger, selon les mêmes standards que ceux mis en œuvre pour les traitements « non naturels », tels que les produits pharmaceutiques. Certaines plantes peuvent faire office de médicaments et tout ce qui est actif a aussi des effets secondaires. Bien que supposés sans danger, des traitements à base de plantes ont été rigoureusement évalués, comme le sont les médicaments normaux, et certains se sont révélés dangereux.

26. Pourtant, on montre des corrélations entre X et Y...

Corrélation n’est pas preuve de causalité. L’augmentation du nombre de cas d’autisme diagnostiqués est presque parfaitement corrélée avec la croissance des ventes de produits bio, mais cela ne veut pas dire que les aliments bio sont cause d’autisme. Des corrélations apparentes peuvent être dues au hasard, à des erreurs, à des données peu fiables ou à des tas d’autres choses. Ce peut ne pas être une vraie corrélation. Et même si c’était le cas, cela ne nous dirait rien du lien de causalité : une cause commune sous-jacente pourrait être l’explication.

27. Des centaines d’études montrent que le traitement X marche

La plupart des études mises en avant sont des études sur des animaux ou des études in vitro, quand il ne s’agit pas simplement d’opinions, de spéculations ou d’études non pertinentes. Les promoteurs de ces résultats ne vous disent en général pas qu’il existe des études de bien meilleure qualité scientifique qui montrent que le traitement X ne marche pas. On peut presque toujours trouver une étude à l’appui d’à peu près n’importe quelle allégation. La moitié des études publiées sont fausses, pour une grande variété de raisons bien expliquées par Ioannidis*. Il ne faut pas simplement considérer les études positives, mais l’ensemble de la littérature publiée sur un sujet. Et c’est là qu’interviennent les méta-analyses, qui elles-mêmes peuvent ne pas complètement refléter la réalité (des études négatives peuvent ne pas avoir été publiées par exemple). Enfin, souvenons-nous de ce que disait Carl Sagan : « Des affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires ». En effet, il faudrait vraiment une quantité extraordinaire de preuves avant de rejeter toute la science établie qui nous permet d’affirmer que l’homéopathie ne peut pas marcher comme elle le prétend.

* Ioannidis JPA (2005), Why Most Published Research Findings Are False. PLoS Med 2(8) : e124. doi:10.1371/journal.pmed.0020124

28. Pas besoin d’études, nous avons abondance de témoignages

Dix anecdotes n’ont pas plus de force qu’une seule. Et cent ne valent pas mieux que dix. Les anecdotes ne peuvent pas servir de preuve fiable et peu importe le nombre accumulé. Cette leçon doit être régulièrement répétée au regard de l’histoire de la médecine. Rappelons-nous les nombreux témoignages en faveur de la saignée tout au long du Moyen Âge et au-delà. Les anecdotes sont utiles, mais uniquement comme une heuristique indiquant des pistes à explorer scientifiquement.

29. Vous nous accusez de mentir ?

Non, nous pensons juste que vous dites sincèrement la vérité telle que vous la voyez. Nous croyons bien que vous avez eu l’expérience que vous relatez. Mais cela ne signifie en rien que votre interprétation de votre expérience soit la bonne.

30. Vous affirmez que le traitement X ne marche pas, mais vous n’avez fait aucune étude

Ce n’est pas que nous pensons que le traitement X ne marche pas, mais qu’il n’y a pas d’éléments qui puisse nous faire penser qu’il marche. La charge de la preuve incombe à celui qui affirme. Si je vous dis que mettre un jeton de poker dans votre réservoir d’essence vous donnera une plus grande autonomie, vous allez me demander de le prouver. Et ce n’est pas à moi de vous sommer de mettre en place une étude scientifiquement contrôlée pour prouver que ça ne marche pas.

31. Un médecin qui tenterait de publier des études allant à l’encontre de la ligne officielle, et montrant que le traitement X marche ou que la condition Y est vraie serait immédiatement excommunié par l’establishment médical

C’est le contraire qui se passerait. L’article serait analysé par ses pairs. S’il s’avérait de qualité, il serait publié et d’autres scientifiques reprendraient et approfondiraient le travail. Un médecin qui découvrirait une nouvelle maladie ou un nouveau traitement serait honoré pour cela. L’idée de traiter les ulcères par des antibiotiques plutôt que par des anti-acides allait à l’encontre de la « ligne officielle ». Et pourtant, les docteurs Marshall et Warren ont reçu le prix Nobel pour la découverte du rôle de la bactérie Helicobacter pylori. Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier ont reçu le prix Nobel pour la découverte du virus à l’origine du SIDA seulement deux ans après les premiers rapports rendant compte d’un « syndrome d’immunodéficience touchant la communauté homosexuelle ». Les vraies maladies et les nouveaux traitements sont très rapidement acceptés par la communauté médicale.

32. Vous ne pouvez pas savoir si vous n’avez pas l’expérience

Si, c’est possible. Pas besoin d’avoir été soi-même mordu par un serpent pour savoir comment traiter une morsure de serpent. Les hommes obstétriciens sont la preuve qu’on peut aider à mettre au monde un enfant sans avoir été soi-même enceinte. Nous pouvons savoir que les antibiotiques sont efficaces contre la pneumonie sans avoir été soi-même victime de la maladie. On peut lire la littérature médicale et apprendre beaucoup plus que tout ce qu’on peut espérer tirer de l’expérience personnelle.

33. Galilée aussi était moqué...

Ainsi que de tout génie isolé, ignoré de son temps. Bien sûr, tout excentrique peut un jour se révéler avoir eu raison, mais ce ne sera pas le cas pour la plupart d’entre eux. Si l’un d’entre eux lance une affirmation argumentée, nous pouvons regarder ses preuves. S’il fait une allégation absurde sans éléments de preuve, il s’expose à être raillé.

34. Le traitement X a été officiellement approuvé par... donc il marche

Les partisans des médecines alternatives invoquent l’autorité d’organismes aussi variés que les assurances maladies, les associations nationales d’acupuncteurs, de chiropracteurs ou de naturopathes, la justice, tel ou tel hôpital ou clinique... Ces organismes n’ont pas autorité dès lors qu’il s’agit de la vérité scientifique. Certains n’ont parfois aucune expertise scientifique. Ils sont influencés par des facteurs politiques ou économiques, par les attentes des consommateurs, par les différents lobbies, les manœuvres juridiques, etc. La question n’est pas le nombre d’autorités qui approuvent le traitement, mais la qualité des tests mis en œuvre pour valider une efficacité et évaluer les risques éventuels.

35. Le NCCAM procède à des études sur les médecines alternatives, c’est bien la preuve qu’il y a quelque chose

Le NCCAM* (National Center for Complementary and Alternative Medicine) est fortement influencé par les politiques et a déjà gaspillé des millions de dollars, provenant de l’argent des contribuables pour étudier des traitements improbables et sans valeur scientifique. Aucune des études financées n’a permis de mettre en évidence la moindre efficacité d’un traitement alternatif**.

* Le NCCAM (Centre national pour la médecine complémentaire et alternative) est l’un des 27 instituts et centres qui composent le National Institutes of Health (NIH) à l’intérieur du ministère de la Santé et des Services humains du gouvernement fédéral des États-Unis. En fonction depuis 1991, et après avoir dépensé des sommes astronomiques (on évoque près de 2 milliards de dollars), il n’a pas trouvé la moindre preuve d’efficacité pour aucune des médecines non conventionnelles étudiées. Il est à noter que, bien que l’existence même de cet organisme soit souvent remise en cause et qu’il se livre parfois aux recherches les plus farfelues, les études sont conduites avec soin, de manière scientifique, afin de savoir le plus rapidement possible si ces méthodes sont efficaces. Voir l’article de Jean Brissonnet : « L’irrationnel à l’assaut de la médecine fondée sur les preuves », SPS n° 305, juillet 2013. [Note de la rédaction]

** Mielczarek, E., Engler, B. 2012. Measuring Mythology : Startling Concepts in NCCAM Grants. Skeptical Inquirer 36(1) (January/February):35-43, 2012.

36. Certes, les études montrent que ça ne marche pas. Mais si ça marche pour moi et pour une minorité de gens comme moi... ?

C’est possible mais peu plausible. Si ça marchait pour un nombre minoritaire mais significatif de personnes, cela se serait vu dans les données recueillies, cela aurait impacté les statistiques et les conclusions des études. Si la minorité est trop petite pour être visible dans les statistiques, quelle est alors la probabilité pour vous de faire partie de ce petit groupe ? Comment le déterminer ? Le hasard irait contre le bon choix et il n’existe aucune manière rationnelle de choisir un traitement qui vous serait adapté parmi tous les traitements qui ont été évalués et se sont avérés inefficaces.

37. J’ai reçu un traitement inapproprié par un médecin. Je n’irai plus jamais consulter. Maintenant, je ne me fie qu’à mon naturopathe/ chiropracteur/ acupuncteur/ homéopathe (ou au témoignage de mes amis)

Si vous mangez de la nourriture avariée, allez-vous arrêter de manger ? Si vous remplissez votre réservoir avec de l’essence frelatée, allez-vous mettre de l’eau à la place ? Tout le monde peut faire une erreur, et certains médecins sont incompétents. La solution la plus rationnelle est de rechercher un autre médecin, pas de changer pour une personne moins compétente et qui ne fonde pas ses avis sur la science.

38. Je n’ai pas les moyens de me payer la médecine classique*. Les médecines alternatives coûtent moins cher

Si ça coûte moins cher mais que ça ne marche pas, où est l’économie ? L’eau coûte moins cher que l’essence, mais elle ne fera pas avancer votre voiture.

* Le système de soin et de protection sociale aux USA est différent de celui de la France et l’accès au soin de certaines parties de la population est rendu particulièrement difficile pour des raisons financières. [Note de la rédaction]

Amis lecteurs,

Comment auriez-vous vous-mêmes répondu à ces questions ? Que pensez-vous de cette argumentation ?Quelles autres questions auriez-vous posées ? Quelles questions vous pose votre entourage ?

écrivez-nous !

39. Mon médecin m’a dit que tout allait bien, alors que mon thérapeute alternatif a trouvé des éléments qui devaient être traités sur la base d’analyses que la médecine conventionnelle se refuse à faire

Si la médecine conventionnelle ne procède pas à certains tests, vous êtes-vous demandé pourquoi ? Il y a peut-être une bonne raison. Ont-ils été validés ? Quelles spécificité et sensibilité ? Quelle est la probabilité de « faux-positifs » ? Ce peut également être l’un de ces innombrables pseudo-tests et pseudo-diagnostics qui abondent dans le monde des thérapies alternatives.

40. La médecine conventionnelle n’a aucun traitement disponible pour ma maladie

Les médecines alternatives non plus. Peut-être vont-elles vous affirmer le contraire, mais tout ce qu’elles auront à vous proposer, ce sont de faux espoirs et une perte de temps et d’argent. Il peut être plus sage d’accepter l’absence de traitement efficace connu pouvant vous guérir, et de se concentrer sur la prise en charge permettant d’améliorer votre qualité de vie.

41. La médecine conventionnelle fait parfois des choses épouvantables... balayez d’abord devant votre porte...

La médecine conventionnelle est imparfaite, mais elle sait se remettre en cause. Les traitements sont régulièrement réévalués et ceux qui s’avèrent inefficaces sont écartés. Les médecines alternatives n’ont pas cette tradition d’autocritique. Les praticiens des médecines alternatives ne rejettent jamais un traitement, même si les faits prouvent qu’il est inefficace.

42. La science officielle n’est fondée qu’à 15 % sur des preuves

C’est inexact. Cette estimation provient de la mauvaise compréhension d’une étude qui date d’une cinquantaine d’années. Bob Imrie a analysé* la littérature et a trouvé qu’en réalité 78 % des traitements s’appuient sur des preuves évidentes, et 38 % sur des essais randomisés. Le neurologue Steven Novella estime** que la quasi-totalité des traitements qu’il recommande sont fondés sur les meilleures preuves disponibles, associées à ses propres interpolations rationnelles et plausibles, ainsi qu’aux preuves de l’absence de dangerosité. Mais réfléchissons à ceci : même si le chiffre de 15 % était exact, cela ne vaudrait-il quand même pas mieux qu’une médecine uniquement fondée sur le témoignage ?

* R. Imrie and D.W. Ramey, “The evidence for evidence-based medicine”, Complementary Therapies in Medicine (2000), 8, 123-126 © 2000 Harcourt Publishers Ltd.
** “How Much Modern Medicine is Evidence-Based”, Steven Novella, http://theness.com/neurologicablog/...

43. Pourquoi tant de médecins utilisent et prescrivent des médecines alternatives ?

La médecine est une science appliquée. Les étudiants en médecine doivent assimiler une très grande quantité d’informations en relativement peu de temps. Il est peu probable qu’ils interrogent leurs enseignants, qu’ils aient le temps de lire toute la littérature à l’appui de ce qui leur est enseigné. On ne leur a pas appris à évaluer des travaux de recherche et ils ne sont pas sensibilisés aux faiblesses des arguments des médecines alternatives. Beaucoup de médecins ont des connaissances scientifiques mais peu comprennent la méthode scientifique. Et parmi ces derniers, certains préfèrent l’ignorer. Il y a ceux qui « haussent les épaules » et pensent que les allégations des médecines alternatives sont sans importance, il y a ceux qui sont tellement débordés par leur travail qu’ils ne trouvent pas le temps de mettre à jour leurs connaissances.

44. Finalement, si les médecines alternatives font que les gens se sentent mieux, pourquoi les en empêcher ? Et si ce n’est qu’un placebo, où est le problème ?

Les placebos ne sont pas éthiquement acceptables. Les placebos ont des effets relativement limités, et peu durables dans le temps. La déception s’ensuit. L’utilisation d’un placebo peut retarder ou même remplacer la mise en œuvre d’un traitement efficace. Un placebo peut faire qu’un patient asthmatique a l’impression de pouvoir mieux respirer alors qu’objectivement, les performances de la fonction pulmonaire ne sont pas améliorées. Il reste exposé au risque d’une crise d’asthme qui peut lui être fatale. Comme le proclame un T-shirt à succès : « La science, ça marche. Bordel ! »*. Il n’y a pas d’autres bases pour les traitements médicaux qui prétendent rivaliser avec elle. Ceux qui dénigrent la médecine officielle jouent un jeu perdant.

* « Science, it works, bitches ». Reprenant aussi les propos d’une conférence de Richard Dawkins. https://www.youtube.com/watch?v=rj3... qui lui même avait repris le texte d’un dessin de Munroe (http://xkcd.com/54/). [Note de la rédaction]

1 Le terme anglais CAM (complementary and alternative medecines) a été traduit par « médecines alternatives ». [Note de la rédaction]

Publié dans le n° 311 de la revue


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L' auteur

Harriet Hall

Harriet Hall est médecin retraitée de l’armée de l’air. Elle a beaucoup écrit sur les pseudo-sciences et les (...)

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