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Le sixième sens

Publié en ligne le 20 octobre 2008
Le sixième sens
Science et paranormal
Marie-Monique Robin, avec Mario Varvoglis
éditions du Chêne, 2002. 192 pages

Transmission de pensées, rêves prémonitoires, spiritisme, réincarnation, guérison par imposition, efficacité des prières. L’ensemble des ces sujets sont abordés dans l’ouvrage écrit par Marie-Monique Robin avec l’aide de Mario Varvoglis 1. Marie-Monique Robin est journaliste et grand reporter. C’est à « une véritable enquête d’investigation sur les phénomènes paranormaux » (4e page de couverture) que le lecteur est convié 2.

Disons-le d’entrée : en guise de résultats de cette « véritable enquête d’investigation », vous ne trouverez qu’une présentation, chapitre après chapitre, de toutes les « disciplines » du paranormal, et pour chacune d’elles, témoignages, « études » à l’appui, l’affirmation que « ça marche et c’est vérifié ». L’ouvrage, richement illustré, met bien en avant à chaque section un état de la « recherche scientifique ». Mais là où le lecteur pourrait s’attendre à trouver une des nombreuses mises au point ou études qui invalident régulièrement les allégations du paranormal, on lira au contraire une présentation complaisante des « travaux » menés dans les différents « laboratoires du paranormal » de par le monde, érigés pour l’occasion en « science ». De l’« autre science », celle qualifiée de « science officielle », il n’en est pas question. Ou sinon, pour en utiliser les termes et laisser croire que tables tournantes, télépathies et guérisons miraculeuses pourraient s’expliquer par la mécanique quantique, la relativité ou la neurologie, au prix d’« explications » le plus souvent indigestes, comme nous le montrons plus loin.

Des « phénomènes avérés »

La télépathie serait ainsi une réalité incontestable, un « phénomène universellement reconnu » (page 16) et une faculté déjà présente dans les cultures primitives selon « de nombreuses études anthropologiques » (page 14). Aucune référence n’est donnée à cette affirmation (comme à quasiment toutes celles avancées dans l’ouvrage), mais de nombreux « cas » illustrent le propos, tirés de la littérature spécialisée, expériences personnelles souvent poignantes, telle l’histoire de la maman de la petite Ruthie qui revient juste à temps pour sauver sa fille d’une noyade. Vient ensuite une énumération des « avancées scientifiques » de la télépathie : la distance n’affecte pas la réalité du processus télépathique, « le psi n’est pas bloqué par [des] barrières physiques », que ce soit une cage de Faraday, ou « un volume d’eau aussi massif que celui d’un océan » (dans un sous-marin).

La clairvoyance, c’est-à-dire la « capacité d’un sujet à obtenir des informations sur des lieux éloignés ou des évènements se déroulant hors de sa présence », cette capacité « régulièrement sollicitée par la police pour retrouver des personnes disparues » (page 36) est également présentée comme une réalité qui ne fait aucun doute. Les témoignages se succèdent à nouveau, tel celui du reporter Beverley Nichols qui « voit » depuis l’Angleterre l’assassinat de Kennedy en 1963. Les travaux de J. B. Rhine figurent en bonne place, ses « appareils de contrôle et [ses] protocoles rigoureux » (page 11) sont salués. Pourtant, si la bonne foi de J.B. Rhine (1895-1980) est parfois reconnue, plusieurs dizaines d’années après sa disparition il ne reste de celui qui tenta de donner des lettres de noblesses scientifiques à la parapsychologie que des expériences jamais reproduites, une naïveté méthodologique et des fraudes avérées de certains de ses collaborateurs (voir encadré), fraudes que J. B. Rhine n’a jamais voulu dénoncer.

Joseph Banks Rhine (1895-1980) était un psychologue qui, déçu par la tricherie constatée dans les milieux du spiritisme, voulut donner une base scientifique à la recherche psychique. Après avoir un temps prêté crédit aux pouvoirs d’un cheval « lecteur de pensée » (capable de deviner un chiffre ou un lettre mentalement choisie) jusqu’à ce que le magicien Milbourne Christopher démontre qu’il s’agissait d’un simple tour de foire bien connu, il créera son propre laboratoire à la Duke University, et procédera à de nombreuses expériences sur la précognition, la perception extra-sensorielle et la télékinésie. Le manque de rigueur méthodologique et l’échec à reproduire les résultats énoncés ne feront que marginaliser J.B. Rhine au sein de la communauté scientifique. Les tricheries constatées à propos de plusieurs de ses collaborateurs (que Rhine n’a jamais voulu dénoncer) entachent définitivement le crédit de l’entreprise. À propos de J.B. Rhine, voir par exemple l’ouvrage de Martin Gardner, Fads and Fallacies in the Name of Science (1957) paru en France sous le titre mal choisi Les magiciens démasqués (1966).

La précognition et la voyance font l’objet d’un même traitement : témoignages (par exemple les évènements du 11 septembre vus à travers de nombreux rêves ou « flashs » prémonitoires) faits historiques, « études » dont la description devient lassante, et supposées ne laisser aucun doute sur la réalité du phénomène. À l’occasion, on nous ressert l’éternelle histoire du Titanic, dont un roman aurait prédit quatorze années à l’avance le naufrage, nombreux détails à l’appui (voir encadré).

Le roman qui avait prédit le naufrage du Titanic

Combien de fois n’avons-nous pas entendu parler d’un roman prévoyant avec détails quatorze ans à l’avance la fin tragique du transatlantique ! Gageons que le prochain millénaire continuera à propager cet argument fort en faveur des phénomènes paranormaux. Il est vrai qu’il y a de quoi être étonné : en 1898 soit quatorze ans avant la catastrophe du Titanic, un auteur américain Morgan Robertson publiait son roman : Le Naufrage du Titan. Il y est question du naufrage, suite à la collision d’un super-transatlantique avec un iceberg, le Titan, long de 800 pieds, d’une capacité de 3 000 passagers, déplaçant 75 000 tonnes et propulsé par trois hélices, à la vitesse de croisière de 25 nœuds. Le roman évoque des milliers de victimes, car le paquebot n’était pourvu que de 24 canots de sauvetage. La ressemblance avec le Titanic est troublante, jusqu’au nom même du navire : Titan au lieu de Titanic.

Roman prémonitoire ? Dons de voyance de l’auteur ? En 1994, Martin Gardner propose une explication plus rationnelle (article traduit en français par Robert Lavallée dans le Québec sceptique, et reproduit dans Nouvelles brèves, la revue du comité Para belge).

L’élément clé est une manchette provenant du New York Times du 17 septembre 1892, c’est-à-dire six ans avant la publication du roman de Robertson.

« Londres, 16 septembre 1892 – La compagnie White Star a mandaté le grand constructeur naval Harland & Wolf de Belfast pour construire un transatlantique qui brisera tous les records de dimension et de vitesse. Le navire a déjà été baptisé Gigantic ; il fera 700 pieds de long, 65 pieds et 7 pouces et demi de large et possèdera une puissance de 45000 CV. On prévoit qu’il atteindra une vitesse de croisière de 27 nœuds. De plus, il possèdera trois hélices, deux seront disposées comme celles du Majestic et une troisième sera placée au centre. Ce navire devrait être prêt à prendre la mer en Mars 1894. »

Martin Gardner rappelle que, si finalement le Gigantic n’a pas été construit au moment où Robertson écrit son roman, la White Star a déjà construit l’Oceanic, le Britanic, le Teutonic et le Majestic et prévoyait de construire un second Oceanic puis un Celtic, un Cedric, un Baltic, un Adriatic, un Olympic et le Titanic... »

In Science et pseudo-sciences – numéro 241 – mars 2000


La psychokinèse, « mouvement imprimé sur des objets physiques par le mental sans intervention extérieure d’aucune sorte » est l’objet du chapitre suivant. L’esprit peut influencer le jet d’un dé (J.B. Rhine de nouveau invoqué), un système lumineux, perturber des générateurs de nombres aléatoires. Là encore, de vieilles histoires démystifiées depuis longtemps sont réactualisées. Ambroise Roux, patron de la Compagnie Générale d’Électricité (et non pas des Eaux, comme indiqué dans le livre) avait créé dans son entreprise un laboratoire de parapsychologie. Alors que l’affaire a été oubliée, que le laboratoire a fermé, n’ayant rien apporté de concret, Marie-Monique Robin nous apprend qu’Ambroise Roux « [a obtenu] des résultats très significatifs ». Les poussins de Peoc’h enfermés dans une cage pouvant attirer un mobile (un cylindre appelé tychoscope) par la seule force de leur pensée sont bien entendu présents : « et ça marche : le cylindre s’approche deux fois plus de la cage qu’il ne le devrait » (page 91) 3. Des hypothèses audacieuses sont même avancées : si les attentats de New-York du 11 septembre 2001 étaient en réalité le produit d’un réseau de force psy, une sorte de « conscience globale planétaire » ? « C’est notamment l’hypothèse de Dean Radin, auteur de The Conscious Universe, un ouvrage unanimement salué pour la rigueur de sa démonstration » (page 92).

Toujours au chapitre de l’influence du mental sur la matière, les prêtres guérisseurs, les chamans, les magnétiseurs (toucher thérapeutique) « ouvrent d’immenses perspectives dans le domaine médical » (page 96). Les miracles de Lourdes, l’histoire du « Yogi enterré vivant pendant six semaines » servent d’introduction à ce chapitre. Dans les « immenses perspectives » évoqués, on peut également relever la prière. L’efficacité est sans limite : des guérisseurs se concentrant sur les photos de malades du SIDA auraient permis à ce groupe d’être atteint de moins de maladies opportunistes qu’un groupe témoin ne bénéficiant pas de ce traitement (page 113). Élisabeth Targ a ainsi mené plusieurs expériences sur l’influence de la prière à distance sur des malades gravement atteints. Pour l’une d’entre elles, la fraude a été dénoncée 4. Mais le lecteur ne le saura pas.

Cette longue énumération se poursuit : la lévitation, les tordeurs de cuillers, les tables tournantes, la vie après la mort, la réincarnation… Autant de sujets présentés comme réels, prouvés (et ici comme dans les autres chapitres, sans jamais de références précises ni sérieuses), et faisant l’objet d’actives recherches scientifiques. Ainsi, les tables tournantes que l’on croyait rejetées au rang des curiosités historiques de la fin du XIXe siècle sont réhabilitées : « Dans les années 1960, reprenant à son compte les pratiques, et non les croyances, des séances spirites, [Kenneth Batcheldor] crée donc son propre groupe qui, pendant plus de quinze ans, accumule un nombre considérable d’observations bien contrôlées : coups frappés, mouvement et lévitation complètes d’une table pesant plus de 10 kilos, déplacements d’objets ». (page 134). Qu’est-ce qui fait que ces expériences marcheraient alors que de nombreuses autres expériences « bien contrôlées » également avaient conclu à la tricherie ? Tout simplement le climat favorable qui doit régner autour des spirites. Dit autrement, c’est l’esprit scientifique sceptique qui a fait s’évanouir le phénomène, et Kenneth Batcheldor et son groupe, par son attitude ouverte « neutralisent les peurs et constituent ainsi le contexte idéal pour induire les dynamiques sociopsychologiques qui sont à la base des phénomènes PK [psychokinésie] » (page 134).

Einstein, enrôlé malgré lui !

Albert Einstein est la caution incontournable pour tous les partisans du paranormal. Élizabeth Teissier ouvrait ainsi sa « thèse de sociologie » par une citation du célèbre physicien affirmant que « l’astrologie est une science en soi, illuminatrice », en laquelle il déclarait « [avoir] beaucoup appris ». Citation inventée de toute pièce, mais qui circule largement sur Internet (voir Einstein et l’astrologie : une citation fausse qui a la vie dure dans Science et pseudo-sciences n° 250). Les fausses citations d’Einstein sont légion. Mais, faute de référence précise de la part de ceux qui les reproduisent, en apporter la preuve est souvent délicat. Marie-Monique Robin imite Élizabeth Teissier, faisant dire au découvreur de la théorie de la relativité que « la télépathie a probablement plus de choses à voir avec la physique qu’avec la psychologie » (page 23). Marie-Monique Robin s’est appuyée sur Mario Varvoglis pour l’écriture de son ouvrage. Une simple recherche Google sur le site de l’Institut de Métapsychique International, dont Mario Varvoglis est président, lui aurait permis de lire un article évoquant les « extrapolations abusives » et les « rumeurs sur l’attitude d’Einstein envers la parapsychologie », étayées par deux lettres de 1946 écrites par le physicien 5. Il n’était même pas besoin, pour garder un esprit critique sur cette citation, de lire les sites scientifiques ou rationalistes…

Explications scientifiques

Si la réalité des phénomènes ne fait pas de doute pour Marie-Monique Robin, l’« investigation » se devait d’apporter une « explication scientifique ». Cette dernière se présente sous la forme d’un mélange assez indigeste de termes issus de la relativité et de la mécanique quantique, une sorte de jargon où le profane ne peut qu’être impressionné par la référence aux grands noms de la physique, et où le spécialiste se demande comment une telle incompréhension de ces grandes lois de la physique peut prétendre à la crédibilité (voir encadré).

Principe d’incertitude, non-localité sont passés à la moulinette de la réécriture, des approximations. On remplace instrument de mesure par observateur, et observateur par conscience pour déduire que la conscience peut influencer la matière. On utilise l’intrication quantique pour montrer que la télépathie a une base (deux esprits restent en contact comme deux particules liées). On utilise les particules d’antimatière pour montrer que l’on peut remonter le temps, et donc que la voyance est fondée.

L’encadré ci-dessous donne quelques exemples de ces « raisonnements », de ces termes scientifiques brandis à la face du lecteur, de ces phrases qui utilisent des termes techniques en les accommodant souvent avec dans un jargon sans réelle signification.

La mécanique quantique et la relativité malmenées

Citations extraites du livre :

« S’appuyant sur la théorie de la relativité […] mais aussi sur la mécanique quantique qui fait de l’observateur, des appareils de mesure et des particules observées un ensemble indivisible, le physicien anglais David Bohm propose le concept d’un “ordre impliqué de l’univers”. En accord avec la vision d’Einstein avec qui il a travaillé, il pense que les événements apparaissant comme aléatoires au niveau subatomique doivent être sous-tendus par un ordre déterministe, où tous les objets et phénomènes, mais aussi les psychismes, seraient reliés entre eux grâce à des connexions non-locales. D’où les phénomènes de clairvoyance » (page 52).

« Dans l’infiniment petit, la conscience et la matière sont intimement liées… » (page 7)

« Pour des physiciens tels qu’Olivier Costa de Beauregard, en spacialisant le temps, la théorie de la relativité implique sa réversibilité et donc la possibilité qu’un signal puisse se mouvoir en avant et en arrière sur l’axe temporel, ce qui expliquerait les phénomènes précognitifs. C’est ce qu’avaient postulés les physiciens John Wheeler et Richard Feynman (prix Nobel 1965) en formulant en 1945 leur théorie de l’absorption des radiations : entre l’émission de lumière par un atome et son absorption par un autre, il existe non seulement des “ondes retardées” émises par l’atome-source et allant vers l’atome-récepteur, mais aussi des «  » ondes avancées” émises par l’atome-récepteur et allant vers l’atome-source, c’es à dire vers le passé. […] Ce développement fonde la possibilité théorique qu’un évènement ait des répercussions non seulement après sa survenue, mais aussi avant. Un exemple concret : imaginons que nous pensions fortement à quelqu’un que nous n’avons pas vu depuis des mois et que nous recevions quelques minutes plus tard un coup de téléphone de cette personne. […] la perception même de l’évènement produirait à la fois des ondes avancées qui se propagent vers le passé […] provoquant l’éclair de précognition comme une sorte de “mémoire du futur” », (page 72).

« Les théories qui tentent d’expliquer la micro-PK s’appuient sur la physique quantique qui a remis en question la notion d’objet en démontrant que la matière peut apparaître tantôt sous la forme de particules, tantôt sus la forme d’ondes (principe de complémentarité). De plus elle postule que la structure de la matière est non pas déterminée, mais strictement probabiliste […]. C’est au moment de la mesure qu’ils se fixent dans un état spécifique, selon les lois du hasard. Ainsi que l’a notamment montré Heisenberg, le rôle de l’observateur est prépondérant puisque, par ses choix (appareillage et protocole), il participe à la mise en forme de la réalité. Pour le physicien Eugène Wigner, c’est la conscience qui permet d’effectuer la réduction du paquet d’ondes à une particule localisée dans l’espace » (page 94).

« Pour certains théoriciens, la bio-PK serait due à une forme de communication mentale entre le patient et le sujet psi ; pour d’autres, elle s’expliquerait par le transfert d’une énergie encore inconnue mais que la science ne saurait manquer de “découvrir” dans un avenir proche » (page 116).

« Reprenant la théorie de Karl Pribam selon laquelle le cerveau fonctionne de manière holographique, il avance que la conscience, située dans l’espace-temps super-lumineux, se projette sous forme d’hologrammes dans notre univers sous-lumineux, le cortex cérébral servant d’interface entre les deux. Certains individus, par suite d’un défaut du système de filtre de leur cerveau, peuvent ainsi accéder au domaine de la conscience où à l’univers super-lumineux. » (page176).

Relativisme : « exit l’objectivité »

Paradoxalement, en même temps que la caution scientifique est recherchée, une posture relativiste est revendiquée : « Depuis les Lumières, les sciences de la vie et de la matière se définissent comme “objectives”, c’est-à-dire qu’elles prétendent donner une représentation universelle du monde, totalement indépendante de l’observateur. Or la mécanique quantique a tout bouleversé […]. La “réalité” [observée] est donc engendrée par l’intervention de l’expérimentateur. Plus d’objectivité ! Dans l’infiniment petit, la conscience et la matière sont intimement liés… » (page 77). « L’état final ainsi observé, c’est-à-dire la “réalité”, est donc engendré par l’intervention de l’expérimentateur. Exit l’objectivité ! » (page 7, Introduction).

Plus d’objectivité. Le pas est alors vite franchi qui conduit à rejeter la possibilité d’expériences reproductibles. Et donc, la non-reproductibilité ne signifie plus l’absence de fait : « Autre critique des scientifiques purs et durs : […] la difficulté de reproduire les phénomènes [perception extrasensorielle, psychokinèse] en laboratoire. Or, depuis le XVIIe siècle, la seule méthode scientifique reconnue est la méthode expérimentale, qui consiste à répéter une expérience autant de fois qu’on le désire et dans des conditions rigoureuses pour obtenir des mesures toujours identiques d’où l’on peut déduire une loi générale. Rien de tel en parapsychologie, où les phénomènes sont rarement reproductibles à la demande, le facteur psychique jouant un rôle déterminant. » (page 77). Voilà qui est bien pratique, plus besoin qu’un phénomène soit reproductible pour acquérir le statut de fait avéré.

La science n’exige pas des phénomènes constants

Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le domaine de la science ne s’arrête en aucun cas aux phénomènes stables et parfaitement déterministes. Sur cette idée fausse, les pseudo-scientifiques – et certains journalistes comme Mme Robin – construisent régulièrement ce même sophisme qui consiste à dire « les scientifiques (officiels) ne peuvent pas appréhender la télépathie ni la complexité de l’inconscient via la psychanalyse, parce que ce ne sont pas des phénomènes stables ». Par exemple, on expliquera que le télépathe peut certes deviner sans difficulté si vous pensez « oui » ou « non », mais que les scientifiques ne pourront pas s’en rendre compte, puisque « ça ne marche pas à tous les coups » : on sort donc de l’absolu déterminisme, seul domaine supposé de la science, pour entrer dans celui des sciences « alternatives »… ou de la spiritualité.

Un brin de culture scientifique permet de ne pas se laisser berner par cette argumentation. Il y a longtemps que les scientifiques s’attachent à des phénomènes qui ne marchent pas à tous les coups. C’est évident pour la médecine : les traitements les mieux connus ne fonctionnent ni tout le temps, ni sur tout le monde. Pour autant, on est capable de déterminer avec une certitude remarquable si tel ou tel médicament (qui, encore une fois, ne fonctionne pas toujours) est globalement efficace ou non. En psychologie, les « effets » annoncés ne fonctionnent pas non plus sur tout le monde, et dépendent fortement du contexte. On sait pourtant les démontrer, notamment grâce aux statistiques.

Supposons donc que notre ami télépathe puisse deviner si je pense « oui » ou « non », mais que son formidable pouvoir, si utile aux policiers nous dit-on, ne fonctionne qu’une fois sur 50 (on peut dire alors que notre héros est un télépathe très relatif…). Dans ce cas, sur 100 essais, on aura en moyenne 2 bonnes réponses dues à la télépathie, et 49 (la moitié de 98) bonnes réponses dues au hasard… soit 51 % de bonnes réponses, au lieu des 50 % attendus.

Testons donc notre ami sur 10 000 essais qui donneront 5100 bonnes réponses, et on découvrira grâce aux statistiques, avec un risque de 5 % (le risque habituel en science humaines) qu’il est télépathe. Non seulement de tels tests ne sont pas hors de portée de la science, mais ils sont même régulièrement effectués dans les laboratoires de sciences (officielles) humaines… ils permettent par exemple de démontrer une tendance des humains à choisir « pile » au lieu de « face » quand on leur demande un tirage aléatoire dans un peu plus de 50 % des cas (60 % environ) : bien que cette tendance ne soit en aucun cas un phénomène constant, il est prouvable par la science.

Le sophisme dont nous parlons ici s’appuie souvent sur une confusion entretenue concernant le mot « reproductible ». Dire qu’une expérience est reproductible ne signifie pas que le télépathe réussira à chaque fois à deviner ce que je pense : c’est dire que sur toute suite de 10 000 essais, il fera mieux que les 50 % explicables par le hasard.

Nicolas Gauvrit

Scepticisme et rationalisme pris à partie

Les rats se moqueraient-ils des chercheurs ?

Les rats sont largement utilisés pour l’étude de comportements animaux. Mais attention, ces animaux sont malins. Là où un chercheur croira avoir trouvé un comportement intéressant, il n’aura peut-être que mis en évidence un apprentissage réalisé à des milliers de kilomètres sur d’autres rats.

En effet, si l’on en croit Marie-Monique Robin, les « champs morphogéniques de Sheldrake » expliqueraient cette propriété assez surprenante de contagion planétaire d’aptitude des rats : « C’est ainsi qu’un comportement nouveau observé chez les rats de laboratoire se reproduit chez les rats de tous les laboratoires du monde » (page 32).

Chacun des chapitres traitant d’une des « disciplines » du paranormal est accompagné d’un petit encadré intitulé « l’œil du sceptique ». Il est supposé rassembler les arguments avancés contre la réalité des phénomènes paranormaux allégués. Mais le sceptique ainsi présenté a tout de l’individu borné, énonçant des lieus communs. Ce n’est pas là non plus que l’esprit critique sera présent dans cet ouvrage. Exemple : « Compte tenu des arguments a priori contre, nous savons d’avance que la télépathie ne peut se produire, ce qui nous épargne l’effort d’analyser les expériences » Propos attribué à C.E.M Hansel membre du CSICOP (sans référence bien sûr).

D’une façon plus générale, on perçoit bien dans tout l’ouvrage un rejet de l’esprit des Lumières, de l’héritage rationaliste : « S’appuyant sur l’hypothèse aujourd’hui la plus répandue, selon laquelle les capacités psi seraient des facultés biologiquement innées chez tous être humain mais atrophiées car refoulées par l’éducation rationaliste prédominante… » (page 11). L’éducation rationaliste prédominante atrophierait nos capacités…

L’esprit critique, le seul esprit absent de l’ouvrage

Il s’agit donc d’un livre de plus qui présente comme réelles toutes les vielles lunes du paranormal, déjà maintes fois démystifiées depuis des dizaines d’années, voire parfois depuis plus d’un siècle. Mais c’est un livre particulier qui a servi de base à un reportage diffusé sur Canal+ 6, réalisé par une « journaliste d’investigation » célèbre, prix Albert Londres pour un reportage controversé.

Esprit critique, es-tu là ? C’est sans doute bien le seul esprit qui soit absent de cette prétendue « véritable enquête d’investigation ».

1 La 4e page de couverture précise que l’ouvrage est de Marie-Monique Robin, et ne cite pas Mario Varvoglis, dont le nom est pourtant associé en couverture.

2 Pourquoi cette note de lecture 6 ans après la sortie de l’ouvrage ? L’auteur, journaliste très médiatisée, est régulièrement invitée autour de sujets d’actualité et présentée par les reportages et enquêtes qu’elle a menés auparavant. Sa production (livre et documentaire) sur le paranormal est de celles-là. Un nouveau regard pouvant être porté par le public sur des productions anciennes de cet auteur passées alors plus inaperçues, nous avons jugé utile de porter nous aussi ce nouveau regard et d’éclairer nos lecteurs sur la sélection partielle et partiale de l’information rapportée dans cette « enquête » tout comme sur le fait qu’elle témoignait pour le moins d’une grande complaisance pour les pseudo-sciences et de difficultés réelles pour distinguer ce qui relève de l’imposture et ce qui relève de l’évaluation scientifique.

3 Pour une analyse critique, voir http://www.zetetique.ldh.org/poussi....

6 Diffusé sur Canal+ le 19 janvier 2004.


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