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Questionnaire sur la psychanalyse

Publié en ligne le 31 août 2008 -
Le 3 septembre 2007

Éric Le Grand
Certains psychanalystes proclament que la souffrance mentale n’est pas évaluable, que la psychanalyse ne l’est pas davantage. Mais d’un autre côté, ils revendiquent des améliorations thérapeutiques et affirment parfois des succès. Sans évaluation, sans protocole, sans critères explicites au nom de quoi rejeter les uns et pas les autres ? L’impasse de la méthodologie de l’évaluation de la psychanalyse est-elle soluble (accentuée par les querelles d’école et de théories) ?
Devant cette impasse, certains psychanalystes abandonnent les prétentions théoriques de la psychanalyse pour en faire une pure pratique de la cure. Comment croire alors à l’efficacité d’une thérapeutique qui procéderait entièrement à l’aveuglette, sans l’aide d’une théorie ?

Miguel Benasayag
Je crois que la psychanalyse traverse une crise très profonde, et que la plupart des psychanalystes essayent de la nier. Aujourd’hui, la psychanalyse n’est pas à la hauteur de cette crise.

É. L. G.
Freud a eu une influence énormément positive, une influence libératrice sur la culture du vingtième siècle. La psychanalyse a contribué à réduire la culpabilité liée au plaisir sexuel, après plusieurs siècles de conditionnement religieux qui avait enseigné la haine du corps à des millions de personnes.
Pensez-vous que la psychanalyse est le frère guérisseur du catholicisme ?

M. B.
Il y a du catholicisme dans la psychanalyse, dans la culpabilité, le surmoi, etc. Mais pas seulement.

É. L. G.
Face à l’épineuse question de l’évaluation et des tests empiriques, certains psychanalystes répondent que la psychanalyse dépend d’une autre méthodologie voire d’une autre rationalité. Pourquoi pas ? On utilise des méthodes pour étudier les étoiles, les atomes, les corps et les animaux, puis une autre méthode pour étudier les hommes au-dessus du coup. À l’examen, l’argument ne tient pas. Lorsqu’on affirme que tel ou tel traumatisme infantile a tel ou tel effet chez l’adulte, il s’agit d’une affirmation causale au même titre que celles concernant par exemple la gravitation universelle ou l’effet des gènes.
Croyez-vous à ces rationalités multiples ?

M. B.
Je crois que même Freud espérait que la psychanalyse puisse évoluer avec l’ensemble des sciences, chose qui, aujourd’hui, reste à faire.

É. L. G.
En accusant une mauvaise relation de la mère à son enfant comme cause de l’autisme, certains psychanalystes (Bruno Bettelheim en tête), ont privé de soins adaptés des générations d’enfants malades, laissant des parents culpabilisés. Il semble, même si cela est complexe, que la ou les causes de l’autisme soient neurobiologiques. L’autisme se manifesterait comme un trouble de la relation à autrui.
Avez-vous été confronté à ces résistances psychanalytiques dans la prise en charge de l’autisme ?

M. B.
Les collègues se sont comportés, en général, comme des gens très dogmatiques dans la question de l’autisme. Je crois qu’il faut plutôt penser dans des termes d’une causalité multiple et ne négliger aucune piste.

É. L. G.
Certains marxistes ou psychanalystes (pas tous) ont des réactions de rejet plutôt bizarres lorsqu’on parle de génétique ou des bases biologiques de nos comportements. Pour les plus extrêmes de ces environnementalistes, la seule évocation d’une dimension biologique ou génétique suffit pour agiter la menace d’un crime contre l’humanité. Génétique égale Hitler.
Avez-vous déjà été confronté à ces résistances, en tant que marxiste et psychanalyste ?

M. B.
Je travaille depuis très longtemps dans la recherche en neurophysiologie et pour moi il ne doit pas y avoir opposition entre les approches, mais les psychanalystes sont très fermés. En tant que marxiste, il faut se rappeler un peu plus que l’on est matérialiste.

É. L. G.
En théorie, la psychanalyse nous apprend que nombre de pathologies se constituent lors de la prime enfance. Certains dénoncent cette croyance que la totalité de nos troubles psychologiques trouverait son origine dans notre petite enfance. Ils émettent des doutes quant à la survie possible de souvenirs infantiles.
Pensez-vous que les traumatismes infantiles sont si présents dans notre vie adulte ? Est-ce un mythe des origines ?

M. B.
Je ne crois pas que ce soit, aujourd’hui, possible de continuer à travailler avec des croyances unidimensionnelles ou unicausales, l’enfance n’explique pas tout, loin s’en faut.

É. L. G.
En théorie, il y a la croyance établie que le ressouvenir de l’expérience princeps traumatisante libère ou adoucit du traumatisme. Beaucoup de personnes se souviennent du traumatisme qui est au départ d’une phobie sans que cela modifie leur réaction émotionnelle.
La parole est-elle si libératrice ?

M. B.
Non, je ne crois pas que la parole soit si libératrice, je crois qu’il y a là une contrebande dualiste et idéaliste.

É. L. G.
Pour la psychanalyse, l’inconscient est un autre moi, dictateur, indépendant et caché. C’est un sorte de noyau dur (sain, pur, caché) qui piloterait l’individu à son insu. Le but de la psychanalyse est de mettre à la conscience le fonctionnement de l’être inconscient, de révéler son autre moi ou vrai moi qui le commande.
Toujours un au-delà pur et sain pour ne pas voir notre en deçà multiple ? Est-ce un mythe des profondeurs ?

M. B.
Je crois qu’il faudrait plutôt travailler avec des modèles qui laissent derrière nous l’individu en tant que molécule indivisible, pour penser la multiplicité qui nous compose et qui est liée aux autres multiplicités.

É. L. G.
Inconscient, névroses, refoulé, transfert, complexe, stades... La psychanalyse a envahi nos vies. En France, la culture est littéralement annexée par la psychanalyse. Lorsque les élèves préparent le bac et tout au long de la formation des professeurs d’école, les idées de Freud (complexe d’œdipe, stades orales et anales) sont enseignées comme des vérités incontestables. Ce sont juste des constructions théoriques très hypothétiques sans tests empiriques.
Que pensez-vous de ce matraquage un peu délirant ?

M. B.
Je partage la position de Deleuze et Guattari dans L’Anti-œdipe, c’est-à-dire la psychanalyse comme fabrication d’individus pour et par notre société capitaliste et disciplinaire.

É. L. G.
Quasiment toutes les études montrent que, compte tenu du coût en temps et en argent, la psychanalyse est une thérapie beaucoup moins efficace que les Théories cognitives et comportementales (pour les troubles anxieux) et que les médicaments (pour les troubles bipolaires et psychotiques). Et la sexologie soigne assez vite les troubles érectiles et les éjaculations précoces.
Que pensez-vous des TCC ? De la sexologie ?

M. B.
La sexologie, je ne la connais pas assez pour en parler. La psychanalyse est en effet trop longue.

É. L. G.
Que pensez-vous des analyses interminables qui durent des dizaines d’années ? Y a-t-il une forme d’addiction ? Ne transforment-elles pas ces personnes en nombrilistes incapables de vivre tranquillement, sensiblement, énergiquement ou passionnément ? Une plainte interminable ?

M. B.
Oui, il peut y avoir une sorte d’addiction mais parfois c’est l’impossibilité pour des gens fragiles de vivre dans une trop grande solitude.

É. L. G.
On peut déchiffrer une névrose, mais cela ne change pas le désir. La psychologie scientifique pense que l’on peut changer certains comportements ou pensées.
Dans quelle mesure, peut-on se changer soi-même ? Décide-t-on de se changer ? Quels type de changement permet la psychanalyse ?

M. B.
On peut peu se changer, il s’agit plutôt de savoir s’agencer ou d’apprendre à le faire avec les autres pour mieux fonctionner.

É. L. G.
Le moi pose un problème de définition. d’un savoir intuitif et immédiat, on se rend vite compte que le moi existe et que personne n’est le clone d’un autre, ce qui nous rend unique. Mais dès qu’on veut le définir, on passe par l’idée, et par des universaux applicables à d’autres. Donc le moi échappe à l’abstraction, il est ineffable. Mon frère, psychologue, me dit que les comportementalistes nient le sujet.
La psychanalyse a-t-elle accès au moi ? Au vrai moi ? Le moi existe-t-il ? Le sujet existe-t-il ? Y-a-t-il un moi, un sujet ou un être derrière le faire, l’agir ou le devenir ?

M. B.
Non, ce sont là des fictions théoriques plus ou moins utiles pour le travail. Il est vrai que pour les comportementalistes la question du sujet ne se pose pas, mais d’autre part, ils renforcent le moi, c’est ma principale critique, leur recherche d’efficacité.

É. L. G.
La thérapie est consacrée à la recherche des traumatismes de la prime enfance, afin de s’en libérer par la conscience et la verbalisation. Les conséquences peuvent être graves, comme la création de faux souvenirs de traumatismes, avec parents accusés de viols ou de violences. Les patients peuvent accepter de fausses interprétations comme étant leurs personnalités profondes.
La neutralité bienveillante est-elle possible ? La demande de soin n’est-elle pas suggérée ? Peut-on nier l’intervention théorique du psychanalyste ?

M. B.
Le thérapeute n’est pas neutre, la cure doit être une création partagée.

É. L. G.
La psychanalyse fait du bien à certains. Il serait absurde de le nier. Cependant, beaucoup de psychanalystes reconnaissent que la psychanalyse ne guérit pas les patients, mais qu’elle les aide à mieux vivre et supporter ce qui auparavant les faisait souffrir.
L’amélioration est-elle due à la catharsis psychanalytique ou au bon mot au bon moment du psychanalyste ?

M. B.
La psychanalyse peut faire du bien, comme n’importe quelle autre activité. Le refus d’évaluation scientifique est très gênant.

É. L. G.
La psychanalyse transforme l’individu en une élite d’une certaine manière, car il a accès au fonctionnement et au langage de l’être inconscient (le vrai moi), alors que les autres en sont privés.
Comment faire confiance à cette élite ? Ne va-t-elle pas abuser de son pouvoir découlant de son savoir ?

M. B.
Il ne faut pas faire confiance à cette élite, d’autant plus que c’est là une illusion.

É. L. G.
Certains psychanalystes se moquent des sexologues bricoleurs qui ne soignerait que le dysfonctionnement sexuel. Pour eux, soigner le symptôme ne sert à rien : il faut s’attaquer à la racine du mal, par la cure plonger dans le fondement de l’être inconscient qui révélera les traumatismes infantiles cause des névroses.
Croyez-vous à ce mythe de la substitution des symptômes ? Au sens caché et profond que révèle la cure ?

M. B.
Non, c’est un peu simpliste.

É. L. G.
La profondeur freudienne se réduit toujours à quelques mêmes pulsions et complexes. Cela tourne autour de la libido réprimée (envie de pénis, castration, homosexualité refoulée, stades, complexe, schéma familialiste). Cela ressemble à un réductionnisme très simpliste, où le sexe est omniprésent.
La psychanalyse sexualise-t-elle à outrance ? Est-ce que le sexe est si présent et constitutif de nos vies ?

M. B.
Oui, la psychanalyse « génitalise » des problèmes existentiels et politiques de façon abusive.

É. L. G.
La psychanalyse n’a jamais démontré le moindre résultat dans le domaine des dépendances (drogues, alcool, tabac). De plus, le dogmatisme de certains psychanalystes a empêché d’orienter des toxicomanes durs vers les traitements de substitution (subutex, méthadone). L’attention flottante a valu quelques coups de poing ou de sang à des psychanalystes silencieux. C’est bête mais le drogué fragile (un brin paranoïaque) a besoin de cadre, de chaleur, de sécurité et de parole.
Avez-vous constaté ces résistances ?

M. B.
Pour ces patients-là, la psychanalyse se trouve, plus qu’ailleurs, encore en échec.

É. L. G.
Doit-on combattre l’idée que seuls ceux qui ont fait une psychanalyse peuvent critiquer la psychanalyse ? Freud n’a pas fait de psychanalyse didactique, ce qu’il a dit et écrit est nul et non avenu !

M. B.
Mais oui, tout le monde peut critiquer ce qu’il veut.


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