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Un monde fou, fou, fou : juillet-août 2005

Publié en ligne le 18 août 2008 - Rationalisme -

Technologie surnaturelle

La clé USB « Ghost Radar » de Solid Alliance détecte les fantômes !

Une clé USB 1 équipée contre les fantômes... c’est ce que propose la société japonaise Solid Alliance, avec un nouveau produit baptisé « Ghost Radar » 2.

Le principe est très simple : ce « détecteur de fantôme » émet un signal sonore en présence d’un champ magnétique anormal et permet ainsi à son heureux (et crédule) propriétaire de « prendre les mesures appropriées… » (passer l’aspirateur ou ouvrir la fenêtre, suggérerions-nous…).

Solid Alliance ne donne pas plus de renseignements sur le fonctionnement de cette clé USB de 128 à 512 mégaoctets qui coûte tout de même la bagatelle de 19800 yens (environ 140 €), mais Yuichiro Saito, son vice-président, précise « qu’il ne s’agit nullement d’un gadget mais réellement « d’un outil de mesure » ! » et que le « Ghost Radar » peut biper jusqu’à une fois par heure dans un lieu hanté » (il est sans doute lui-même allé réaliser de nombreux tests en Écosse…).

Impeccable démarche commerciale et mercatique (la démarche scientifique est loin !), puisque la crédulité humaine est probablement sans bornes… Mais quelques questions assaillent notre esprit trop bassement rationaliste.

Pour utiliser ce superbe outil technologique, ne faut-il pas commencer par supposer que les fantômes existent ? Pour croire en ses capacités, ne faut-il pas aussi supposer que les dits fantômes émettent un champ magnétique « anormal » ? Sans que l’on sache d’ailleurs précisément comment se caractérise et se quantifie cette anormalité de ces champs magnétiques particuliers. À proximité d’un écran d’ordinateur, nous craignons qu’on en détecte souvent. Ce qui pourrait corroborer l’idée que l’ordinateur est un vecteur privilégié que chercheraient à utiliser les fantômes pour communiquer avec les humains… De sacrés perspectives pour tous les paranormalistes en mal de recherches pseudo-scientifiques.

Les champs magnétiques étant émis, selon les théories physiques actuellement admises (et depuis quelques siècles), par des particules, ne faut-il pas alors admettre implicitement que les fantômes ont une teneur « matérielle » ? Exit alors les purs esprits égarés en ce bas monde. Juste de vulgaires champs magnétiques perdus dans des circuits informatiques, qui finalement seraient une bonne explication à ces plantages incontrôlés que l’on attribue à trop bon compte aux imperfections de Windows…

Ce qu’il y a de moins surnaturel dans cette petite histoire, ce sont sûrement les profits que ces habiles inventeurs nippons escomptent de la vente massive de leur petit joujou très mode.

Bravo les Débrouillards

La meilleure antidote contre les gourous de tous poils, les marchand de surnaturel, est sans aucun doute l’information scientifique… Et le mieux est de commencer le plus tôt…

Les Sceptiques du Québec, association similaire à la nôtre, a décerné le « Prix Sceptique 2004 » au magazine Les Débrouillards pour l’ensemble de son œuvre d’éducation scientifique auprès des jeunes et pour l’excellent article critique intitulé « Les pouvoirs paranormaux existent-ils ? », paru dans l’édition du mois d’avril 2004.

Les Débrouillards est un magazine qui s’adresse au 9-14 ans. Édité par Bayard Presse, il semble malheureusement qu’il ne soit diffusé qu’au Canada. Reste pour nos lecteurs de ce côté-ci de l’Atlantique l’accès à un site Internet qui devrait ravir les enfants 3.

L’article cité à l’appui de la récompense, « Les pouvoirs paranormaux existent-ils ? », est de la journaliste Sophie Malavoy. Il nous prouve, si besoin était, que l’on peut démystifier le paranormal de façon pédagogique et très vivante et expliquer l’approche scientifique de façon ludique et attractive à des enfants : « Lundi 8 h 40 : pendant un examen de mathématiques, Stef essaye désespérément de communiquer par télépathie avec Julie. Si seulement elle pouvait lui transmettre quelques bonnes réponses ! Ça marche bien dans les films, alors pourquoi pas en classe ?  ». Mais ça ne marche pas. « Malgré ses efforts de concentration, Stef n’a pas reçu de réponse de Julie ». Il aurait mieux fait d’apprendre ses leçons… « Après l’examen, Julie lui suggère d’adopter une attitude un peu plus critique plutôt que de croire tout ce que l’on raconte dans les films ou à la télévision ».

C’est sur ce chemin de l’esprit critique que nous conduit la journaliste : l’approche scientifique, les tests à mettre en œuvre, les esprits frappeurs, les astuces de ceux qui veulent faire croire aux fantômes, les explications des neurologues, ou simplement des explications de bon sens.

Après cette trop courte visite démystificatrice, Stef serait-il déçu ? Sans doute, car « il aime à croire à la télépathie et aux fantômes ». Et c’est normal nous rappelle la journaliste : « de tout temps, l’homme a eu besoin de croire à l’existence de phénomènes mystérieux. Qui n’a jamais rêvé d’échapper au monde matériel ou d’avoir des pouvoirs surnaturels ? »

Mais de conclure que l’important est de ne jamais perdre totalement son sens critique.

Bravo. Si vous avez des enfants entre 9 et 14 ans, imprimez-leur la petite plaquette des Débrouillards reproduisant l’article… Après la lecture, ils n’iront sans doute pas dépenser leurs économies dans une « clé USB chercheuse de fantômes »…

La psychologie au supermarché

Au Canada, dans les supermarchés d’Alberta, des socio-psychologues étudient le comportement des parents vis-à-vis de leurs enfants assis dans les chariots. Sont-ils attentifs à la sécurité de leur enfant ? Bouclent-ils la ceinture de leur siège ? Et si non, pourquoi ?
Leur diagnostic est surprenant, et, n’en doutons pas, soulèvera l’indignation des parents de jeunes enfants de 2 à 5 ans. Nos socio-psychologues de supermarché prétendent en effet avoir constaté que les enfants ayant de jolis minois étaient plus souvent attachés, donc mieux protégés que les autres.

Ils ont attribué ainsi à chaque visage d’enfant observé une note esthétique allant de 1 à 10… 426 familles furent ainsi jugées, dans 14 supermarchés différents. Les mères sont dans leur collimateur : elles attachent 13,3 % des enfants aux frimousses avenantes, contre 4 % de ceux aux visages ingrats.

Andrew Harell est le directeur de cette étude, menée par une équipe du département sociologie de l’université d’Alberta. Il n’hésite pas à se faire le chantre de la psychologie évolutionniste en affirmant que « si les parents, de manière inconsciente, protègent mieux les beaux enfants, c’est que ces derniers représentent un meilleur potentiel génétique et, donc, une meilleure garantie pour la survie de l’espèce.

Heureusement ces déductions hâtives et mal ficelées ne font pas l’unanimité. Le paléontologue Frans de Waal (Atlanta) lui oppose que si les parents favorisaient les beaux enfants pour qu’ils assurent la pérennité de l’espèce, il s’ensuivrait que ses représentants « laids » ne se reproduiraient plus, ce que l’on ne constate pas.

Ajoutons à cet argument d’autres critiques qui nous semblent importantes :
 Cette étude établit des critères tout à fait subjectifs (qu’est-ce qu’un beau visage ?) variant avec la culture et l’époque, pour en tirer un jugement normatif et figé, donc sans valeur scientifique.
 Un comportement humain ne peut relever d’une seule cause unique, et qui plus est la même pour tous. La multitude des caractères, la diversité des influences subies par chacun d’entre eux induit une pluralité de raisons possibles au comportement de ces parents.. Évoquons en une, très souvent avancée par les parents eux-mêmes : le refus de l’enfant d’être attaché (que ce soit dans un chariot ou en voiture). L’angoisse d’entrer en conflit avec leur enfant et de provoquer une colère en public, leur fait souvent renoncer à la tentative même. Après quelques essais, quelques colères, l’adulte renonce à toute proposition. Enfant-roi, enfant en danger…
 L’interprétation qui est faite à partir des constats semble mettre l’effet à la place de la cause. Ne serait-ce pas l’enfant bien entouré qui pétille de joie de vivre, ce qui le rend charmeur à plus d’un égard, même auprès d’un enquêteur de supermarché ?

Séduisante parce qu’elle nous renvoie à une nature prétendument profonde, la psychologie évolutionniste fait son chemin dans le grand public. Elle navigue sur une théorie du « gène égoïste », gène qui serait prêt à tout pour se reproduire, même à piloter nos gestes en faisant nos courses !

Source de l’info : Le Monde de dimanche 15 et lundi 16 mai 2005

C’est sérieux, c’est dans une publication scientifique…

Les partisans des pseudosciences, pour établir la crédibilité de leurs propos, mentionnent souvent le nom d’« illustres savants » qui soutiennent leur théorie, rapportent les « propos de Prix Nobel », citent les « nombreux articles » publiés dans des « revues scientifiques », énumèrent la liste des laboratoires qui prennent la « découverte » au sérieux. Bien souvent, le Professeur Archibald vous est inconnu, les citations, quand il s’agit de scientifiques reconnus, sont inventées 4 (mais ce n’est pas facile à le prouver dans le feu des polémiques)… Quant aux « nombreux articles », l’aventure qui suit montre qu’il faut rester vigilant 5.

Un charabia incohérent entièrement créé par un ordinateur et présenté comme un travail universitaire par trois étudiants du MIT (Institut de technologie du Massachusetts) a été accepté pour une présentation lors d’une conférence scientifique (Conférence mondiale sur les systèmes, la cybernétique et l’informatique qui doit se tenir à Orlando en juillet 2005). Guère convaincus par le niveau d’exigence de certaines conférences, les étudiants avaient élaboré un programme informatique permettant de générer automatiquement des articles de recherche remplis de phrases, diagrammes et tableaux totalement ineptes, telles que « Le modèle de notre heuristique se compose de quatre éléments indépendants : le trempage simulé, les réseaux actifs, les modalités flexibles et l’étude de l’apprentissage du renforcement. ».

Les organisateurs de la conférence invoquent des évaluations non parvenues et le souci de ne pas disqualifier a priori des auteurs.

Outre qu’une simple lecture par n’importe quel membre du comité de rédaction aurait sans doute suffi, cela prouve qu’une « publication »… ne prouve rien.

Il faut savoir garder son sens critique et se méfier des « Professeurs Archibald » comme des « nombreuses publications » parfois lancées à la figure de l’esprit sceptique.

Coriolis TV

La TNT arrive… La télévision numérique terrestre va permettre l’accès par voies hertziennes à un bouquet d’une douzaine de chaînes en qualité numérique. Pas besoin de parabole inesthétique et coûteuse à accrocher à sa fenêtre, pas d’abonnement payant. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel est chargé d’étudier les dossiers des chaînes candidates. Nous ne nous faisons guère d’illusions. Les heureuses élues seront d’abord les versions numériques des grandes chaînes hertziennes, déversant déjà leur flot de reality show et de feuilletons insipides… puis les « nouvelles » qui ne cherchent qu’à imiter les premières. Pourtant, une petite lueur d’espoir se profile. Coriolis TV se présente : « Coriolis affiche son ambition : mettre les sciences et les techniques à la disposition de chaque français dans sa vie quotidienne. Chaîne grand public en clair, elle associe divertissement, fictions, documentaires et jeux avec des émissions pédagogiques et de service et ouvre largement son antenne aux téléspectateurs. Chaîne indépendante, elle est, avec ses créations exclusives, un véritable nouvel acteur de la télévision ». La profession de foi est séduisante.
L’argumentation tout autant : « L’intérêt des français pour les Sciences et les Techniques est manifeste : un million de participants à la Fête de la Science, 3 millions de visiteurs à la Cité des Sciences et de l’Industrie, 9 millions de téléspectateurs pour « L’Odyssée de l’espèce »… Or, trop souvent, faute d’un niveau d’information suffisant, le nécessaire débat sur les apports ou les conséquences de l’usage des Sciences et des techniques reste une affaire de spécialistes, alors qu’il concerne tous les citoyens dans leur vie quotidienne. ».

François Jacob, Albert Jacquart, Yves Coppens, Georges Charpak, de nombreux scientifiques soutiennent l’initiative. Nous aussi.
Et si la télévision pouvait aussi permettre de développer l’esprit critique ?

Rubrique réalisée par Jean-Paul Krivine, Agnès Lenoire et Jean-Pierre Thomas

1 Une clé USB est une petite mémoire compacte que l’on peut connecter facilement à un ordinateur pour transférer des données.

2 Découvert sur : http://www.generation-nt.com/actualites/7295/Une-cle-USB-contre-les-fantomes (indisponible—en août 2008, cet objet est toujours proposé à la vente sur le site http://www.ghostradar.co.uk/ NDLR).

4 Pour ne prendre qu’un exemple qui fait le tour d’Internet : « L’astrologie est une science en soi, illuminatrice. J’ai beaucoup appris grâce à elle et je lui dois beaucoup. Les connaissances géophysiques mettent en relief le pouvoir des étoiles et des planètes sur le destin terrestre. À son tour, en un certain sens, l’astrologie le renforce. C’est pourquoi c’est une espèce d’élixir de vie pour l’humanité ». Cette citation attribuée à Einstein n’a jamais été écrite par le célèbre physicien.

5 Source : agence Reuters, 15 avril 2005.