Accueil / Un monde fou, fou, fou... / Un monde fou, fou, fou : avril 2008

Un monde fou, fou, fou : avril 2008

Publié en ligne le 9 mai 2008 - Astrologie -

L’astrologie des nourrissons

« Il est encore petit mais vous vous demandez déjà, non sans curiosité, comment il grandira ». Quel parent ne s’est jamais interrogé sur l’avenir de son enfant ? Aufeminin.com nous apprend comment l’astrologie va nous aider à percer le mystère de « qui il est et ce qu’il est amené à devenir ».

Considérons par exemple « un petit Taureau ». « Tout petit, il lui faudra des horaires réguliers, une alimentation variée, car il adore la nature ; le jardin ou la parc sera une de ses grandes découvertes ». « Il aime prendre son temps pour tout, et quand il vous dit : “j’arrive”, ne vous étonnez pas si il met une heure pour venir à vous ! ». Nous étions déjà habitués aux thèmes astraux « pour adultes » et à leurs descriptions passe-partout où chacun peut se reconnaître. Mais là… quelle découverte. Un enfant qu’il faut appeler plusieurs fois avant de le voir venir, à qui il est préférable de proposer une alimentation variée et équilibrée, qui adore la nature et le jardin… Ce ne peut être qu’un Taureau, assurément.

L’astrologie des tout-petits ne s’arrête pas là. Elle nous révèle l’avenir qui lui est promis. Ainsi, « plus tard, [notre Taureau] appréciera son confort et une vie paisible ». Nous voilà rassurés ! Mais, toujours à l’image de l’astrologie des grands, celle pour les nourrissons sait aussi être « gentiment critique » en révélant le « grand défaut » de votre progéniture : « sa résistance au changement qui peut l’amener à prendre des attitudes bornées ». Les conseils adressés aux parents (ce sont eux qui lisent l’horoscope) sont du même acabit : de la psychologie de bon sens. Aidez votre enfant « en lui montrant votre amour avec tendresse et mots câlins ». « Montrez-lui que le changement peut être positif et surtout rassurez-le : c’est finalement un grand passionné qui s’ignore. »

Après tout, pourquoi les bonnes recettes qui font la fortune des astrologues de magazines ne pourraient-elles pas être réutilisées avec profit ? Certes, tout ceci est sans doute inoffensif. Mais ne peut-on quand même pas s’interroger à propos d’un discours qui catalogue les enfants dès leur plus jeune âge, les met dans des profils types au gré d’une prétendue lecture du ciel ? La psychologie sérieuse ne serait-elle pas plus profitable aux parents et aux enfants qu’une psychologie de bazar enrobée d’ésotérisme ?

Tant qu’on y est, on peut s’interroger : à quand des horoscopes pour les animaux de compagnie ? Eh bien, ils existent déjà ! Et, en y réfléchissant bien, pourquoi pas ? Comme le souligne le site asiaflash.com, « les animaux sont des êtres sensibles comme nous, les humains, et que, comme nous, ils subissent les mêmes influences astrales ! D’autre part, il ne faut pas non plus oublier que l’humanité est d’origine animale ! ».

Il ne vous reste plus qu’à vous assurer de la compatibilité astrale de votre chérubin avec son chat préféré. Attention, le petit Taureau n’aime pas bien le chat Poissons. Et si vous-même êtes Scorpion, gare à l’ambiance. En attendant, le commerce se développe, et astrocenter.com, leader dans le domaine de l’astrologie, propose le thème de votre enfant pour 11,95 € « seulement ».

Le boom de l’astrologie à l’ère du numérique

L’astrologie, c’est un chiffre d’affaires imposant, mais cependant difficile à cerner. Les Dossiers du Canard mentionnaient en 1996 environ 50 000 voyants et astrologues exerçant dans l’Hexagone (plus que le nombre de prêtres en France à la même époque). Les évaluations du chiffre d’affaires variaient entre 10 et 20 milliards de francs (1, 5 à 3 milliards d’euros). Les supports médias étaient alors essentiellement la presse écrite avec des titres comme Astres, Quel avenir Madame, et L’inconnu, le magazine de l’actualité mystérieuse, tirant chacun à près de 100 000 exemplaires. Le Minitel, préfiguration de notre Internet d’aujourd’hui, offrait plusieurs centaines de serveurs dédiés à la voyance ou l’astrologie.

Qu’en est-il à l’ère du numérique ? Difficile de s’y retrouver entre les innombrables sites Internet et les services pour téléphone mobile offerts par tous les opérateurs sans exception.

Le groupe Center Com Inc., un des leaders mondiaux de l’astrologie, déploie sa marque Astrocenter dans 5 langues, six pays (France, Grande-Bretagne, États-Unis, Canada, Espagne, Allemagne) et annonce un chiffre d’affaires en constante progression, de plus de 30 % par an tous pays confondus. C’est ce groupe qui a lancé Astrocenter.tv, la première chaîne de télévision « 100 % astrovoyance de France ». Elle est offerte avec le bouquet TPS et disponible depuis l’ADSL d’Alice, d’Orange, de Free et de Numéricâble. Les sites Internet du Groupe revendiquent 7 à 8 millions de visiteurs par mois, 3 millions de courriels astrologiques sont envoyés chaque matin. Et les services se diversifient : abonnement à des lettres électroniques, SMS, consultation par téléphone, mise en relation directe avec des astrologues ou des voyants « rigoureusement testés et sélectionnés pour leur sérieux, leur déontologie, sous l’autorité de Audrey Gaillard, astrologue “vedette” du Groupe », dont la compétence est attestée par le fait… qu’elle est « réputée et courtisée par nos partenaires médias » 1.

Astrocenter.com est un fournisseur de contenu qui a largement modernisé les techniques utilisées. Fini le temps d’une madame Irma élaborant « à la main » chacun des horoscopes. Tout est automatisé, et les ingénieurs de l’entreprise « ont créé une batterie d ’applications spécifiques, ont totalement automatisé le processus d’intégration et de mise en place des textes sur le site ». Moins romantique, c’est certain, mais indispensable pour que les « milliers d’horoscopes personnalisés s’inscrivent en temps et en heure sur Astrocenter » 2. Outre les propres sites du fournisseur, des portails majeurs comme celui de Wanadoo sont ainsi alimentés.

Éric Bonjour, le patron de la société a le souci de « moraliser la profession ». Il déclare ainsi 3 à l’occasion du lancement d’Astropoche : « En nous attaquant à la presse, nous adoptons la même démarche que sur le Web ou à la télévision : nous tentons de pro fessionnaliser et de rendre acceptable un domaine souvent décrié ». Bien entendu, à l’image de tous ceux qui vivent de ce commerce, « le charlatan, c’est l’autre ». Dans le même entretien, Éric Bonjour décrit ainsi l’un de ses concurrents, le magazine Astres : « ce type de presse est plutôt bas de gamme, avec des titres carrément sectaires, remplis de publicités pour des marabouts... ». Rien à voir avec Astropoche, qui est, bien sûr, du « haut de gamme » : « La plupart des demandes que nous recevons sur le Web ou à la télévision sont du type : est-ce que je vais rencontrer quelqu’un ? ». Alors on imagine sans peine comment les ordinateurs sont programmés pour produire ce qui est attendu par un lectorat estimé « féminin à 80 %, une petite trentaine d’années, et dont les attentes pourraient être résumées ainsi : parlez-moi de moi, il n’y a que cela qui m’intéresse ».

Cellules souches : quand la religion veut définir la « bonne science »

L’Institut des cellules Souches pour le Traitement et l’Étude des maladies Monogéniques (I-STEM) a été créé au 1er janvier 2005. C’est une Unité Mixte de Recherche de l’INSERM et de l’Université d’Évry Val d’Essonne, en collaboration avec l’Association Française contre les Myopathies (AFM). Son objectif est l’élaboration de traitements destinés aux maladies rares monogéniques fondés sur le potentiel fort des cellules souches embryonnaires humaines. Parce qu’elles représentent une réserve cellulaire quasi illimitée par leur propriété d’autorenouvellement, et possèdent la capacité de se différencier dans tous les lignages cellulaires in vitro, les cellules souches embryonnaires constituent un outil de choix pour le développement de nouvelles approches thérapeutiques fondées sur le remplacement cellulaire.

Mais voilà, ce type de recherche déplaît à certains milieux religieux qui mettent en cause l’utilisation d’embryons humains pour produire ces cellules souches. Et ils se mobilisent. Science et pseudo-sciences avait à plusieurs reprises dénoncé cette campagne, particulièrement active à l’occasion du dernier Téléthon : le « fléchage des dons » avait été demandé par plusieurs évêques. Ainsi, André Vingt-Trois, l’archevêque de Paris avait-il déclaré qu’« il est au moins naturel et normal que ceux qui financent la recherche puissent dire quelque chose sur la recherche qu’ils financent », ajoutant que son soutien au Téléthon continuera « si on a la possibilité d’infléchir ou d’orienter nos dons » (Le Monde du 29/11/06). Les « catholiques de l’UMP » se sont adressés à l’AFM dans le même sens 4. De fait, les promesses de dons en 2007 ont légèrement baissé. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire catholique Le Pélerin (6 décembre 2007), Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’AFM a toutefois confirmé son refus du fléchage des dons : « Cette stratégie repose sur l’intérêt général et non sur les choix de groupes de pression. Cette stratégie a fait ses preuves et nous sommes fiers des résultats obtenus. Nous la maintiendrons »

L’I-STEM, de par son association à l’AFM, bénéficie largement des financements récoltés à l’occasion des campagnes annuelles du Téléthon. Et de par son activité, elle se retrouve souvent au centre de la controverse initiée par les milieux religieux. La campagne à l’encontre de l’I-STEM a récemment pris un tour encore plus vif. S’appuyant sur l’annonce, en novembre dernier, de la transformation de cellules de peau humaine en cellules souches pluripotentes 5, qui pourraient peut-être un jour, dans certaines conditions, jouer le même rôle que les cellules souches embryonnaires, des sites et journaux se réclamant de la « chrétienté » demandent ouvertement l’abandon des recherches de l’I-STEM : « L’I-STEM s’enfonce dans l’idéologie pro-mort », « Marc Peschanski [Directeur de l’I-STEM] compte bien poursuivre le massacre des embryons » dénonce le site chretiente.info. Plus modérés, les « catholiques de l’UMP », sous le titre « Le vent tourne », s’étonnent que l’on continue « de nous asséner qu’il est nécessaire de recourir aux embryons ».

D’autres voix s’élèvent dans le même sens. Mgr Elio Sgreccia 6, président de l’Académie pontificale pour la vie, salue les travaux du professeur Yamanaka : « Si cette technique est confirmée, elle représente une nouveauté que nous pouvons définir comme historique. Maintenant, on n’a plus besoin des embryons, et l’on n’a plus besoin du clonage thérapeutique – soi-disant thérapeutique : une page de polémiques et de dures oppositions se tourne. L’Église avait fait cette bataille pour des motifs éthiques, encourageant les chercheurs à progresser sur les cellules souches adultes en déclarant illicite l’immolation de l’embryon. […] [L’Église] est contraire à la mauvaise recherche, à celle qui nuit à l’homme, et dans ce cas, à l’homme-embryon ». Le site http://www.genethique.org, mentionne de son côté l’enthousiasme de la Maison Blanche qui voit dans ces travaux une source de progrès médicaux qui ne compromettent « ni le but élevé de la science ni le caractère sacré de la vie humaine ».

La volonté des Églises de régenter la vie publique au nom de principes idéologiques n’est pas nouvelle. Pas plus que celle de « réconcilier » la science et la religion, c’est-à-dire, ici, de définir la bonne et la mauvaise science. Les expériences de Shinya Yamanaka et de James Thomson sont complémentaires des travaux menés par l’I-STEM et par d’innombrables laboratoires de par le monde (et se sont appuyées sur les résultats acquis sur les cellules souches embryonnaires). Sur le plan scientifique, on ne peut pas opposer les uns aux autres, c’est le même mouvement scientifique. Aucun de ces travaux ne part de présupposés idéologiques, métaphysiques ou religieux. Il n’est question que de faits qu’on peut appréhender expérimentalement.

5 Shinya Yamanaka de l’Université de Kyoto et James Thomson de l’Université de Wisconsin ont réussi pour la première fois, chacun de leur côté, à « reprogrammer » des cellules adultes humaines.

6 Radio Vatican, cité par : http://www.spcm.org/Journal/spip.php?article15337 (disponible sur archive.org—16 mars 2020).}

Publié dans le n° 281 de la revue


Partager cet article


L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

Plus d'informations