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Les sceptiques américains ne sont pas tous climat-sceptiques

Publié en ligne le 3 avril 2008 - Climat -
par Jean Günther - SPS n° 280, janvier 2008

Par « climat-sceptiques » j’entends ici ceux qui n’acceptent pas sans réserve les conclusions du GIEC, à savoir que :
— les émissions anthropiques ont un effet sur le climat de la Terre ;
— cet effet est déjà manifeste : le réchauffement déjà observé est réel et dû très probablement aux émissions anthropiques ;
— les conséquences du réchauffement ainsi induit sont globalement négatives.

Il y a naturellement plusieurs degrés dans ce scepticisme, alors que l’acceptation des conclusions du GIEC offre peu de place à des doutes autres que de détail.

Une prise de position nette

La revue amie Skeptical Inquirer publie en deux parties, dans ses n° 31/3 et 31/4, un « position paper » (une prise de position écrite) sur le sujet. Cette prise de position, intitulée « Global climat change triggered by global warning » est celle d’un organisme associatif de défense de la science et de la raison, le « Center for inquiry (CFI) » de l’« Office of public inquiry » situé à Washington. Ce texte, signé par le physicien Stuart D. Jordan est disponible sur Internet 1. La première partie de la publication (n° 3 1/3) est annoncée dans l’éditorial et dans un texte de présentation du rédacteur en chef, Kendrick Frazier. Tout en laissant la responsabilité du texte au CFI, il est clair que la revue en accepte les conclusions.

Le texte de Jordan expose les bases du problème et réfute longuement les objections des climat-sceptiques :
— insuffisance des modèles : ils sont perfectibles mais calés sur des observations solides ;
— biais dans les observations historiques des températures : toutes les corrections ont été faites ;
— origine solaire ou terrestre, de toute façon naturelle, du réchauffement : il n’y a aucun mécanisme crédible ;
— pourquoi la température a-t-elle commencé à augmenter il y a 20 ans, alors que la teneur en gaz à effet de serre monte régulièrement depuis plus longtemps ? Ce serait dû à un effet de refroidissement, également d’origine industrielle, provoqué par les aérosols, que les progrès techniques ont réduits ;
— biais dû à un vaste complot des scientifiques motivés, non par la recherche de la vérité, mais de crédits pour leurs laboratoires : peu acceptable, comme toutes les théories du complot, contraire à l’éthique de la science et à ses facultés d’autocontrôle.

Jordan conclut qu’il faut accepter les conclusions du GIEC et rejeter les positions « climat-sceptiques ».

Une avalanche de mécontents

Dès la publication de la première partie de l’article de Jordan, la rédaction a reçu une avalanche de lettres de lecteurs, pour la plupart mécontents de ce texte. L’argument de base est : « les sceptiques ne peuvent être que climat-sceptiques ». La publication de la deuxième partie ne ralentit pas ce flot, bien au contraire. On eut même des demandes de désabonnement immédiat. Le n° 31/5 (septembre/octobre) a consacré six pages de son courrier des lecteurs aux réactions négatives ou positives (ces dernières minoritaires), ainsi qu’aux réponses de Jordan.

Argument d’autorité ?

L’argument d’autorité a mauvaise presse chez les sceptiques, ce qui explique en grande partie la virulence des réactions. Ce type d’argument se traduit ici par : « Vous n’avez pas le droit de critiquer si vous n’avez pas lu et assimilé les innombrables publications scientifiques sur le sujet parues dans des revues à comité de lecture ». Ou encore : « Aucun article climat-sceptique ne peut être trouvé dans ces revues » (pas facile à vérifier !). Ou encore : « Être un brillant géochimiste ne donne aucune compétence en climatologie » (mais cela ne l’empêche pas d’avoir l’esprit scientifique). Et surtout : « l’histoire montre que le consensus de la communauté scientifique est toujours extraordinairement robuste » ; ou : « si un scientifique avait des arguments solides, basés sur des faits et des modèles testés, contre les conclusions du GIEC, (ou toute autre affirmation soutenue par la communauté scientifique) sa gloire serait assurée ». Comme on le voit, on n’est pas vraiment dans le registre de l’emploi, arbitraire, non justifié, de l’argument d’autorité.

Pourquoi alors y a-t-il un tel scepticisme chez certains scientifiques ou lecteurs du Skeptical Inquirer ? L’explication par un complot et un lobbying des pétroliers est légère, et se heurte à un éventuel contre-complot des pro-nucléaires. Il est plus probable que les gens font la différence entre un consensus scientifique spontané, inorganisé, et un consensus que certains estiment manipulé par une institution, le GIEC. On peut penser aussi qu’un laboratoire qui désirerait développer des modèles n’allant pas dans le sens du consensus aurait du mal à se financer.

La rédaction de la revue n’accepte pas, on l’a vu, ces arguments. Elle affirme qu’un scepticisme absolu devient dogmatique, qu’il faut examiner les faits et les modèles avec un esprit ouvert, et s’incliner devant la pertinence des analyses proposées.

Les exagérations de la grande presse, pour qui le thème est porteur, alimentent par contre-coup la prose climat-sceptique : on nous parle d’augmentation déjà observée du niveau marin (en fait quelques centimètres) ayant conduit des populations à l’exil, on nous montre des ours blancs l’air malheureux sur un glaçon en fusion. Mais ces exagérations n’apportent rien dans une discussion sérieuse.,

C’est au fil des années que la vérité apparaîtra, car pour l’instant tout est interprétation, modélisation, et manque de faits d’une absolue solidité. Mais beaucoup pensent que les décisions politiques sont à prendre tout de suite, avant qu’il y ait certitude. Pour le moment, il faut bien l’admettre, les décisions raisonnablement envisageables n’ont qu’un impact dérisoire sur le phénomène, ce qui devrait calmer les esprits et diminuer la virulence des polémiques.