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Le lyssenkisme serait-il de retour ?

Publié en ligne le 15 février 2008 -
par Patrick Maurel

Dans les années 1930, Trofim Denissovitch Lyssenko, un technicien agronome, charlatan autodidacte et fanatique, entreprit une grande cabale contre la génétique au motif qu’elle était incompatible avec la doctrine Marxiste. En effet, selon cette dialectique, les citoyens devaient pouvoir acquérir le modèle de l’“homme nouveau” et le transmettre à leurs descendants. La doctrine sous-entendait ainsi une supériorité des caractères acquis (l’environnement) par rapport aux caractères innés (les gènes) dont la génétique représentait l’étude (lire à ce propos : la préface de l’ouvrage de Jaurès Medvedev, Grandeur et chute de Lyssenko, Gallimard, 1971, par Jacques Monod).

L’anti-génétique venait de naître en URSS et chez ses sympathisants. Et pour longtemps.

 Lyssenko rejeta le concept de gène. Il alla même jusqu’à truquer des expériences pour prétendre que la seule modification de l’environnement de certaines plantes suffisait à les faire se transformer en d’autres plantes. Il assura ainsi par exemple que des plants de blé poussant dans un environnement approprié produisent des graines de seigle, l’orge devient de l’avoine, les choux des raves, etc. (Les scandales scientifiques).
 Il réussit à faire partager cette opinion par Staline. Les généticiens furent considérés comme des parias et la génétique comme une science “bourgeoise” fausse par essence, par rapport à la science “prolétarienne” vraie par définition.
 Appuyé par le Parti, Lyssenko devint le champion de l’anti-génétique contre les biologistes “mendéliens”, ennemis du peuple. Tous les pays du bloc de l’Est furent touchés par cette diatribe, et jusqu’en Occident. Notamment la France, où le Parti Communiste s’en prit au futur Prix Nobel, Jacques Monod (un généticien de la première heure), à la théorie de Mendel (la “théorie du moine”) décrétée “raciste”, et la génétique accusée de “mener au nazisme” ( !).
 L’une des manifestations les plus pathétiques de cette diatribe fut l’abattage de la statue de Mendel dans le monastère de Brno (République Tchèque) où il avait fait ses découvertes. Ironiquement, la bibliothèque de Mendel ne fut pas touchée, mais les serres dans lesquelles il avait travaillé furent détruites (information Brno Museum, Google).
 Les plants de pois qui lui avaient servi de modèles pour établir les bases de la génétique, et qui avaient été soigneusement transmis et conservés furent arrachés.
 Non pas débattre mais détruire ! (F. Jacob, La souris, la mouche et l’homme, Éd Odile Jacob).

Ils arrachent des légumes et se prennent pour des héros ! Cela me rappelle quelque chose…

Similitudes

Toutes proportions gardées (les anti-OGM ne sont pas au pouvoir, nous vivons dans une démocratie où il n’y a pas d’arrestation de chercheurs, semenciers ou cultivateurs de plantes GM), on ne peut s’empêcher de noter certaines similitudes entre la campagne anti-génétique menée en URSS et la campagne anti-OGM menée dans notre pays par les associations du même nom :

 L’anti-“science bourgeoise” de Lyssenko est remplacée ici par l’anti-libéralisme et l’altermondialisme, à forts relents d’anti-américanisme.
 Les « multinationales », dont il faut avant tout lutter contre « les intérêts privés », jouent le rôle exemplaire du « bourgeois » de Lyssenko.
 L’anti-génétique y est patent. Pour les anti-OGM, le terme « biotechnologie » est devenu un gros mot, synonyme de travaux ayant trait à la génétique, et la notion fondamentale un gène-une protéine est niée.
 L’obscurantisme, l’incompétence, l’exagération, les propos mensongers, la manipulation de l’opinion publique, l’utilisation de la peur, et l’intimidation auprès des scientifiques sont les moteurs de cette campagne.
 Les spécialistes français des plantes GM ont dû émigrer, ou abandonner leurs recherches.
 La destruction des serres du CIRAD à Montpellier. C’est-à-dire des essais en laboratoire contrôlé.
 L’arrachage des cultures GM, pourtant autorisées par la loi.

 Non pas débattre mais détruire !

Il apparaît ainsi que le développement des plantes GM dont il est prévisible que les applications futures seront bénéfiques pour l’humanité et la planète, est entravé par l’action d’une fration politique au seul titre que cette technologie n’est pas compatible avec son projet de société anti-libérale et altermondialiste.

Vous n’êtes pas convaincu ?

Voici les propos tenus par Bruno Rebelle, Greenpeace France devant le Conseil Economique et Social en Février 2002 : « Pour ma part, je n’ai pas de craintes [sur les OGM]. En revanche, j’ai un certain nombre de convictions. Nous n’avons pas peur des OGM. Nous sommes seulement convaincus qu’il s’agit d’une mauvaise solution. Les OGM sont peut-être une merveilleuse solution pour un certain type de société. Mais justement, c’est de ce projet de société que nous ne voulons pas » (cité dans un encadré de SPS, qui en donne la source exacte).

Le politiquement correct s’appliquerait-il aussi aux plantes ?

Campagne anti-OGM : l’information grossièrement manipulée

À voir le déchaînement anti-OGM récurrent dans notre pays ; on pourrait penser que nous sommes les premiers à tester ces cultures : encore un exemple du nombrilisme français... Or, bien évidemment, il n’en est rien. Les plantes GM cultivées aujourd’hui en France, le sont depuis bien plus longtemps dans des pays comme les USA, le Canada, l’Argentine pour ne citer que ces trois-là. Et sur des surfaces beaucoup plus grandes. Alors qu’en France la surface cultivée est de 0,02 millions d’Ha (0,04 % de la surface du pays), elle est au total de près de 100 millions d’Ha dans ces trois pays, c’est-à-dire deux fois la superficie de la France. Et il est un fait qu’aucun élément scientifique digne de confiance (c’est-à-dire publié dans une revue scientifique internationale à comité de lecture) n’a, à ce jour, fait état de cas avérés de victime des plantes GM ou de désastre écologique dans ces pays où on ne peut nier la transparence de l’information. Paradoxalement, dans notre pays, la seule victime enregistrée à ce jour est à l’actif des anti-OGM, en la personne de cet agriculteur qui a préféré le suicide à l’humiliation qu’aurait représenté l’arrachage de sa parcelle.

Les associations anti-OGM avancent comme un leitmotiv dans leurs multiples blogs et autres sites internet vers le grand public l’affirmation selon laquelle les informations sur la toxicité des plantes GM seraient retenues, ou pire, interdites par des conspirations gouvernementales, industrielles ou institutionnelles. Ceci est faux. Rien ni personne n’empêchera un éditeur scientifique de publier un article sur le sujet dès lors que la qualité du travail au plan scientifique est jugée correcte par les reviewers. Les chercheurs qui entreprennent des travaux dans ce sens ne sont pas interdits de publication. Au contraire. En voici un exemple. Le groupe français CRIIGEN (Comité de Recherche Indépendant d’Information sur la Génétique) soutenu par Greenpeace a récemment contesté les analyses toxicologiques publiées par les chercheurs du groupe Monsanto sur le maïs MON863. Ses résultats ont été publiés (Arch Environ Contam Toxicol 2007).

À l’inverse, voici un cas exemplaire de manipulation de l’information vers le grand public. Il a trait aux travaux du Dr Manuela Malatesta (European Journal of Histology 2002 et 2005 et Journal of Anatomy 2002). Je dois dire ici en préambule que l’honnêteté scientifique de cette chercheuse n’est pas à mettre en doute. Revenons sur ses travaux. Des souris nourries pendant 1 à 8 mois avec une nourriture contenant 14 % en poids de soja GM resistant au Roundup (ou au soja normal, comme témoin) ont été étudiées. Remarquez que 8 mois chez une souris correspondent à la demi-vie. Ce qui reviendrait, pour un homme, à consommer une ration alimentaire journalière contenant 14 % en poids de soja GM pendant 40 ans. Ces conditions volontairement exagérées (par rapport aux conditions usuelles pour l’homme), en termes de dose et de durée, sont une pratique normale en toxicologie. Que disent ces articles ? Qu’à la fin du traitement, les animaux ne présentent aucun trouble, aucune anomalie au plan des organes étudiés (foie, pancréas, etc.), et surtout aucune atteinte à leur survie, à leur poids, ou aux niveaux plasmatiques de divers marqueurs biologiques. Tout au plus, des perturbations au niveau de la forme des noyaux cellulaires observées par microscopie électronique sont constatées. Je rappelle ici, pour ceux qui ne connaissent pas cette méthode, qu’en microscopie électronique les possibilités d’artéfacts sont innombrables. Enfin, un point très important, ces perturbations (lorsqu’elles existent) sont réversibles après l’arrêt du traitement. Or, dans un reportage télévisé diffusé sur C+, après son interview du Dr Malatesta, un journaliste a grossièrement manœuvré pour faire croire que la conclusion de ces travaux était que le soja GM représentait un grand danger pour les consommateurs.

Ne comprenant pas qu’on puisse utiliser les résultats du Dr Malatesta dans ce sens, je décidai de m’adresser directement à elle. Je la contactai par email en lui demandant de m’informer. Elle m’a fait la réponse suivante en trois points (que je rapporte ici mot pour mot, traduite de l’anglais) :
« 1) il n’existe aujourd’hui aucune preuve de toxicité des plantes GM pour l’homme ou l’animal ;
2) aucun de mes travaux ne conclut à une toxicité du soja GM ; malheureusement l’information scientifique subit des altérations drastiques (instrumentalisation ?) lorsqu’elle passe dans la presse grand public ;
3) mes travaux décrivent simplement des modifications cellulaires, dont nous n’avons pu comprendre l’origine du fait de l’arrêt de ce projet de recherche »
. 1

Est-ce à dire que ce type de recherche toxicologique est inutile ? Non. Bien au contraire, ces travaux sont d’une très grande utilité, et c’est précisément sur eux que s’appuient les experts pour juger du risque ou du non-risque raisonnable représenté par les plantes GM. Les études sur les risques potentiels des plantes GM sur la santé humaine et animale et sur notre environnement sont absolument nécessaires. De telles études sont poursuivies partout dans le monde. Elles ne sont ni interdites, ni censurées. Mais il faut veiller à les interpréter correctement et honnêtement.

Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt …

Les associations anti-OGM ont tout fait depuis le début pour se faire passer aux yeux du grand public comme les « défenseurs de la planète », prêts à tout jusqu’à la désobéissance civique avec un goût immodéré du martyre, pour interdire le développement des plantes GM. Pour cela ils ont agité des arguments erronnés, critiquables, mensongers le plus souvent pour faire croire que les plantes GM représentaient un grand danger sanitaire (pour l’homme et les animaux, notamment les insectes) et écologique. Je me suis toujours étonné que, dans cette grande quête de protection de la planète, ils aient oublié un fléau autrement plus préoccupant : les pesticides, herbicides et engrais chimiques.

Bien que la prise de conscience du problème des pesticides remonte aux années 1960 et que ceci ait conduit au développement de l’agriculture « bio », ces composés sont loin de susciter la grande cabale que suscitent les plantes GM. Apparemment, que l’on continue à utiliser des millions de tonnes de pesticides chimiques chaque année est bien le dernier des soucis des associations anti-OGM. Avez-vous déjà vu une campagne d’envergure menée à l’encontre des pesticides chimiques associant grève de la faim et demande de moratoire ?

Ceci démontre très clairement que l’opposition majeure (mais soigneusement cachée) des « défenseurs de la planète » à l’égard des plantes GM n’est pas de nature sanitaire ou écologique, mais strictement politique.

Reprenons brièvement les pesticides chimiques. La toxicité de ces composés chez l’homme est avérée, et depuis très longtemps : troubles ophtalmologiques, cutanés, hépatiques, digestifs, respiratoires, neurologiques (maladie de Parkinson, notamment), troubles de la reproduction (stérilité, avortement prématuré, stérilité etc.), cancers (leucémies, peau, plèvre, estomac, prostate, cerveau). Et ici, les études de toxicologie menées chez l’animal sont claires. Il n’est point besoin de regarder les organes au microscope électronique pour rechercher les effets toxiques. Ni de traiter les animaux pendant plus de 90 jours : ils sont tous morts avant ! Ni de discuter à l’infini des méthodes mathématiques utilisées pour évaluer la significativité statistique des résultats. De plus, et contrairement aux plantes GM, ici les cas avérés d’atteintes environnementales sont très nombreux. Les effets délétères de ces composés sur les abeilles ne sont plus à démontrer. La pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau est omniprésente et constatée de façon récurrente.

Prenons le cas du lindane (hexachlorocyclohexane). Ce composé est avéré très toxique. Bien qu’interdit d’utilisation en agriculture en France depuis 1998, le lindane continue à être utilisé notamment pour le traitement des bois à l’intérieur des habitations (!!!). Un autre exemple. Un rapport récent (publié sur le web par AIRPARIF, Surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France, Évaluation des concentrations ambiantes en pesticides dans l’air ambiant francilien, campagne exploratoire, Juin 2007) montre que trente pesticides sont retrouvés dans l’air ambiant francilien avec des variations de représentation suivant les zones géographiques, la zone la plus polluée étant la Beauce. Notamment, la molécule qui présente la plus forte concentration est le chlorothalonil, un antifongique utilisé sur le blé, les féveroles, les pois, etc. Ce rapport montre, entre autres choses, comment les pesticides très présents en milieu agricole (Beauce par exemple) se retrouvent aussi (bien qu’en quantités moindres) en zone urbaine (Paris). Il montre aussi que les pesticides retrouvés dans l’air sont différents de ceux retrouvés dans les eaux. En fait ce rapport confirme ce que nous savons depuis longtemps sur la contamination générale de notre environnement journalier par les pesticides chimiques.

Ironiquement, les plantes GM sont la seule solution réaliste dans le futur pour diminuer considérablement, ou peut-être même supprimer, l’utilisation des pesticides. Une attitude raisonnable et responsable des « défenseurs de la planète” aurait dû être de dire que si les plantes GM représentent une possibilité de diminuer l’utilisation toujours plus importante des pesticides, il faut la saisir. On aurait dû laisser les scientifiques travailler sereinement et évaluer au final les avantages et les inconvénients de ces cultures. D’autant que la suppression des pesticides chimiques n’est pas leur seule finalité. De nombreux autres aspects des plantes GM sont à l’étude et ne sont jamais évoqués. Tout d’abord, le fait que la majorité des projets pour le futur concerne le transfert de gène d’origine végétale (de plante à plante) et ensuite que les plantes GM permettront l’adaptation à la sécheresse (c’est un problème qui devrait être important du fait des changements climatiques prévisibles), aux cultures sur des sols à haute salinité ou périodiquement inondés (aujourd’hui non cultivables), à la dépollution de zones contaminées par des métaux lourds, sans parler de l’amélioration des qualités gustatives ou nutritionnelles, le développement de plantes produisant des médicaments, biocarburants, et polymères.

Alors, comment ne pas être étonné de voir aujourd’hui d’un côté, un acharnement contre les plantes GM que pour le moment rien ne justifie, et de l’autre, une relative complaisance à l’égard des pesticides chimiques que tout accuse ?

Conclusion

En France, l’opinion publique a été manipulée dès le départ par une petite fraction de personnes dont le but ultime est la promotion d’une politique anti-libérale et altermondialiste. Les dangers et autres prédictions de catastrophes sanitaires et environnementales liés à la culture des plantes GM ne sont qu’alibis et prétextes. Leur mise en avant par les anti-OGM, contre l’évidence et les travaux des scientifiques, n’a pour objectif que de mobiliser (de façon très habile, il faut le reconnaître) une opinion publique que les thèses anti-libérales seules n’auraient pas convaincue. Il faut détruire les plantes GM simplement au nom de la défense d’une idéologie et d’une idée de la société dans laquelle tout ce qui touche à la génétique et aux multinationales est à bannir. Oui, une forme nouvelle du lyssenkisme est de retour.

1 Je communiquerai la version originale de ces emails à ceux qui le souhaiteraient.


Mots-clés : OGM


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