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OGM : le débat avec nos lecteurs

Publié en ligne le 11 octobre 2007 - OGM et biotechnologies -
par Jean Brissonnet - SPS n° 259, octobre 2003 et SPS hors série OGM, octobre 2007

Comme nous vous l’avons indiqué dans notre précédent numéro, la brève se rapportant aux OGM et le compte rendu du rapport commun des Académies de Médecine et des Sciences 1 nous ont valu un abondant courrier de soutien ou de critique. Pour des raisons évidentes de place, il nous est, bien sûr, impossible de publier ici l’intégralité de ces lettres. Pourtant il nous a semblé intéressant de donner à l’ensemble de nos lecteurs un aperçu des principales questions soulevées et des réponses qui leur ont été apportées. Les oppositions formulées sont très souvent identiques, peut-être parce qu’elles proviennent des mêmes sources.

Afrique et OGM

L’un de nos lecteurs s’élève contre « la gravité de l’assertion qui conduit à penser que deux présidents africains ont délibérément décidé d’affamer leur population, c’est-à-dire qu’ils sont coupables d’assassinat » et demande quelles sont les sources de cette information. En fait, je me suis inspiré de deux brèves de l’Agence Science Presse et d’un commentaire ironique tiré de la revue internationale Science. Si je n’ai pas cité ces brèves intégralement, c’est qu’il m’a semblé qu’elles entraient dans des considérations politiques en indiquant par exemple que « les mauvaises langues prétendent que le président Mugabe nie la nécessité d’une aide d’urgence à ces régions parce qu’il s’agit de régions dominées par les mouvements d’opposition. ». Il ne s’agissait pas dans cette affaire de trouver une solution à la faim dans le monde mais de répondre à une situation d’urgence. Je n’ignore pas que certains pays utilisent parfois l’aide internationale pour modifier les habitudes alimentaires des populations, se créer de nouveaux marchés ou écouler sous couvert d’altruisme leurs excédents de production. Il est un temps pour modifier les règles et un autre pour sauver des vies et il est anormal à mes yeux que des dirigeants africains, bien nourris, refusent à leur population affamée la consommation d’une nourriture largement utilisée depuis des années en Amérique du Nord, sans aucun problème, en se servant pour cela d’un paravent faussement scientifique.

L’avis des Académies

Concernant le compte rendu des Académies de Médecine et des Sciences, les critiques portent sur le fait même d’en rendre compte dans notre revue, sur le rapport lui-même et enfin sur le fond.

Fallait-il en rendre compte ?

Il n’aurait pas fallu faire état de ce rapport car « l’objectivité de ces fameux académiciens est controversée » spécialement par « un article du Monde Diplomatique de février 2003 » et nous devrions plutôt demander l’avis de « scientifiques indépendants […] notamment G. E. Seralini, du CRII-GEN ».

Je remarque d’abord que Le Monde Diplomatique ne saurait être considéré dans ce domaine comme un modèle d’objectivité puisqu’il constitue de toute évidence le fer de lance, sinon le principal promoteur, de la lutte anti-OGM et le créateur d’un amalgame OGM = mondialisation, certes très « porteur », mais pour le moins contestable. J’ai beaucoup de respect pour les analyses de cette publication dans les domaines sociaux, politique ou économique, mais elle ne constitue en rien, à mes yeux une référence dans le domaine de la science !

Prendre nos informations – alors forcément exactes – auprès des membres de la CRII-GEN – clone de la CRIIRAD – fondée notamment par Corinne Lepage, ex-candidate aux élections présidentielles qui en est aussi la présidente ? En somme, certains de nos lecteurs nous trouveraient objectifs si nous épousions la thèse des militants anti-OGM. Que diraient-ils – à juste titre – si nous ouvrions nos colonnes au directeur des recherches de Monsanto ? Entre ces deux voies extrêmes, je persiste à préférer l’avis des académiciens et celui de chercheurs reconnus pour la qualité de leurs publications.

Sur le rapport lui-même

Il est jugé mauvais parce que :

 Les académiciens sont (je cite) les « représentants du lobby génético-industriel ».

Je ne pense pas que les académiciens, à titre individuel, soient totalement à l’abri de dérives ou toujours capables de résister aux pressions de toute nature qui peuvent s’exercer sur des scientifiques de cette importance. Je demeure par contre persuadé que leur avis, collectif, présente le maximum de garantie d’objectivité et d’indépendance. Récemment un rapport sur le même sujet 2 à été publié à la demande des autorités de Grande-Bretagne et il arrive à des conclusions sensiblement identiques. Cela ne fait-il pas beaucoup de scientifiques soumis au « lobby généticoindustriel » ?

 Les experts consultés sont « connus depuis longtemps pour leur enthousiasme pro-OGM » et « sept d ’entre eux ont des liens avérés avec des producteurs d’OGM »

Curieux et récurrent procès ! Il me semble que pour être qualifié d’expert, il n’est pas mauvais d’avoir effectué quelques travaux dans le domaine concerné. On peut le regretter, bien sûr, mais la plupart des laboratoires de recherche ont des contrats avec des firmes privées. À part dans des domaines très théoriques, c’est souvent le seul moyen de disposer des moyens financiers acceptables. À la limite, il serait plus opportun de s’inquiéter de la compétence d’un expert qui n’aurait aucun contact avec la recherche privée. Quant au fait de travailler au CNRS, au CIRAD 3 ou d’enseigner la transgénèse, cela ne constitue pas, à mes yeux, un gage de partialité. À moins bien sûr de penser que tout ingénieur du CEA ou tout chercheur du CERN est partisan de la prolifération nucléaire, et que le fait d’enseigner la chimie transforme en prosélyte de l’épandage systématique et irraisonné des pesticides.

Sur le fond

On retrouve les arguments désormais classiques :

 « Les effets [des OGM] n’ont jamais été sérieusement testés, que ce soit par expérimentation animale ou par étude épidémiologique ». Ceci est inexact pour deux raisons.

La première, c’est que, contrairement à ce que l’on dit souvent, des tests ont été effectués comme sur tous les nouveaux produits de consommation, sur le principe de l’équivalence substantielle 4. Ces tests, plutôt techniques, sont peu diffusés dans le grand public et souvent difficiles d’accès, ce qui laisse place à toutes les suppositions.

La seconde est que ces produits sont consommés depuis de longues années et à très grande échelle. En Europe, nous semblons oublier qu’il y a 58,7 millions d’hectares d’OGM cultivés à travers le monde 5. Il ne s’agit certes pas là d’une étude épidémiologique effectuée dans les règles – étude d’ailleurs peu envisageable en pratique 6 – mais de la meilleure approximation dont on puisse rêver. Connaissant la tradition procédurière des USA, qui en cultivent 66 %, si aucun problème n’a été signalé, c’est très probablement qu’il n’en existe pas.

De toute façon, la science ne peut prouver l’inexistence d’un phénomène. Ce qui explique par exemple que le dernier rapport sur les OGM publié en Grande Bretagne et cité plus haut indique : « Les risques à la santé humaine de la récolte OGM actuellement sur le marché sont très bas ». On ne dit pas qu’ils sont nuls, c’est impossible ! La science ne peut pas plus prouver l’absence totale de dangers des OGM que la non-existence des ectoplasmes farceurs. Il y aura donc toujours des gens pour dire, dans un cas comme dans l’autre : « ils existent ! ».

 « Les OGM ne constituent pas une réponse à la faim dans le monde » et « le débat doit avoir lieu sur le terrain économique et politique et non scientifique ».

Personne ne peut prétendre sérieusement que la faim dans le monde sera résolue par les OGM. Il s’agit là d’un problème multifactoriel ou interviennent largement des données économiques et politiques. Cependant, les OGM peuvent être un facteur de progrès (développement de variétés adaptées aux sols secs ou salins, lutte contre les ravageurs, etc.), et en cette matière tous les éléments possibles doivent être mis à contribution. Notons aussi que c’est aux pays pauvres de décider s’ils désirent ou non utiliser ces techniques et non aux intellectuels des pays riches de les empêcher d’en disposer. Là où ils ont eu la possibilité de faire ce choix sans pressions extérieures néocolonialistes, les paysans s’en montrent très satisfaits 7.

 Les OGM « ne correspondent à aucun besoin » puisque « 75 % des OGM agricoles sont fabriqués pour résister aux herbicides » donc ne bénéficieront pas aux pays pauvres et qu’on « recherche désespérément les organismes créés à des fins médicales ».

C’est en effet très regrettable, mais le meilleur moyen pour que les pays en voie de développement continuent à être défavorisés est de « vider les laboratoires » comme le prônaient dans un tract les militants qui sont venus saccager les serres du CIRAD à Montpellier. Laissons aux Américains seuls la maîtrise de ces techniques et nous serons sûrs que les progrès seront essentiellement orientés vers la recherche du profit. Ce n’est pas mon choix ! J’espère que la recherche française et européenne, enfin libérée des pressions du lobby de la peur, fera pencher la balance vers des variétés utiles et novatrices.

 On veut permettre « à quelques grands groupes de breveter le vivant » et empêcher que « le paysan réutilise d’une année sur l’autre ses semences ».

Ne faisons pas un amalgame entre brevetage du vivant – qu’il faut le plus souvent rejeter et qui est d’ailleurs refusé par plusieurs pays, dont la France et l’Allemagne – et problème de semences. Sur ce dernier facteur, il faut cesser de rêver. Les agriculteurs achètent déjà bien souvent leurs semences. Soit parce qu’il s’agit d’hybrides qui ne conservent pas leurs qualités lors de la reproduction, soit parce que les semences sont prétraitées pour un meilleur rendement. S’ils le font, c’est qu’ils y trouvent leur compte, ce n’est pas pour faire plaisir aux semenciers. Que le producteur stocke une partie du revenu de sa récolte sous forme monétaire au lieu de stoker physiquement sa semence, avec les contraintes afférentes, en quoi est-ce anormal ? Que les industriels qui ont conçu les semences y trouvent leur bénéfice, en quoi est-ce scandaleux ? Le couturier qui conçoit un modèle ou l’artiste qui enregistre une chanson font payer pour le droit de reproduire. Ce qui est normal ici serait-il immoral là ?

 « Quand l’Académie de Médecine met en avant les intérêts écologiques de la culture d’OGM, de qui se moque-t-elle ? »

Je ne pense pas qu’elle se moque de qui que ce soit, puisque les plantes Bt constituent un grand espoir de solution pour le dramatique problème de pollution des eaux par les pesticides 8. Quant aux plantes résistantes aux herbicides, leur apport peut sembler négatif à première vue puisqu’elles impliquent encore l’utilisation d’herbicide. Le problème est de savoir si elles en utilisent moins que celles auxquelles elles se substituent, et il semble bien que ce soit le cas 9.

En conclusion, j’apprécie et estime à sa juste valeur la sincérité des lecteurs, parfois fougueuse dans certaines lettres reçues, mais je pense que le débat sur les OGM – comme celui sur le nucléaire – doit avoir lieu dans la clarté. Les choix économiques et politiques doivent se fonder sur des connaissances scientifiques exactes et ne pas s’appuyer sur des a priori réactionnaires ou sur les fantasmes des marchands de peur. Si j’ai jugé bon de parler largement de la prise de position des académiciens, c’est qu’elle était, à ce moment, passée totalement inaperçue dans les médias, alors qu’on nous abreuve depuis des années d’un discours anti-OGM complaisamment accepté. Il faut d’ailleurs noter que depuis la parution de ces rapports, le ton commence à changer. De grands hebdomadaires, sans désavouer franchement leurs prises de positions passées, ont, depuis, publié, cette fois sous la plume de leurs chroniqueurs scientifiques, des articles beaucoup plus mesurés. Les attitudes de rejet global et la dramaturgie type « sauvetage de la planète » ont fait place au nécessaire débat sur le « pourquoi », le « comment » et le « pour qui ». Un débat qui, c’est vrai, reste à mener et auquel SPS peut, dans son domaine propre, apporter une modeste contribution !

1 In SPS n° 256, rubrique « Du côté de la science ».

2 GM science review – july 2003http://www.gmsciencedebate.org.uk.

3 Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

4 voir OCDE « Évaluation de la sécurité des denrées alimentaires issues de la biotechnologie moderne : concepts et principes » Paris 1995. http://www.oecd.org/dataoecd/57/2/1946121.pdf.

5 Rapport 2001 de l’ISAAAhttp://www.isaaa.org/.

6 Comment faire une étude, préalablement à la consommation, pour évaluer les effets des OGM sur la santé sans avoir la moindre idée de leurs effets… et sans en faire consommer à grande échelle ?

7 Lire : « OGM, le rêve chinois » – Science et Vie n° 1010 – nov. 2001.

8 Voir SPS n° 258, p. 2 et, pour les plantes Bt, page 14 du présent numéro.

9 Lire : OGM, Le vrai et le faux, Houdebine, p 97 et suivant