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Scotographie et pouvoirs paranormaux

Publié en ligne le 6 juillet 2004 - Paranormal -
par Michel Rouzé - SPS n° 126, octobre 1982

L’histoire qui suit nous est racontée dans le Skeptical lnquirer « L’Enquêteur Sceptique », la revue du comité américain pour l’étude scientifique du paranormal. Le célèbre illusionniste James Randi, qui s’est donné pour mission de démasquer les charlatans (il a notamment confondu les tordeurs de cuillers Geller et Girard), reçoit un jour un appel téléphonique angoissé d’un vieil ami de sa famille, domicilié à New York. Le frère de cet homme - dans la suite de son récit Randi l’appelle simplement « B » - était tombé dans les rets d’un couple de « médiums », mari et femme, fondateurs d’une secte spirite à North Oxford, dans le Connecticut. Les fidèles se réunissaient dans des séances au cours desquelles ils projetaient sur du papier photographique des images paranormales obtenues par concentration psychique.

Randi n’eut aucune peine à comprendre le truc dont usaient les charlatans. Il avait déjà eu connaissance d’une affaire semblable à Manhattan. Voici comment « B » racontait lui-même les séances de scotographie ou « photographie dans l’obscurité », selon le terme utilisé dans la secte. Les fidèles ayant pris place, on éteignait les lumières, en conservant pour seul éclairage la faible lueur d’une de ces petites ampoules dont se servent les photographes dans la chambre où ils traitent des films. Sur une table placée devant les assistants on avait disposé trois cuvettes, contenant respectivement un bain révélateur, un fixateur et de l’eau pour le lavage. Chaque assistant recevait une feuille de papier, entièrement blanche. On prononçait des prières, on concentrait sa pensée sur la feuille de papier placée entre les deux mains, et enfin les fidèles étaient invités à tremper leur papier successivement dans les trois cuvettes. Au fur et à mesure de l’opération on voyait apparaître sur le papier la forme d’un visage, celui de l’esprit détecté par le psychisme de l’opérateur.

Quand tout le monde avait fini, on rallumait les lumières, les assistants partaient contents en emportant pieusement chez eux les images « paranormales ».

Tout amateur qui a eu l’occasion de développer lui-même ses films et d’en tirer des épreuves haussera les épaules devant un truquage aussi évident. Les feuilles de papier photosensible étaient impressionnées à l’avance, les assistants ne faisaient que développer l’image latente en la trempant dans les bains chimiques appropriés.

Informé du format exact des feuilles scotographiques, Randi en prépara une de sa façon, en exposant à la lumière une surface de quelques centimètres carrés sur un des angles de la feuille, le reste restant non impressionné. Glissée dans une enveloppe opaque, elle fut remise à B, qui s’engagea à la substituer, au cours d’une prochaine séance, à la feuille qui lui serait remise par l’officiant de la cérémonie. Le résultat fut ce qu’on pouvait attendre : à la place d’un fantôme, le papier ne montra qu’un de ses angles entièrement noir, le reste entièrement blanc. Ce que voyant, l’officiant inquiet se saisit rapidement de la feuille, et en remit à B une autre, où l’on vit apparaître « l’esprit ». Suivant les instructions de Randi, B avait emporté la première feuille remise par l’officiant, en la glissant dans l’enveloppe opaque. Développée ensuite dans un laboratoire, elle montra elle aussi son fantôme...

La fraude était évidente. La réaction de B fut moins nette. Il commença par admettre que l’expérience avait jeté un doute sur l’honnêteté des médiums dans cette circonstance particulière, mais pour ajouter qu’il demeurait convaincu de la réalité de leurs pouvoirs paranormaux ; il avait assisté à d’autres démonstrations de ces pouvoirs, pour lesquelles il n’avait aucune raison de croire qu’il y avait eu tricherie. Il refusa de se prêter à de nouvelles vérifications proposées par Randi, car, disait-il : « Bill (le nom de médium) a été très fâché, et il pourrait m’exclure du groupe ». Et il continua de participer aux réunions, pour lesquelles chacun des assistants versait un « don » compris entre 30 et 40 dollars, jusqu’à ce que la secte se disperse, les deux médiums étant partis exercer leurs talents en Floride.

En conclusion de cette histoire, Randi note qu’il est impossible de détromper un vrai « croyant » au paranormal. Placé devant l’évidence de la fraude, B s’était persuadé que c’était seulement en cette unique circonstance qu’on avait tenté de le tromper ; les autres scotographies étaient authentiques !

Ce phénomène du « vouloir croire », a été étudié expérimentalement par les psychologues américains Benassi et Singer. Leurs sujets d’expérience étaient 189 étudiants en psychologie de l’université de Californie. Des enquêtes précédentes avaient montré, à plusieurs reprises, qu’une majorité de la population américaine croit à l’authenticité de phénomènes dits paranormaux : perceptions extrasensorielle, soucoupes volantes, torsion de cuillers à distance, etc.

Les expérimentateurs avaient engagé un illusionniste professionnel qui exécuta divers tours de magie : torsion d’une épaisse barre de cuivre par simple caresse, lecture de chiffres les yeux bandés, transport par « télékinèse » d’une pincée de cendres du dos de la main d’un volontaire jusqu’à l’intérieur de sa paume. Les étudiants étaient répartis en trois groupes : chaque groupe entendit de la bouche de son professeur une présentation différente.

Devant le premier groupe, le professeur présenta l’exécutant comme une personne qui s’intéressait à la parapsychologie et aux pouvoirs paranormaux. Il déclara cependant qu’en ce qui le concernait, il doutait de l’existence de tels pouvoirs. Devant le second groupe, l’exécutant fut simplement présenté comme un illusionniste, sans autre commentaire. Devant le troisième groupe, le professeur déclara aussi que l’exécutant était un illusionniste, en ajoutant : « Il fera semblant de lire vos pensées et de posséder des pouvoirs paranormaux... En réalité, vous verrez des tours d’illusionnisme. » Ainsi, les étudiants des second et troisième groupes étaient avertis que l’exécutant était un illusionniste ; comme c’étaient les professeurs eux-mêmes qui l’avaient fait venir, on ne pouvait mettre leur parole en doute.

Après la séance, les étudiants répondirent par écrit à un questionnaire dans lequel on leur demandait notamment s’ils croyaient que l’exécutant possédait des pouvoirs paranormaux.

Soixante-quinze pour cent des étudiants du premier groupe répondirent affirmativement, en dépit du scepticisme exprimé par leur professeur. Dans le second groupe, où l’exécutant avait été explicitement présenté comme un illusionniste, soixante pour cent des étudiants déclarèrent pourtant croire à ses pouvoirs paranormaux. Enfin, dans le troisième groupe, où non seulement les étudiants savaient qu’ils avaient vu un illusionniste, mais où en plus ils étaient prévenus qu’il s’agissait de trucs, la moitié d’entre eux croyaient aux pouvoirs paranormaux du magicien.

Dans chacun des trois groupes, plusieurs étudiants déclarèrent qu’à la suite de ce spectacle, leur croyance au paranormal se trouvait accrue. Ne venaient-ils pas d’en voir la preuve « de leurs propres yeux » ?

Comment expliquer ces résultats ? Les expérimentateurs supposent que la croyance au paranormal était très forte avant la démonstration, tellement forte que les étudiants ont simplement ignoré l’information présentée par leurs professeurs.

Les détails de cette expérience nous sont connus grâce à une traduction du rapport américain, établie par le professeur Philippe Thiriart, qui enseigne lui-même, la psychologie dans un collège du Québec. Le professeur Thiriart s’intéresse particulièrement aux processus qui portent à adhérer à des croyances irrationnelles. Il suppose que les arguments rationnels ou expérimentaux n’atteignent pas les gens dont les mécanismes mentaux ont une certaine structure. Le professeur Thiriart a effectué lui-même sur ses étudiants (notamment en leur donnant à lire l’ouvrage de Michel Rouzé La Parapsychologie en question) à des enquêtes dont nous parlerons prochainement.