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Armes médiatiques de destruction massive

Publié en ligne le 23 avril 2007 - OGM et biotechnologies -
par Marcel Kuntz

La première partie de l’émission Envoyé Spécial diffusée le 19 avril 2007 était consacrée aux OGM, afin d’y « voir un peu plus clair » selon l’une des présentatrices. En réalité, délibérément ou inconsciemment, un torrent de contrevérités et de manipulations fut déversé sur les téléspectateurs.

Le reportage débute par des actions d’agit-prop de Greenpeace. Il est question de lait provenant de vaches nourries aux OGM, sans que le produit ne soit étiqueté. Effectivement, la législation ne le prévoit pas, car l’aliment dérivé de ces animaux ne contient ni ADN des plantes transgéniques, ni protéines codées par cet ADN. Un activiste arrive néanmoins à effrayer une passante en évoquant un « lait génétiquement modifié ». Absurdité : un lait ne représente pas une entité génétique. Bien sûr la dame n’y comprend rien. Le but est atteint : lui insuffler la peur des « animaux nourris aux OGM » !

Marc Van Montagu, l’un des pères de la transgenèse, est ensuite présenté, non pour expliquer les nombreuses données scientifiques qui infirment les allégations de toxicité des OGM 1, mais dans une situation grotesque (en train de pédaler suspendu en l’air). Le mythe du savant fou revisité par France 2 ! Car il faut bien sûr être fou pour concevoir une invention aussi diabolique (elle a envoûté 10 millions d’agriculteurs en 2006 ! 2). L’à-peu-près de la journaliste va jusqu’à situer M. Van Montagu à l’Université de Gang (au lieu de Gand, la ville belge bien connue). Sans doute le gang qui veut devenir « le maître du monde » grâce aux OGM, comme on l’entendra plus tard dans le reportage. Nulle mention de la situation en Argentine où le « géant » Monsanto se trouve pourtant dépouillé de ses semences, sans toucher de royalties : comme domination du monde, on a vu plus efficace !

On apprend aussi que les agriculteurs peuvent « déverser des quantités astronomiques d’herbicide sur le champ sans affecter leur plantation » d’OGM. Bien sûr, le but de tout agriculteur est de déverser le plus possible d’herbicide !

Suit ensuite un monument de falsification. Des vaches sont mortes dans l’exploitation d’un agriculteur en Allemagne après consommation de maïs OGM. Remarquons la contradiction avec le début du reportage sur les aliments dérivés de vaches ayant consommé des OGM : pourquoi ne sont-elles pas mortes, celles-là ? Pourquoi ne meurent-elles pas massivement aux États-Unis, le plus grand producteur et consommateur d’OGM ? Quelles sont les preuves de ces allégations ? Ce sont des symptômes « que personne n’avait jamais vus auparavant ! » La journaliste demande à l’agriculteur : « quels indices vous ont mis sur la piste des OGM ? » L’agriculteur répond à coté. Entre ensuite en scène l’inévitable militant anti-OGM qui se trouve être aussi scientifique (enfin paraît-il !). Ce Professeur de l’Université de Giessen tient un bien curieux discours scientifique : à partir de ses examens (lesquels ? Où est la publication scientifique ?), il conclut « à une certaine relation avec le maïs transgénique et tant que l’on ne m’aura pas prouvé le contraire, j’estimerai que cette relation est probable... ».

Le journalisme d’épouvante atteint son climax : « des modifications qui se prolongeraient sur les générations futures ! » Des veaux et vaches atteints de malformation sont complaisamment montrés. Du jamais vu avant, on vous le dit ! Nulle mention, bien sûr, des études multi-générationnelles sur des souris nourries d’OGM pendant 4 générations successives, sous contrôle scientifique, sans que l’on ne constate aucune altération 3. Nulle mention non plus de l’étude du Robert Koch Institute de Berlin sur ces mêmes vaches malades 4. Détails sans importance pour ces journalistes, on y lit que ces vaches avaient consommé des mycotoxines (sans lien avec les OGM), deux d’entre elles étaient infectées par l’agent du botulisme (la bactérie Clostridium botulinum)...

Scientifique militant, acte 2 : apparaît G.E. Séralini, membre de l’organisation anti-OGM CRIIGEN, qui dénigre sans vergogne les scientifiques en insinuant qu’ils se « laisseraient compromettre »... par les multinationales (sous-entendu Monsanto), en se gardant bien de mentionner les subventions qu’il a lui-même reçues du numéro 2 mondial de la grande distribution pour financer ses activités anti-OGM 5

Bien d’autres mystifications pourraient être relevées dans ce reportage, mais passons à la dernière partie qui, au lieu d’une analyse en profondeur de l’intégration de l’agriculture nord-américaine dans l’économie de marché, se réduit à un réquisitoire simpliste contre Monsanto en particulier. La parole est donnée à des agriculteurs ayant eu des démêlés avec cette société, et notamment le canadien Percy Schmeiser, présenté comme la victime innocente d’une contamination accidentelle par du colza OGM, alors que la justice canadienne a conclu par trois fois à « des actes délibérés et réfléchis de la part de l’agriculteur » pour « cultiver 1 030 acres de canola (colza) Roundup Ready qui lui auraient par ailleurs coûté 15 000 $ » 6.

Les affabulations continuent devant un sac de semences : « une seule graine de colza transgénique... et le sac appartient à Monsanto » (Des tests effectués sur la récolte de P. Schmeiser ont révélé une proportion de 95 à 98 % de colza Roundup Ready 7). Ces journalistes se font décidément une bien curieuse idée de l’état de droit dans la démocratie canadienne ! « Le cas de P. Schmeiser a réveillé les consciences dans le monde agricole : la France a instauré un moratoire ». Encore raté : les pouvoirs publics français ont décidé en 1998 d’instaurer ce moratoire sur les autorisations de mise sur le marché de colza génétiquement modifiés afin d’étudier l’impact des possibilités (déjà identifiées) de croisements de cette espèce 8.

Décidément, il y a des jours comme ça à ne pas mettre une journaliste du « service public » dehors... Heureusement, le groupe France Télévision « s’est engagé depuis l’année 2000 dans une démarche éthique, tournée vers le téléspectateur » et « marque son attachement aux valeurs déontologiques qui gouvernent la télévision publique » 9. Ouf, nous voilà rassurés...