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À propos de Gary Kurtz

Publié en ligne le 14 janvier 2007 - Pseudo-sciences -

Gilles Rollini, prestidigitateur, a lu l’article « Gary Kurtz, le charlatan adulé des médias » publié sur notre site le 25 novembre 2006. Nous vous livrons ici sa minutieuse analyse à la fois de l’article et du personnage de Gary Kurtz.

Tout d’abord, je rappellerai que je suis comme vous opposé à tout charlatanisme et exploitation des gens par le biais de croyances ou manipulation mentale.

Que les choses soient claires également : tout comme moi, Gary Kurtz ne jouit d’aucun don « surnaturel », mais n’est qu’un artiste prestidigitateur, et d’ailleurs pas mauvais du tout, vu son succès, et la difficulté (que je connais) de certains de ses effets. Il y a plusieurs années, il avait un très bon numéro de prestidigitation traditionnel.

Je n’ai pas vu l’émission dont vous parlez, mais j’ai eu plusieurs fois l’occasion de rencontrer Gary Kurtz, puisque [...] je suis illusionniste et que de plus, je me suis toujours intéressé pour toutes sortes de raisons au mentalisme.

Et c’est en écrivant ce dernier mot que je me dois de vous apporter une précision en rapport avec votre article. Vous écrivez « Il se dit mentaliste…c’est bien là que le bât blesse ». Il faut savoir que la prestidigitation recouvre un certain nombre de spécialités. Certains font ce qu’on appelle de la magie générale, d’autres des grandes illusions, d’autres encore travaillent avec les cartes (qu’on appelle la cartomagie, à ne pas confondre avec la cartomancie), en close up (magie rapprochée), avec le feu, les cordes, les liquides, en magie comique ou spécialement pour enfants etc… Toutes ces spécialités ont un terme bien spécifique, et il en est de même pour les illusionnistes qui font des tours de pseudovoyance ou de divination et que dans notre jargon et dans les catalogues de matériel on appelle mentalisme. Il ne faut y voir là qu’un terme technique n’ayant aucune connotation surnaturelle. C’est pourquoi je ne pense pas qu’on puisse faire grief à Kurtz d’employer ce terme. Je l’emploie moi-même, rarement il est vrai avec le public, mais plutôt avec les organisateurs de spectacles pour leur faire comprendre exactement l’objet de ma prestation.

Où vous avez totalement raison, c’est sur l’ambiguïté de ses réponses aux questions qui lui ont été posées sur les trucs, dons ou travail. Mais la réponse n’est pas aisée. J’y reviendrai plus tard quand j’aurai développé d’autres points.

Lorsque Denisot annonce qu’il n’y a ni truc, ni complices, je pense qu’on peut croire en sa sincérité. En effet, même si nous utilisons des trucs, en aucun cas nous ne dévoilerons à un étranger (et Denisot en est un dans ce cas) notre manière de faire. Le secret est à ce prix. C’était certainement le cas déjà lors de l’émission avec Laurent Boyer, où même si certaines scènes ont été retournées, ce qui a d’ailleurs créé une polémique, je reste persuadé que ce dernier n’a pas compris 5 % des expériences de Kurtz. Quant aux complices, nous en utilisons très rarement. D’une part, ça n’aurait aucun intérêt intellectuellement car n’importe qui pourrait faire la même chose. D’autre part, il faudrait en changer très souvent, avec les risques de fuite que cela comporte. Mais surtout, le succès d’un effet réside dans le fait que nous avons pris n’importe qui dans la salle en utilisant des moyens aléatoires pour bien faire comprendre au public que nous ne connaissions pas le spectateur. Par contre il peut arriver que pour une émission de télévision importante, on soit tenté d’utiliser un complice (qu’on appelle aussi baron), uniquement pour assurer le coup. Il s’agit là plus d’une reconstitution d’un effet qu’on produit d’ordinaire sans complices.

Gérard Majax a raison de stigmatiser plutôt les médias, qui, ne comprenant pas comment on a fait, en rajoutent, à l’aide d’un maximum de superlatifs en nous présentant, soit pour vendre plus, soit pour masquer leur incompréhension.
Pour présenter un tour de mentalisme, nous avons une multitude de possibilités. Nous pouvons les regrouper en trois grandes catégories :

 les trucages proprement dits. Là, aucune dextérité n’est requise. C’est le matériel qui fait tout à notre place. Nous n’avons qu’à soigner la présentation :
 ce que j’appellerai les astuces mentales, n’ayant pas trouvé d’autre terme. Il s’agit là d’utiliser des astuces de langage, de manipulations, d’ambiguïté, de détournement d’attention pour amener le spectateur sur notre terrain. C’est un exercice difficile qui requiert beaucoup de travail et une expérience certaine.

 enfin l’utilisation pure et simple de principes psychologiques.

Dans un tour, on peut utiliser l’une de ces trois options, ou les imbriquer les unes avec les autres. C’est d’ailleurs le cas le plus fréquent, du moins pour les deux dernières.

De simples détails peuvent aussi se révéler importants pour la réussite du tour. Ainsi, si l’artiste réussit à faire croire qu’il a un certain pouvoir, le spectateur sera moins suspicieux sur la suite des opérations. Vous y faites d’ailleurs allusion à juste titre à la fin de votre article.

Je relie ce qui précède à votre paragraphe libellé : « Place à une petite analyse critique », où vous débutez par la phrase : « Kurtz a joué sur trois registres psychologiques pour tromper le public sur ce tour, mais on pourrait appliquer cela à d’autres que lui ». Vous avez tout à fait raison, mais c’est le but de tout illusionniste, sa raison d’être. Un prestidigitateur qui ne trompe pas son public n’a plus qu’à pointer aux ASSEDIC.

Dans les trois registres que vous énumérez, je suis entièrement d’accord avec vous sur au moins deux, les hésitations et la précision diabolique, mais encore une fois, c’est ce qui apporte du spectacle et c’est l’objectif final d’un artiste. Cela n’apporte rien (techniquement parlant) que le funambule soit à cinq mètres de haut. L’essentiel est qu’il sache marcher sur un fil, même à 10 centimètres du sol. Or, s’il s’y résignait, reconnaissez que l’intérêt serait amoindri. Pour un spectacle de magie, le ton, les accessoires, même le costume jouent un rôle

Par contre, en ce qui concerne « les exigences », c’est peut-être une panoplie de voyant, je n’en sais rien, mais c’est rarement une panoplie d’un illusionniste qui doit pouvoir tout deviner. Nous ne l’utilisons généralement que dans deux cas :
 lorsque l’expérience nous démontre que beaucoup font le même choix et qu’on veut éviter que cela se produise lors de notre prestation. Il est fort probable que ce soit ce cas-là dans l’émission que vous avez vue. Effectivement, si plusieurs personnes font un dessin chacun de leur côté, on peut craindre qu’il y ait plusieurs maisons. C’est en effet le dessin le plus fréquent dans ce genre d’expérience. Donc on peut vouloir éviter d’être dans ce cas en demandant de ne pas dessiner de maison.

 lorsque effectivement le spectateur ne peut pas faire quelque chose car le tour pourrait rater. J’ai par exemple dans mon répertoire un tour où je demande à un spectateur de penser à une carte librement, afin que je ne puisse pas l’influencer. Mais j’ajoute aussitôt : « par contre, ne choisissez pas un as, tout le monde le fait, et ce serait trop facile pour moi ». En fait, c’est surtout que le tour ne peut fonctionner que si le spectateur ne choisit pas un as.

On en arrive maintenant au point crucial qui nous intéresse : l’artiste mentaliste doit-il insister ou non sur son côté non surnaturel ? Pour ma part, j’ai fait le choix de toujours le dire, mais il m’est arrivé de me heurter à la dénégation de spectateurs qui malgré tout ne me croyaient pas, pensant que je disais cela pour avoir la paix. Il est vrai que dans ce choix, je suis minoritaire.

En fait, peu de mes confrères prétendent réellement détenir des pouvoirs surnaturels, comme notamment un collègue dont je tairai le nom qui partait du principe que puisque les spectateurs lui prêtaient un pouvoir surnaturel, pourquoi les décevoir en leur disant le contraire (depuis, je l’ai vu dans une émission télé où, là, il se présentait comme illusionniste. Ironie du sort, il s’agissait d’une émission sur l’étrange et le paranormal. Mieux vaut tard que jamais). Non, ils préfèrent rester dans le flou. Pour preuve, sauf erreur de ma part, Gary Kurtz n’a jamais prétendu détenir un pouvoir quelconque ; il tourne autour du pot, jouant de l’ambiguïté sur les termes mentalisme (puisque c’est la discipline qu’il pratique), trucage (puisqu’il n’utilise que très rarement de matériel truqué, mais des astuces), don (car on peut être doué pour quelque chose sans que ce soit d’essence divine) et éventuellement magie (puisque c’est notre discipline générique, sans qu’il y ait de connotation sectaire).

A titre personnel, je relativiserais vos conclusions, et je hiérarchiserais les situations.

 Présenter un spectacle de mentalisme, avec tout le décorum que cela comporte (scène, musique, mise en scène, éclairages …) et deviner le nom d’une carte ou le numéro d’un billet de banque sans préciser que ce n’est qu’un numéro de music-hall, ce n’est peut-être pas très grave. Notre métier est aussi de faire rêver les gens. Si le spectateur croit à un miracle, il n’est souvent pas dupe mais se force à croire, peut-être comme les enfants en fin de maternelle qui croient « à moitié » au Père Noël, comme dans un article que vous avez écrit il y a quelque temps.

 Présenter un spectacle de mentalisme, avec également tout le décorum que cela comporte (scène, musique, mise en scène, éclairages …) et se livrer à des expériences s’apparentant à de la voyance (prédiction de l’avenir, conseils personnels ou détails sur des proches) sans préciser que ce n’est qu’un numéro de music-hall commence déjà à me poser un sérieux problème déontologique.

 Profiter de sa notoriété pour faire commerce soit de grigris, soit d’horoscopes et pire encore faire fonction de guérisseur est évidemment la ligne blanche à ne surtout pas franchir et mérite amplement des poursuites judiciaires.

Vous avez tout à fait raison de pourfendre les abus en la matière et suis dans le même esprit. C’est d’ailleurs pour cela que je me suis abonné à votre revue. De plus, en complément de mes spectacles, il m’arrive assez souvent de collaborer à un organisme de formation pour lequel j’interviens dans des modules de management. J’y ai pour mission de sensibiliser les cadres à la difficulté de percevoir les choses dans leur réalité et de se méfier des jugements et interprétations hâtifs. Bref, d’ouvrir les yeux et savoir regarder tout autour sans se fier aux apparences. Tout ceci se fait à l’aide de tours de magie durant lesquels je répète continuellement qu’il y « a un truc ».

Gilles Rollini