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Gary Kurtz, le charlatan adulé des médias

Publié en ligne le 25 novembre 2006 - Pseudo-sciences -
par Agnès Lenoire - SPS n° 275, décembre 2006

21 novembre 2006 sur Canal + : un des invités de l’émission « Le grand journal » se nomme Gary Kurtz… le plateau est sous le charme.

Le personnage a pourtant une allure des plus normales et ordinaires. Comme vous et moi. Sauf que pour lui, une aura de célébrité et de mystère le précède, rendant encore plus troublante cette apparente proximité avec le tout-venant. Et c’est peu dire que le plateau de Michel Denisot s’est senti troublé ce soir-là, au point de ne poser, à aucun moment, aucune question qui dérange, au point de taire le moindre petit doute, comme si effleurer ce monsieur d’une once de curiosité critique eût été un sacrilège, au vu de son don immense. Voilà pour l’ambiance du plateau. C’était mal parti pour le scepticisme. Mais il est toujours temps : rattrapons-nous ensemble et voyons un peu comment s’est déroulée cette petite séquence de propagande mystique

Admiration sans objet

M. Denisot lui demande d’abord comment il doit le présenter aux spectateurs : magicien, illusionniste ? G. Kurtz répond que non, il n’est ni l’un ni l’autre : il se dit « mentaliste, ou magicien de l’esprit ». C’est bien là que le bât blesse ! Tout le ressentiment qu’on peut nourrir, en tant que rationaliste, à son égard, tient en cette définition de ses talents. Car qui reprocherait à un magicien illusionniste de « bluffer » ses spectateurs ? C’est d’ailleurs l’existence de techniques bien étudiées et travaillées, avouées mais non dévoilées, qui vaut à l’illusionniste toute notre admiration. Un label de professionnalisme, en quelque sorte. Mais ici, qu’y a-t-il à admirer ? Un don du type « paranormal », en lequel nous ne croyons pas, qui sera donc du type « vide ».

Denisot s’enquiert aussi des causes de son talent : trucs, don, ou travail ? Kurtz réfute les « trucs » mais ne se prononce pas sur les deux autres propositions, ce qui renforce l’idée de capacité de son esprit. En effet, s’il n’y a pas de truc, c’est qu’il est doué, non ? – déduction simpliste, mais efficace. Le travail pouvant aussi bien s’associer au « don » qu’à l’élaboration de trucages, il n’en dira rien.

Place à une démonstration !

C’est Denisot lui-même qui annoncera que pour le tour suivant, il n’y a « ni trucage, ni complicité »... ça va être dur de le croire ! Kurtz demande aux chroniqueurs et invités du plateau de faire chacun un dessin libre, n’importe quoi sauf une maison (?). Auparavant on lui a bandé les yeux de façon magistrale (pièce sur chaque oeil, maintenue par des adhésifs larges, noirs, croisés, puis ajout d’une écharpe grise par-dessus le tout). Kurtz doit décrire ensuite les dessins, tous sensés avoir été exécutés de façon spontanée (?) par chacun des protagonistes autour de la table. Résultats : il a identifié correctement 4 dessins sur 5. Celui qui lui a échappé était une sorte de lapin à queue longue comme une souris, dont il dira qu’il voyait des ronds et des triangles. Il a détecté le dessin de l’étoile, après des hésitations fort peu naturelles, bien réfléchies, du genre : « des nuages, c’est diffus, ça se précise... oui... une étoile ? ». Pour ciseler son bel effet, il ajoute, pour le dernier dessin (qui était un petit personnage tout en bâtons), que ce bonhomme avait un petit cheveu sur la tête, ce qui était exact.

Place à une petite analyse critique !

Kurtz a joué sur trois registres psychologiques pour tromper le public sur ce tour, mais on pourrait appliquer cela à d’autres que lui.

Les exigences

Elles font partie de la panoplie des voyants, médiums et autres (ici, c’est de ne pas dessiner de maison). Elles cherchent à démontrer aux ignorants que nous sommes que leur esprit est habité d’une force, mais que cette force est contraignante. Capricieuse, elle pousserait le détenteur d’un tel don à composer avec elle, ou bien à s’incliner quand elle refuse de s’exprimer dans certaines situations. L’interdiction de dessiner une maison laisse supposer qu’un tel dessin serait capable de bloquer le processus de divination. L’effet est indéniable : on aurait tendance à compatir à une telle dictature. Du coup, le respect est dû au « magicien de l’esprit », et le culte s’installe. Ici l’obéissance a été totale : pas une maison n’a été dessinée. Et pourtant, la curiosité me démange de savoir ce qu’il en aurait été dans le cas contraire. Kurtz aurait été pris de folie ? de désespoir ? de confusion ? de disparition de son mental ? de coup de génie (aveu de son charlatanisme – non, tout de même !) ?

Les hésitations

Pour tous les charlatans du paranormal, elles permettent de rester crédibles (ici, l’hésitation porte sur le type de dessin). Quand la notoriété excessive aurait tendance à les parer de perfection, donc de suspicion, une hésitation, voire une erreur, les dédouane de l’éclat du divin. C’est psychologiquement bien dosé : faire croire à beaucoup de talent, mais se ménager quelques ratés, rares, qui donnent à leurs auteurs le statut d’un simple « demi-dieu ». C’est déjà pas si mal...

La précision diabolique

C’est l’assaut final élaboré pour installer un véritable culte de la personnalité (ici, c’est le petit cheveu sur la tête du bonhomme qui constitue la précision diabolique). Le public était séduit par un personnage capable de tâtonnements – au point de pouvoir s’identifier ? – et puis tout à coup la précision de la vision assène un coup fatal à l’identification naissante. Non, le tout-venant ne sera jamais comme lui, avec un « œil » diaboliquement lucide, perçant de précision. Un petit cheveu fait toute la différence, aux yeux du public béat, entre le professionnel et l’amateur. Kurtz tient donc à terminer par un coup d’éclat qui le conforte dans la position du mentaliste professionnel, qui maîtrise son art.

À quand une mise à l’épreuve ?

Ces manœuvres ont fonctionné à merveille sur le plateau de Denisot. Animateurs et chroniqueurs ont roulé des yeux ronds comme des billes, et n’ont pas ménagé leurs « Oh ! » et « ah... ! ». Kurtz a donc pu enchaîner sur un autre tour (lecture des numéros d’un billet de banque à distance) en bénéficiant d’une crédulité tout acquise de son public. Il est fort à parier qu’une fois la confiance installée, les autres tours nécessitent moins de précautions. La raison est comme la vision : elle enregistre ce que le cerveau veut bien lui traduire, ce qui autorise les illusions. Une raison affaiblie par une croyance est certainement peu apte à détecter quoi que ce soit dans un tour mentaliste.

Impossible pour moi, faute de compétences, de détecter ni les trucages ni les complicités dans les tours de G. Kurtz. Mais il suffirait qu’il admette être un technicien de l’illusion et on accepterait de jouer le jeu du grand spectacle de magie. Son obstination à se faire passer pour un parapsychologue, un magicien de l’esprit, pour reprendre sa définition, fait de lui un charlatan, rien d’autre. En 2004, Paul-Eric Blanrue avait dénoncé une émission de M6 vouant un culte à Kurtz, et avait défié celui-ci, sur le site du Cercle Zététique, de venir faire ses tours avec les zététiciens, à l’aide d’un protocole rigoureux pour éviter trucages et complicités. Kurtz avait là l’occasion de prouver sa bonne foi. À ma connaissance, cela n’a jamais été fait. Sur le site du Cercle Zététique, vous trouverez aussi l’avis de Gérard Majax sur Gary Kurtz : il accuse fermement les médias, dont il dit que la responsabilité est grande dans l’abêtissement du public.