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Science sans a priori ou science consciente de ses limites ?

Publié en ligne le 3 mai 2006 - Science et religion -
Synthèse par Pierre Blavin

Le journal Le Monde a publié le 23 février 2006 une tribune intitulée « Pour une science sans a priori » et le 4 avril, en réponse à la première, un autre tribune sous le titre « Pour une science consciente de ses limites ». La première était signée par « un groupe de scientifiques venant des horizons les plus divers » mais déclarant avoir tous participé aux activités de l’Université Interdisciplinaire de Paris 1. La seconde était également signée par des « scientifiques venant des horizons les plus divers » 2.

Une science sans a priori ?

Pour les signataires du premier texte, « si les conceptions religieuses ou métaphysiques ne doivent en aucun cas intervenir a priori dans le déroulement de la recherche scientifique, il est non seulement légitime mais également nécessaire de réfléchir a posteriori aux implications philosophiques, éthiques et métaphysiques des découvertes et des théories scientifiques ». Les « opinions les plus diverses » s’expriment sur ces implications. Mais selon eux, le débat est faussé par une confusion entre le créationnisme proprement dit professé par les tenants du « Dessein intelligent » « qui nient quelques-unes des bases de la science moderne » et ceux, comme eux-mêmes, « qui affirment que les progrès de l’astrophysique suggèrent l’idée selon laquelle un dessein existant dans l’Univers n’est pas à exclure ».

Les signataires évoquent ensuite l’organisation par l’American Association for Advancement of Science, éditrice de la revue Science, d’une journée intitulée « Y a-t-il un dessein dans l’univers ? » dans un colloque de 1999 sur les « questions cosmiques » et constituée par un débat entre « astro-physiciens professionnels ». Selon eux, la découverte, qui date des années 1980, de l’existence d’un réglage précis de l’Univers pour que la vie puisse y apparaître est considérée par certains scientifiques comme pouvant conforter, sans la prouver, « l’hypothèse de l’existence d’un principe créateur ».

Reconnaissant que le matérialisme méthodologique est à la base de la méthode scientifique, sauf peut-être dans la physique quantique, les auteurs du texte estiment en revanche que l’acceptation de ce principe ne mène pas obligatoirement au matérialisme scientifique.

En conclusion, les signataires refusent l’accusation de se livrer à des « intrusions spiritualistes en science » et espèrent notamment « aider le public à s’intéresser au débat en cours sur les implications philosophiques et métaphysiques des découvertes scientifiques effectuées au cours du XXe siècle ».

Plutôt une science consciente de ses limites !

On donnerait volontiers acte aux auteurs du premier texte de la distinction qu’ils opèrent entre eux-mêmes et ceux qu’ils considèrent comme les seuls vrais créationnistes. Mais, comme le font remarquer d’emblée les signataires de la réponse, ce qu’il faut distinguer de la manière la plus claire, c’est « le travail légitime qui revient à un scientifique de ce qui est propre au théologien ». Or « les spéculations métaphysiques auxquelles ils nous invitent sont avant tout de nature théologique ». Le but du scientifique ne saurait être de chercher à « savoir si la science nous donne une raison de croire en Dieu ». On a déjà constaté de véritables dévoiements de la science au profit d’une philosophie irrationnelle.

Depuis la fin du XVIIIe siècle, les sciences « ne s’occupent que de questions de faits appréhendables expérimentalement ». L’exercice qui consiste à se servir des résultats de la science pour conforter des croyances religieuses « ne relève pas du travail scientifique ». Il convient de bien préciser « les délimitations entre les différents types d’affirmations sur le monde »

Ces principes posés, les signataires de la réponse ne manquent pas de rappeler que l’Université interdisciplinaire de Paris est financé par la Fondation Templeton « pour le progrès de la religion ». Il n’est pas étonnant dès lors que l’UIP promeuve des chercheurs qui incluent ouvertement leur quête métaphysique dans leur recherche scientifique 3. Que cette organisation se démarque des créationnistes du « Dessein Intelligent » (Intelligent Design) relève davantage de la tactique que de la conviction : « le recours à la providence dans une explication du monde qui se veut scientifique est un point commun à l’UIP et à l’ID ».

En conclusion, les auteurs du texte affirment : « Il ne s’agit pas d’interdire à qui que ce soit de penser quoi que ce soit, mais il est du devoir des scientifiques d’exiger qu’on désigne cela d’un autre nom que celui de "science", ou d’avertir le public qu’il ne s’agit plus de science ».

1 Pour une science sans a priori. Signataires :
Jacques Arsac, informaticien, Académie des sciences ; Mario Beauregard, neurologue, université de Montréal ; Raymond Chiao, physicien, professeur à l’université de Berkeley ; Freeman Dyson, physicien, professeur à l’Institut d’études avancées de Princeton ; Bernard d’Espagnat, physicien, Académie des sciences morales et politiques ; Nidhal Guessoum, astronome, professeur à l’université américaine de Sharjah ; Stanley Klein, physicien, professeur à l’université de Berkeley ; Jean Kovalevsky, astronome, membre de l’Académie des sciences ; Dominique Laplane, neurologue, professeur à l’Université Paris-VI ; Mario Molina, Prix Nobel de Chimie, université de San Diego ; Bill Newsome, neurologue, professeur à l’université de Stanford ; Pierre Perrier, modélisation, Académie des sciences ; Lothar Schafer, physicien, professeur à l’université de l’Arkansas ; Charles Townes, Prix Nobel de Physique, université de Berkeley ; Trinh Xuan Thuan, astronome, professeur à l’université de Virginie.

2 Pour une science consciente de ses limites. Signataires :
François Athané, philosophe, Paris-X ; Cyrille Baudouin, journaliste scientifique ; Jean Bricmont, physicien, université de Louvain ; Olivier Brosseau, biologiste ; Jean Dubessy, directeur de recherches CNRS ; Meriem El Karoui, microbiologiste, INRA ; Thomas Heams, biologiste, INA-PG ; Michel Henry, mathématicien, UR ; Georges Jobert, ancien directeur scientifique du CNRS ; Jean-Pierre Kahane, mathématicien, Académie des sciences ; Jean-Paul Krivine, revue Science et pseudo-sciences ; Guillaume Lecointre, biologiste, MNHN ; Roger Lepeix, ingénieur, AFIS ; Edouard Machery, philosophe des sciences, université de Pittsburgh ; Christian Magnan, astrophysicien, Collège de France ; Richard Monvoisin, chargé de cours de pensée critique et zététique, université Fourier, Grenoble ; Cédric Mulet-Marquis, enseignant, ENS, Lyon ; Michel Naud, ingénieur, vice-président de l’AFIS ; Jean-Claude Pecker, astrophysicien, professeur honoraire au Collège de France ; Pascal Picq, paléoanthropologue, Collège de France ; Marc Silberstein, revue Matière première.

3 Pour davantage de détails, voir le site http://jerome-segal.de/Assomat/ (disponible sur archive.org—4 mars 2020).