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Les cures thermales sont-elles efficaces ?

Publié en ligne le 30 juin 2004 - Médecines alternatives -

Le 22 mars 2000, à l’Assemblée Nationale, Madame Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, en réponse à une question orale, fait une intervention sur la crénothérapie 1 où elle déclare que le gouvernement doit « moderniser l’activité thermale, pour qu’elle soit plus efficace, plus sûre et plus pérenne ». Elle déclare qu’elle charge Pierre Delomélie, de l’Inspection générale des affaires sociales(IGAS), de rédiger un rapport sur le thermalisme. Le rapporteur, s’appuyant sur les précédentes publications, consultera les administrations, les élus et les professionnels concernés et visitera un large échantillon de stations et d’établissements thermaux. Plus de 370 personnes ont été entendues et 13 stations situées dans 7 régions ont été visitées. Le Rapport sur le thermalisme français a été publié par l’IGAS en octobre2000. Sauf indications contraires, les citations de cet article en sont extraites.

Historique

L’histoire du thermalisme s’inscrit dans le symbolisme des eaux. De tout temps, elle a été le liquide sacré générateur de vie et de fertilité. La fontaine de Jouvence apporte la jeunesse et encore aujourd’hui en France, des sources miraculeuses, de Sainte Anne d’Auray à Lourdes, sont supposées produire des miracles.

Cette croyance en l’eau purificatrice et régénératrice des hommes et des dieux, se retrouve dans toutes les cultures. Les Indiens, avec ferveur, se baignent dans le Gange sur les Gatts de Bénarès et chaque année, au son des guitares gitanes, « les saintes Maries » sont, en procession, plongées dans la mer.

D’après certains témoignages, l’utilisation de l’eau pour un usage médical remonterait, en Grèce, en Italie et en Égypte à 3000 ans avant notre ère. Les Romains répandront son usage jusqu’aux confins de l’empire et la cure est parfois offerte aux plus valeureux soldats au retour des campagnes. Charlemagne puis Napoléon III seront de grands promoteurs du thermalisme et les villes d’eau deviendront au fil des temps d’importants lieux de villégiature.

La reconnaissance de la cure thermale comme soin à part entière se confirmera en 1947 lorsque la Sécurité Sociale décidera d’en effectuer le remboursement.

Cadre juridique et fonctionnement

Dans ce domaine, le rapport de l’Inspecteur Général Delomélie indique que : « Le thermalisme et, de manière plus générale, le champ des eaux minérales, est régi par des textes nombreux, dispersés, parfois anciens, avec des zones d’ombre voire de carence, qui forment un cadre juridique baroque à l’activité thermale. »

L’eau minérale naturelle est définie par l’article 2 du décret n° 89-369 du 6 juin 1989 comme « eau possédant un ensemble de caractéristiques qui sont de nature à lui apporter ses propriétés favorables à la santé ». En théorie, une eau minérale répond donc à quatre critères : aspect naturel (« pureté originelle »), composition spécifique, constance de la composition, propriétés favorables à la santé [...]

L’étude des textes régissant le domaine des eaux minérales montre qu’ils sont nombreux et variés, souvent anciens, parfois techniquement obsolètes et qu’ils ont des bases juridiques remontant dans certains cas au XIXème siècle : ordonnance royale du 18 juin 1823 portant règlement sur la police des eaux minérales et décret du 28 janvier 1860 modifié portant règlement d’administration publique relatif à la surveillance des sources et des établissements d’eaux minérales naturelles notamment.

En ce qui concerne l’autorisation, « toute forme d’exploitation d’une eau minérale naturelle est soumise à autorisation », mais le dispositif d’instruction de la demande d’autorisation « montre de nombreuses défaillances : délais importants d’instruction des dossiers [...], exploitation de sources non autorisées [...], insuffisante caractérisation de la source aux plans physico-chimique, chimique et microbiologique lors de son autorisation, limitée à des recherches classiques et de surcroît effectuée sur un nombre limité de prélèvements couvrant une période réduite ».

Il y a « environ 700 sources d’eau minérale naturelle recensées, dont 400 sont réellement exploitées, et de l’ordre de 160 sources déclarées d’intérêt public [...], à côté des sources déclarées d’intérêt public, environ 150 sources d’eau minérale naturelle autorisées n’ont pas fait l’objet d’une telle déclaration, et ne sont donc pas juridiquement protégées [...] Le suivi de la qualité de l’eau minérale naturelle autorisée est également largement améliorable » car, le réseau de laboratoires agréés étant largement défaillant, il s’y est peu à peu substitué un « système d’auto contrôle » mis en place par les établissements thermaux eux-mêmes et qui est « essentiellement axé sur la recherche de contaminations microbiennes ». Par ailleurs “feu le laboratoire national des études hydrologiques et thermales”, chargé de gérer le fichier sanitaire central des eaux minérales (cf. arrêté du 14 octobre 1937), n’a jamais procédé à une exploitation des données physico-chimiques et chimiques des quelques 6000 résultats d’analyses transmis chaque année par les laboratoires agréés, se limitant à l’exploitation des données bactériologiques ».Et le rapporteur de conclure que « le maintien du thermalisme dans l’arsenal thérapeutique pris en charge par la collectivité ne peut s’accommoder d’un pareil laxisme » et de déplorer, après tant d’autres, que « deux produits thermaux, les boues et les gaz, ne fassent l’objet d’aucune réglementation et donc d’aucun contrôle de la part des pouvoirs publics. Il y a là une lacune qui devient réellement scandaleuse et que rien ne peut justifier. »

Cette impression de laxisme généralisé se confirme au niveau du personnel thermal et, pour ne parler que du corps médical, on notera que « les médecins thermaux ne sont soumis à aucune condition particulière, notamment de qualification. En pratique les médecins thermaux sont essentiellement des généralistes. Quant au médecin "attaché à chaque établissement thermal en qualité de directeur ou de conseiller technique" (article 11 de l’annexe XXVI du décret de 1956), son rôle n’est défini nulle part et est en pratique très variable. L’indépendance des médecins (prescriptions et contrats) est un sujet d’inquiétude souligné dans différents rapports. Des documents communiqués par la fédération française des curistes médicalisés témoignent, sous réserve de vérifications, de dérives répréhensibles. L’ordre national des médecins, sous la signature de son président, a confirmé au rapporteur que certains médecins, "malgré les pressions exercées sur eux, avaient signalé des atteintes inadmissibles à la déontologie médicale avec des éléments ne permettant pas de douter de la véracité de leur affirmation" ».

Sources thermales et orientations thérapeutiques

Si les eaux thermales contiennent des molécules spécifique actives sur telle ou telle pathologie, on doit s’attendre à ce qu’une station donnée soit associée à un domaine thérapeutique précis. Sauf à croire que le médicament universel puisse exister.

Sur les « 107 stations thermales inscrites à la Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP) dont 101 étaient en activité lors de la saison 2000 » on dénombre 12 orientations thérapeutiques. En fait à l’heure actuelle d’après des chiffres communiqués par le Syndicat Autonome du Thermalisme Français (SATF), l’orientation « rhumatologie et voies respiratoires représente environ 88% des curistes » soit à peu près 63% pour la rhumatologie et 25% pour les voies respiratoires. En fait, et ce point porte largement atteinte à la crédibilité de la crénothérapie, le rapport Delomélie indique qu’on assiste ces dernières années à une « "déspécialisation" des stations thermales. Traditionnellement en effet, du moins en France, les orientations thérapeutiques d’une station, limitées à une, voire deux, étaient liées à la composition chimique de son eau minérale et une bonne part des travaux scientifiques réalisés dans la première moitié du XX e siècle fut consacrée à établir des relations plus ou moins étroites entre l’hydrologie d’une part, la biochimie, la physiologie, la pharmacodynamie et enfin la clinique d’autre part. Cette construction n’a pas résisté à l’évolution de la demande, déclinante dans certains domaines en raison de l’efficacité grandissante d’autres thérapeutiques, croissante dans d’autres du fait notamment du vieillissement de la population et de l’efficacité relative ou des effets indésirables des autres approches. Ainsi, sous l’œil bienveillant des pouvoirs publics, de nombreuses stations thermales ont bénéficié de nouvelles orientations thérapeutiques, notamment en rhumatologie ». Et le rapporteur de conclure avec un brin d’agacement : « S’il faut saluer cette adaptation de l’offre à la demande, il est toutefois regrettable qu’elle n’ait pas été étayée par des études scientifiques et médicales convaincantes. » La demande en rhumatologie, qui était de 55,7% des curistes en 1991 est passée à 63,09% en 1998, puis à 64,74% en 1999 2 . On comprend aisément pourquoi certaines stations ont brutalement pris conscience des nouvelles vertus anti-rhumatismales de leurs eaux thermales...

L’efficacité

La position des autorités médicales à propos du thermalisme est plus que réticente. L’Académie de médecine, par exemple, ne se prononce pas sur l’efficacité de la cure, pas plus que sur ses contre-indications, mais seulement sur la sécurité, notamment la qualité microbiologique de l’eau. « En 1988, le haut comité médical de la sécurité sociale émettait des réserves sur le rétablissement de la crénothérapie dans le cursus des études médicales "en raison de l’absence habituelle de consensus scientifique sur les effets de cette thérapeutique" »

« En 1995, l’INSERM, sollicité pour mettre en oeuvre une proposition du rapport EBRARD en réalisant "une expertise collective destinée à dégager, parmi les publications françaises et étrangères consacrées aux effets bénéfiques des cures thermales, les bases méthodologiques qu’il convient de retenir pour mener des essais thérapeutiques en matière de thermalisme", renonce à effectuer cette expertise "faute de données pertinentes" », ce qui, en langage diplomatique signifie qu’aucune étude n’est suffisamment sérieuse pour servir de base à une réelle évaluation.

En 1996, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (ANAES) 3 notera elle aussi que « la littérature sur le thermalisme est abondante, mais difficile à identifier et de qualité très inégale. Très peu d’études sont valides méthodologiquement. » A la différence du médicament qui, à l’exception notable et scandaleuse de l’homéopathie, doit faire l’objet d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), dont l’obtention est longue et onéreuse, il n’y a aucune « obligation de fait d’évaluer les propriété bénéfiques pour la santé pour l’octroi de l’autorisation d’exploiter une source d’eau minérale et de démontrer l’efficacité d’une cure thermale pour l’inscription d’une station et de ses orientations thérapeutiques à la NGAP ».

La seule étude présentable à laquelle se réfèrent régulièrement les partisans du thermalisme est celle qui fut financée en 1987 par la CNAM et qui prétendit avoir mis en évidence plusieurs points positifs : amélioration de l’état des patients après la cure, baisse de la consommation de médicaments et diminution du nombre des hospitalisations. En fait, dès 1992, la CNAM elle même constatait « publiquement que la méthodologie de l’étude en question manquait de rigueur, ce qui rendait ses résultats peu fiables » 4 .

Le remboursement

On se souvient que, dans un « plan stratégique » présenté lors de son Conseil d’Administration du 12 juillet 1999, la CNAM souhaitait qu’on abandonne le remboursement des cures thermales, sauf en ce qui concerne « les voies respiratoires chez les enfants, la dermatologie et les affections des muqueuses buccolinguales » et précisait que, quelle que soit l’indication retenue, on pouvait seulement faire état de « notion de réussite » et non « d’efficacité ». Une manière de bien séparer ce qui ressort du simple témoignage de mieux-être de l’essai utilisant une méthodologie moderne. Ce déremboursement était proposé dans un cadre plus vaste dont le but était de « diriger les ressources de l’assurance maladie vers la prise en charge des thérapeutiques qui ont fait leurs preuves, thermales ou non... » 5 . C’est l’application de ce même plan stratégique qui amena, dans un autre domaine, au déremboursement de plusieurs centaines de médicaments - parfois fort populaires - pour absence d’efficacité. Sur intervention personnelle de Martine Aubry, et pour des raisons probablement fort éloignées de la rigueur scientifique, il en fut différemment pour le thermalisme. Le remboursement des cures fut maintenu au nom de la « tradition » et du « bien-être ». On ne parlait plus d’efficacité !

L’avenir

Les eaux thermales ont-elles des vertus curatives ? Rien n’est moins sûr ! En tout cas, la chose reste à démontrer et personne ne semble vraiment pressé d’avoir la réponse. Que la cure provoque une amélioration du bien-être, nul n’en doute. Un environnement apaisant, un cadre agréable et serein, l’écoute attentive et bienveillante d’une équipe de professionnels et la mise en oeuvre de soins annexes ne peuvent que participer à l’amélioration, au moins transitoire, de l’état du malade. Si on ajoute à cela l’incontestable poids économique de l’activité thermale, on comprend qu’il est tout à fait raisonnable de chercher une solution pour financer, au moins partiellement, les cures thermales.

Peut-être pourrait-on, pour cela, s’inspirer des exemples de l’Espagne ou de la RFA. Dans un cas, « les traitements thermaux ne sont pas pris en charge au titre des prestations sanitaires, mais peuvent l’être dans le cadre d’un programme de thermalisme social réservé aux retraités », dans l’autre, les curistes sont « pris en charge soit par l’assurance maladie soit par l’assurance vieillesse ». Peut-être faut-il enfin admettre qu’il est « difficile d’imaginer un développement important du nombre de curistes dans le cadre d’un thermalisme purement médical » et songer à réorienter le potentiel des stations thermales vers une diversification franchement touristique.

Ainsi pourraient être réconciliés la demande des curistes, l’intérêt économique des stations et la légitime volonté de rigueur des responsables de la CNAM.

1 Du grec krênê, source. Traitement par les eaux de source.

2 Source : Union Nationale des Établissements Thermaux et Syndicat National des Établissements Thermaux

3 Principes méthodologiques d’évaluation des orientations d’un établissement thermal, ANAES - décembre 1996

4 Réponse de Gilles Johanet le 8/9/2000 sur 33docavenue.com

5 Principes méthodologiques d’évaluation des orientations d’un établissement thermal, ANAES - décembre 1996

Publié dans le n° 249 de la revue


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L' auteur

Jean Brissonnet

Agrégé de physique, a créé et développé le site www.pseudo-medecines.org. Il a été vice-président de l’AFIS de (...)

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