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La science soutient une vieille légende

Publié en ligne le 21 octobre 2005 -
par Anny Guindon - ASP

Une légende prétend que les Mlabri, population d’environ 300 chasseurs-cueilleurs habitant les profondeurs de la jungle d’Asie du Sud-Est, descend de deux enfants bannis de leur communauté d’agriculteurs. Il a fallu l’arrivée de la génétique pour confirmer que ce n’est pas une fable.

Il y a des centaines d’années, les ancêtres des Tin Prai, une population d’agriculteurs, auraient en effet banni deux enfants et les auraient placés sur un radeau pour que la rivière les emporte au loin. Ces enfants, un garçon et une fille, auraient fui dans la forêt et auraient subsisté de chasse et de cueillette, devenant ainsi les membres fondateurs des Mlabri, la seule tribu de chasseurs-cueilleurs de cette région (à cheval entre la Thaïlande et le Laos).
« Étonnamment, cette histoire s’accorde avec les évidences génétiques et linguistiques », notent des chercheurs de l’Institut Max Planck d’anthropologie de l’évolution à Leipzig, en Allemagne, dont les travaux sont publiés dans la revue PLos Biology de mars 2005.

Ils ont constaté que les Mlabri présentent une très faible diversité génétique et, fait remarquable, des séquences d’ADN mitochondrial identiques : cela signifie qu’ils proviennent d’un pool génétique très limité, peut-être composé d’une seule femme — l’ADN mitochondrial étant un type d’ADN transmis uniquement par les femmes — et d’au plus quatre hommes. Les chercheurs ont également découvert que les Mlabri partagent des séquences d’ADN mitochondrial avec les groupes agricoles voisins. Or, des recherches antérieures ont démontré qu’en général, les populations de chasseurs-cueilleurs de vieille souche ne partagent que très peu d’ADN mitochondrial avec les populations agricoles : autrement dit, chasseurs et cultivateurs n’ont pas l’habitude de se mêler.

La concordance avec la légende ne s’arrête pas là.

L’analyse linguistique confirme cette filiation et apporte même des précisions sur le groupe d’agriculteurs d’où proviendraient les Mlabri. Certains éléments de vocabulaire lient la langue des Mlabri à celle des Tin Prai : toutes deux descendraient d’une souche commune. De plus, le temps estimé depuis la séparation des deux langues est comparable à celui avancé par l’étude génétique. Les scientifiques en concluent donc que les Mlabri ont évolué à partir d’un très petit nombre d’individus, 500 à 1000 ans auparavant. La science a rattrapé le mythe.


Chasseurs et agriculteurs : l’œuf ou la poule ?

Les théories classiques disent que le mode de vie de chasseur-cueilleur doit nécessairement précéder, dans l’évolution, celui d’agriculteur. Des chasseurs-cueilleurs de la jungle thaïlandaise contredisent cette théorie.

C’est que les Mlabri, avant d’être des chasseurs-cueilleurs, vivaient en effet des produits de l’agriculture (voir ci-dessus).

D’une population avoisinant les 300, c’est le seul groupe de la région à vivre de chasse et de cueillette. La question de leur origine intrigue depuis qu’on les a découverts en 1936. La génétique et la linguistique viennent de s’entendre pour dire que les Mlabri seraient nés, il y a 500 à 1000 ans, de quelques individus provenant d’un groupe d’agriculteurs. Ils auraient adopté un mode de vie basé sur la chasse et la cueillette, parce qu’ils étaient trop peu nombreux pour soutenir une agriculture.
Cette découverte s’ajoute donc à quelques autres cas, encore mal documentés et sujets à caution, qui tendraient à démontrer que la transition entre chasse et agriculture peut se faire dans un sens ou dans l’autre. Fait important pour les anthropologues, elle renforce l’idée qu’on ne peut considérer les groupes de chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui comme des "modèles" pour comprendre les populations pré-agricoles des temps préhistoriques.


Mots-clés : Mythes et légendes - SVT


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