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Les âmes errantes

Publié en ligne le 15 avril 2018
Les âmes errantes

Tobie Nathan
L’iconoclaste, 2017, 250 pages, 19€

Tobie Nathan est docteur en psychologie, professeur à l’université Paris-8. Il a fait une thèse avec le psychanalyste Georges Devereux et une autre avec le psychanalyste Didier Anzieu. Au fil du temps, il est devenu de plus en plus critique envers le freudisme, ce qu’illustre sa contribution, en 2005, au Livre noir de la psychanalyse. Il s’est spécialisé notamment dans la psychologie des migrants et l’ethnopsychiatrie. C’est à ce titre qu’il a reçu en consultation une soixantaine de jeunes radicalisés ou en voie de radicalisation, ainsi que des parents.

T. Nathan sait ce qu’est être migrant : juif né en Égypte en 1948, arrivé à Paris à l’âge de dix ans, il a passé sa jeunesse dans une cité d’où sortiront des islamistes radicaux. Ces dernières années, il a cherché à comprendre le processus qui mène à la conversion religieuse et à la pensée extrême.

Une caractéristique commune à la plupart des jeunes avec lesquels il s’est entretenu est d’être des enfants d’immigrés qui, eux, ont perdu le lien avec leur appartenance culturelle. Il s’agit par exemple de la fille d’une mère espagnole venue habiter la France. La coupure avec les ancêtres provoque une « filiation flottante » qui fait des « âmes errantes ». Les penseurs du djihad ont repéré la fragilité de cette population. Pour « capturer ces âmes, écrit Nathan, ils n’hésitent pas à combiner le scintillement d’apprentissages philosophiques et religieux à des moyens profanes, allant des séductions amoureuses aux promesses de paradis bien terrestres » (p. 62). La radicalisation ne s’opère pas seulement chez des musulmans immigrés, mais aussi chez des chrétiens et des juifs séfarades.

La conversion à l’islam radical est un « eurêka ontologique » : le converti découvre des vérités, une connaissance immédiate de la véritable organisation du monde, la solution à tous ses problèmes et à ceux de sa famille qu’il entend sauver de l’errance. Inutile d’argumenter, tout devient signe de l’omniprésence d’Allah, des tromperies du diable et de l’imminence de l’apocalypse.

T. Nathan, qui a participé au mouvement de Mai 68, fait des rapprochements avec les jeunes qui voulaient une rupture radicale avec la pensée dominante. Il rappelle aussi que l’adhésion totale se retrouve dans bien d’autres religions, par exemple le christianisme, surtout chez les martyrs de la Rome antique.

L’ouvrage est remarquablement bien écrit et comporte de nombreuses réflexions sur le voile, l’impact psychologique de la migration, les formes d’initiation dans les sociétés traditionnelles, etc. On reste toutefois sur sa faim car le psychologue ne discute guère de possibilités d’arrêter les « âmes égarées » sur la voie d’une radicalisation mortifère. Il termine son ouvrage par ces mots : « J’ai découvert ces jeunes gens nés ici le plus souvent, mais l’âme lointaine, errante. J’ai appris, avec eux, qu’ils mûrissaient en se rattachant à leur noyau. J’ai tenté de les y aider chaque fois que j’ai pu, à être plus denses, plus profonds. Je ne dirai rien, en revanche, de ce que j’ai entrepris dans l’intimité de nos rendez-vous. Je ne dirai rien de mes stratégies, de mes techniques, de mes ruses, de mes succès et de mes défaites... de mes joies aussi, de ma douleur, parfois... Je ne dirai rien ! Je ne sais qui va me lire… » (p. 243).