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Le principe de précaution et le sous-sol.

Publié en ligne le 1er octobre 2004 - Technologie -

L’exploitation du sous-sol a depuis toujours été source de dangers et d’inconvénients divers. Nous nous proposons, à partir de quelques exemples, d’essayer d’analyser comment le principe de précaution a été, ou aurait dû être, appliqué aux divers problèmes rencontrés.

Que faire des vides ?

Lorsque l’on extrait du sous-sol une substance utile, on laisse derrière soi un vide. On peut envisager :
 De laisser ce vide tel quel en espérant qu’il restera stable ;
 De combler ce vide par un remblai ;
 De le consolider par une véritable construction en béton ;
 De « foudroyer », c’est à dire de provoquer la chute immédiate des terrains sus-jacents.

La dernière solution est excellente, à condition qu’il n’y ait rien au-dessus au moment du foudroyage, et qu’on sache faire, ce qui n’était pas toujours le cas autrefois. Les terrains se stabilisent vite et peuvent être utilisés ensuite.

Recensement des cavités de sous-sol

« Le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), qui doit achever en 2006 le recensement des cavités souterraines en France, estime leur nombre à environ 500 000. Il s’agit de les identifier pour mieux prévenir les risques d’effondrement. [...] »

« L’objectif est d’obtenir une carte des risques, en croisant deux types de données. D’une part l’aléa, c’est-à-dire la probabilité qu’un effondrement ou un affaissement se produise, et d’autre part l’enjeu, ce qui se trouve à la surface. Un aléa moyen et un enjeu fort produisent un risque élevée. [...] »

« "Il ne s’agit pas d’affoler tout le monde. Une cavité peut être stable pendant 10 000 ans. Mais pour défantasmer le sujet, il faut connaître le risque et mettre les mesures qui conviennent." M.Barthe, responsable du service de l’aménagement et des risques naturels à la DDE. »

Gaëlle Dupont :
« Le gruyère du sous-sol français »
Extraits d’un article paru dans Le Monde, 07-08-2004

La troisième solution est très coûteuse ; elle est utilisée pour les anciennes carrières sous Paris. Une information récente à propos des anciennes mines de fer de Lorraine indique que, tous calculs faits, il vaut mieux racheter les maisons menacées.

La deuxième solution diminue la descente des terrains mais ne la supprime pas. Il y a quelques décennies, un exploitant de mines de charbon sous la ville de Saint Etienne croyait avoir mis au point un système de remblayage perfectionné qui supprimait tout mouvement en surface. Faute de connaître le principe de précaution, on l’y autorisa, ce qui provoqua des dégâts importants dans la ville.

La solution consistant à ne rien faire en espérant que le vide créé restera indéfiniment stable a été largement utilisée. Elle a été à l’origine de graves incidents, car les vides finissent presque toujours par se refermer plus ou moins brutalement ; mais autrefois on voulait ignorer le problème, faute sans doute d’avoir pris conscience du principe de précaution. Citons la catastrophe de Clamart (1961) et de multiples accidents dans Paris, ville construite avec les matériaux de son sous-sol. Dans ce dernier cas, on note toutefois une mise en œuvre très ancienne du principe de précaution : dès le règne de Louis XVI, on interdit l’exploitation des carrières souterraines sous Paris ; de nos jours encore un service de la Ville gère et consolide les vides laissés antérieurement à cette interdiction.

La richesse longtemps constituée par le minerai de fer lorrain conduisit à répéter les mêmes erreurs, d’où des dégâts qui continuent à se manifester

Les risques du métier de mineur

Dans l’imaginaire populaire, le métier de mineur, maintenant disparu en France, était très dangereux, malsain, conduisait à une mort prématurée.

Les risques d’accidents mortels sont en fait moindres (du moins dans les exploitation modernes européennes) que dans le bâtiment ou les pêches maritimes, mais frappent l’opinion car il y a parfois des catastrophes collectives : la plus célèbre est celle de Courrières (1906 : 1 100 morts), la dernière celle de Forbach (1985 : 30 morts). Communément appelés « coups de grisou », ces catastrophes sont en général des explosions de poussières de charbon, où le grisou ne sert que d’allumette. Avant Courrières, on niait la possibilité d’explosions de poussières de charbon ravageant des kilomètres de chantiers ; il est pourtant simple de montrer expérimentalement le phénomène, et l’application du principe de précaution aurait dû conduire à être plus curieux.

En ce qui concerne les maladies professionnelles, on sait généralement que les mineurs ont payé un très lourd tribut à la destruction des poumons par les poussières respirées, ce que l’on appelle pneumoconiose ou, plus communément et incorrectement, silicose. Aussi longtemps que seule la force musculaire des ouvriers était utilisée, on émettait peu de poussières, et ces maladies étaient peu connues. Vers la fin du XIXe siècle l’introduction au fond d’une force motrice, l’air comprimé, a énormément augmenté l’émission de poussières ; mais les conséquences sanitaires ont mis des décennies à apparaître, ce qui explique le drame ainsi causé. On a peu à peu compris qu’il existait des moyens de lutte : injection d’eau, arrosage, port de masques, suivi sanitaire des travailleurs ; sans éliminer totalement le danger, on peut ainsi le réduire dans de larges proportions. Si le principe de précaution avait été compris en ces temps lointains, aurait-on décidé que l’emploi de l’air comprimé devait s’accompagner de mesures de lutte contre les poussières ? Ce n’est pas sûr car il était vraiment difficile d’imaginer un tel désastre sanitaire et la nécessité d’en pallier les dangers.

Un autre exemple dramatique est le cancer du poumon des mineurs d’uranium, provoqué par le radon, gaz radioactif émis par le minerai, et plus exactement par le dépôt actif du radon dans les poumons. Pendant des siècles la seule mine de ce type était celle de Jachimov (République tchèque) et nul ne comprenait ces cancers et encore moins ne savait les éviter. Le jour où les progrès de la physique eurent donné l’explication, les remèdes devinrent évidents : aérage puissant, captage du radon, limitation du temps de séjour. Le principe de précaution en lui-même n’est rien s’il ne s’appuie pas sur une analyse objective assise sur la connaissance physique des phénomènes en jeu.

La lampe de mineur

Objet symbolique, passion de collectionneur, la lampe de mineur est née du principe de précaution ! Pendant des siècles, jusqu’à l’apparition de l’éclairage électrique, la lampe à feu nu était évidemment le seul mode d’éclairage possible. De nos jours, du reste, campeurs et spéléologues savent que, sous forme de lampe à acétylène ou de réchaud à butane avec bec Auer, elle reste plus performante que la lampe électrique autonome.

Le physicien anglais sir Humphry Davy (1778-1829) est cité dans tous les bons ouvrages comme bienfaiteur de l’humanité pour avoir imaginé d’entourer la flamme d’un tamis métallique évitant l’inflammation du grisou. Patiemment perfectionnée pendant un siècle et demi, supplantée comme moyen d’éclairage par la lampe à accumulateurs, elle se survécut longtemps comme détecteur de grisou avant d’être tardivement remplacée par des appareils électroniques. Pourtant elle avait ses défaillances, auxquelles nombre d’accidents furent imputés. La lampe à feu nu brûlait le grisou en continu, limitant peut-être les accumulations que l’aérage de l’époque était incapable de diluer. La lampe de sûreté permettait d’accumuler davantage de grisou, et en cas de défaillance pouvait déclencher une explosion plus brutale, assez forte pour induire à son tour une explosion de poussières. L’existence de la lampe de sûreté a-t-elle donné un faux sentiment de sécurité, retardant la mise en œuvre d’un aérage efficace éliminant les concentrations dangereuses ? La question reste posée.

Le tir à air comprimé

L’emploi de l’explosif pour abattre le charbon est évidemment dangereux, il peut déclencher des explosions de grisou ou de poussières. On a créé des explosifs dits de sécurité, mais ils ont de gros inconvénients. On a imaginé de résoudre le problème en remplaçant l’explosif par un récipient dans lequel on comprime de l’air sous haute pression. Malheureusement, un accident grave en résulta il y a une cinquantaine d’années, et il s’avéra que cette compression, adiabatique 1, provoque un échauffement qui peut enflammer l’huile venant du compresseur. Le procédé fut abandonné ; mais le danger qu’il recelait aurait pu assez facilement être imaginé par un esprit curieux appliquant le principe de précaution.

Y a-t-il des mines de charbon sans grisou ?

Par tradition, on admettait que dans certaines mines de charbon, considérées comme non grisouteuses, aucune précaution n’était à prendre. Un accident survenu en 1965 montra que le grisou était quand même ponctuellement présent. Quand on sait que le grisou se forme en même temps que le charbon et que son absence est une exception liée au fait qu’il a trouvé un exutoire au cours des temps géologiques, on ne peut guère s’en étonner. Sans peut-être prendre les mêmes précautions, au moins aurait-on pu penser à faire des mesures systématiques au lieu de se reposer sur l’idée reçue de l’existence de charbon non grisouteux.

Une bombe sous nos pieds ?

L’industrie a développé depuis quelques décennies des techniques visant à stocker dans le sous-sol des produits divers, afin de réaliser un tampon entre production et consommation. Citons : le pétrole, le gaz naturel, le GPL, l’éthylène, le propylène. Les techniques utilisées sont diverses : cavités creusées dans le roc, anciennes mines, cavités creusées dans le sel par dissolution, utilisation de couches poreuses aquifères où le produit stocké déplace l’eau.

L’accumulation dans le sous-sol de grandes quantités de produits inflammables pose naturellement problème si le confinement est détruit, soit par des perturbations géotechniques, soit par destruction de la tête de puits. Un récent accident survenu en Belgique montre les dégâts que des fuites massives de ce genre peuvent occasionner ; il s’agissait en l’espèce de fuite dans une canalisation, mais l’effet serait le même ou pire en cas de perte de confinement d’un stockage souterrain. Ajoutons que le gaz naturel, plus léger que l’air, est bien moins dangereux que des produits comme le GPL ou l’éthylène.

Aucun accident grave ne s’est jamais produit dans ce genre d’installation. Une fuite massive de gaz naturel eut lieu il y a 15 ans en France, mais elle ne s’est pas enflammée et a pu être rapidement maîtrisée grâce au regretté Red Adair ; tout au plus déplora-t-on d’avoir émis dans l’atmosphère un gaz à effet de serre. La question des dangers n’est pas vraiment mise sur la place publique, les techniciens peuvent travailler sans que les dérives et les abus du principe de précaution ne viennent les déranger. Naturellement ces techniciens ne sont pas des inconscients, les installations sont sérieuses et pourvues de dispositifs raisonnables de sécurité. Mais je puis témoigner que, si on faisait une application maximaliste du principe de précaution, on imposerait des mesures complémentaires, ou même on remettrait en cause certaines méthodes de stockage, qui parfois sont plus une commodité qu’une absolue nécessité.

Du gaz dans l’eau ?

La méthode de stockage en aquifère évoquée ci-dessus peut-elle nuire à la qualité de l’eau déplacée quand celle-ci est potable ? La question n’est pas absurde ; une étude scientifique approfondie montra cependant que le risque était inexistant à distance raisonnable du stockage. Lors de l’examen d’un projet de site de stockage dans le Sud-Ouest, les autorités responsables de la qualité des eaux s’opposèrent néanmoins au projet, arguant du risque de pollution de l’eau souterraine. Le résultat des études scientifiques, renouvelées et amplifiées, ne fut pas pris en compte. L’eau avant tout ! L’exploitant fut prié de mettre son gaz ailleurs.
On retrouve là une dérive du principe de précaution, typique de l’attitude si courante de nos jours consistant à défendre son domaine sans souci de l’intérêt général, attitude que l’on trouve aussi bien chez des particuliers que dans des administrations. On remarquera le contraste avec les risques évoqués au paragraphe précédent, qui n’émeuvent personne tout simplement parce que personne ne s’en est vraiment saisi de cette manière abusive.

 Le site du BRGM

1 C’est à dire sans échange de chaleur avec l’extérieur

Publié dans le n° 264 de la revue


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L' auteur

Jean Gunther

Jean Gunther (1934 – 2020), ingénieur polytechnicien (corps des Mines, X-1953), avait intégré la fonction (...)

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