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Pourquoi les thérapies psychanalytiques se disent « dynamiques »

Publié en ligne le 11 mai 2017 - Psychanalyse -

Les thérapies psychanalytiques se définissent souvent comme des thérapies psycho-dynamiques. Le substantif « dynamique » est dérivé du grec « dunamis », force. Il apparaît chez Leibniz à la fin du XVIIe siècle pour désigner la science des forces dans leur rapport avec les corps en mouvement. À partir du XIXe, il est utilisé dans diverses disciplines : sociologie, médecine, etc. Aujourd’hui, on peut le définir comme « l’ensemble des forces en interaction et en opposition » ([1] p. 634).

La « psychologie dynamique » de Herbart

Johann Herbart (1776-1841), professeur de philosophie à l’université de Königsberg, fut l’un des premiers à chercher à faire de la psychologie une science objective. Il a développé une théorie « dynamique » des processus mentaux inconscients. Selon lui, des représentations entrent en conflit avec d’autres de sorte que certaines sont refoulées (verdrängt). Celles-ci deviennent alors des forces (Vorstellungen werden Kräften) qui demeurent actives dans l’inconscient et tentent d’émerger à la conscience.

Ses ouvrages Lehrbuch zur Psychologie (1816) et Psychologie als Wissenschaft (1824) ont été largement utilisés au XIXe siècle. Freud, dans sa dernière année au lycée, a étudié un manuel de psychologie basé sur son enseignement ([2] p. 61). Edwig Boring, dans son histoire de la psychologie, appelle Herbart « un psychologue dynamique, qui se situe dans la lignée de succession allant de Leibniz à Freud » ([3] p. 255).

La « méthode cathartique » de Breuer

Les émotions actives, comme la peur, la colère ou l’excitation sexuelle, donnent une impression d’envahissement par une énergie difficile à contenir.

Déjà au XVIIIe siècle, des médecins affirmaient que des affects non extériorisés peuvent rendre malade. L’un d’eux écrivait : « Lorsque le chagrin n’est pas évacué dans les lamentations et les pleurs, mais demeure au contraire fermement logé à l’intérieur et est pendant longtemps refoulé, le corps pas moins que l’esprit est dévoré et détruit » (cité dans [4] p. 127). Cette conception s’est diffusée au XIXe siècle, lorsque la machine à vapeur – une invention qui a alors révolutionné la vie économique – servit de métaphore pour expliquer des aspects de la vie mentale. Des physiologistes comme Carpenter, des philosophes comme Nietzsche et des psychiatres comme Griesinger expliquèrent que des forces physiologiques ou psychologiques (énergies, excitations, pulsions, désirs) sont comparables à la vapeur dans une machine et doivent, sous peine de troubles, être régulées par une instance dirigeante (le moi, la volonté, d’autres forces).

Cette conception a inspiré le médecin viennois Joseph Breuer, mentor de Freud, quand il tenta de traiter une jeune fille, Anna O., souffrant d’une toux qualifiée d’« hystérique ». Il imagina que les symptômes étaient des « conversions somatiques » d’émotions qui n’avaient pu s’éliminer par la voie normale de l’action. Son traitement consistait à se remémorer des événements oubliés et à « décharger (Entladen) les affects bloqués » qui s’y rattachaient. Il a baptisé son procédé « méthode cathartique ».

Henri Ellenberger, célèbre psychiatre et historien de la psychothérapie, a découvert des documents qui prouvent que Breuer soulagea Anna O. de quelques symptômes, mais que l’état de la patiente se détériora tout au long du traitement. Finalement, Breuer la fit entrer dans un institut psychiatrique [6]. Freud savait que ce traitement avait été un fiasco. Aussi utilisa-t-il plutôt une hypnose très directive, qui visait à ramener des souvenirs à la conscience non pour les analyser, mais pour les effacer par une suggestion autoritaire ([7] p. 287-301). Ensuite, il a inventé une technique qui consiste à inviter les patients à dire tout ce qui leur passe par la tête (« méthode des associations libres ») et à leur donner des interprétations. Il écrit en 1905 : « Depuis les “Études sur l’hystérie”, la technique psychanalytique a connu un bouleversement fondamental. […] J’ai depuis lors abandonné cette technique, parce que j’ai trouvé qu’elle était totalement inadéquate à la structure si fine de la névrose. […] La nouvelle technique est largement supérieure à l’ancienne, elle est sans conteste la seule possible » ([8] p. 192).

L’inconscient « dynamique » de Freud

Malgré l’abandon par Freud du procédé cathartique, l’idée des bienfaits de l’expression émotionnelle est devenue du sens commun. Il est vrai que Freud a continué à comparer ce qu’il appelle « l’appareil psychique » à une marmite (Kessel) remplie de l’énergie émanant des pulsions (voir par exemple en 1933 dans [9] p. 156 et suivantes). Il a maintenu que les troubles mentaux sont en quelque sorte de la vapeur qui s’échappe par une soupape. Modifier des comportements, sans réduire la tension à l’intérieur du système, serait boucher la soupape, augmenter la tension intérieure et provoquer dès lors des « symptômes de substitution », comparables à de la vapeur qui sort par un autre trou.

L’index général des œuvres complètes de Freud [10] montre qu’il a très peu utilisé le mot « dynamique ». Une de ses premières utilisations apparaît en 1909 lorsqu’il précise que sa conception du trouble mental s’oppose à celle de Janet. Alors que celui-ci invoque une déficience de la force psychique, Freud déclare : « nous l’expliquons [le trouble] dynamiquement par le conflit de forces d’âme antagonistes, nous reconnaissons en lui le résultat d’un affrontement actif de deux groupements psychiques l’un contre l’autre » ([11] p. 22).

La seule publication où le terme apparaît dans le titre est « Sur la dynamique de transfert » (1912). Freud y explique que le transfert – le report sur l’analyste de sentiments éprouvés dans le passé pour quelqu’un d’autre – est tantôt « le porteur de l’action curative » (transfert positif), tantôt « la plus forte résistance contre le traitement » (transfert négatif ou hostile). Il écrit : « Nous admettons volontiers que les résultats de la psychanalyse reposent sur la suggestion ; à condition toutefois d’entendre par suggestion ce que nous y trouvons avec Ferenczi : l’influence exercée sur un être humain au moyen des phénomènes de transfert qui sont chez lui possibles » ([12] p. 114).

Notons enfin que Freud, tout en accordant une place primordiale à la recherche de significations inconscientes, invoque régulièrement des « forces pulsionnelles » quand il explique les échecs de sa méthode. Ainsi, à la fin de sa vie : « En cas de force pulsionnelle excessivement grande, le moi mûri et soutenu par l’analyse échoue dans sa tâche, tout comme autrefois le moi démuni ; la domination sur les pulsions s’améliore, mais elle demeure imparfaite parce que la transformation du mécanisme de défense n’est qu’incomplète. Rien d’étonnant à cela, car l’analyse ne travaille pas avec des pouvoirs illimités, mais avec des pouvoirs restreints, et le résultat final dépend toujours du rapport de forces relatif des instances qui luttent entre elles » ([13] p. 31).

La « psychiatrie dynamique » de Henri Ellenberger

Ellenberger reste à ce jour l’auteur de la meilleure histoire de la psychothérapie de l’Antiquité à la fin des années 1960. De 1953 à 1959, il a enseigné cette matière à la Fondation Menninger, à l’époque la plus grande institution psychiatrique du monde (située à Topeka, Kansas). Il a alors commencé la rédaction de son monumental ouvrage The Discovery of the Unconscious. The History and Evolution of Dynamic Psychiatry, qui paraîtra en 1970 (Basic Books, 932 p.). L’ouvrage a été traduit en plusieurs langues. En français, il est paru en 1974, chez Simep, avec des ajouts : À la découverte de l’inconscient. Histoire de la psychiatrie dynamique.

Ellenberger a utilisé indifféremment les expressions « psychiatrie dynamique » et « psychothérapie dynamique » pour désigner des thérapies fondées sur l’idée que les troubles mentaux résultent de forces psychiques inconscientes, souvent en opposition. Pour lui, cette conception remonte à l’Antiquité et a pris des tournants décisifs notamment avec Mesmer et Janet. Il a montré que Freud n’est qu’un des nombreux auteurs qui s’inscrivent dans cette tradition. Bien qu’il ait été psychanalyste freudien (analysé par Oscar Pfister), il estimait que Freud et ses disciples avaient produit des légendes, par exemple celle de la grande originalité de Freud. Sa pratique clinique se basait sur une conception éclectique, dans laquelle les idées d’Adler et de Rogers ont progressivement occupé une place importante. À la fin de sa vie, il a également pratiqué des thérapies comportementales (pour une biographie de cet homme exceptionnel, voir [14]).

Les « thérapies psychodynamiques »

Dès le début du mouvement freudien, différentes façons de théoriser et de pratiquer sont apparues : des cures plus actives, plus courtes, en « face à face », avec davantage d’empathie, avec des « expériences affectives correctrices » (Alexander) et même des gestes d’affection (Ferenczi). Des analystes ont utilisé des techniques « comportementales », comme l’affrontement progressif de situations phobogènes (Herzberg). Anne Millet, qui a étudié les réactions des freudiens à ces innovations, écrit : « L’histoire montre que c’est autour de leur pratique (davantage que de leurs théories) que les psychanalystes se sont déchirés de la façon la plus violente et la plus meurtrière » [15,16].

Aux États-Unis, les pratiques et les théories sont devenues un capharnaüm. Déjà en 1920, Jones signalait au Comité secret (destiné à veiller à l’orthodoxie freudienne et composé de cinq disciples fiables, réunis autour de Freud) : « Sur la base de divers rapports que j’ai eus dernièrement d’Amérique et de la lecture de la littérature récente, je suis au regret de dire que j’ai une très mauvaise impression de la situation là-bas. Tout et n’importe quoi passe pour de la psychanalyse, pas seulement l’adlérisme et le jungisme, mais n’importe quelle sorte de psychologie populaire ou intuitive » (cité dans [17] p. 435).

Depuis les années 1960, les critiques envers la psychanalyse se sont accentuées alors que se développaient d’autres traitements (pharmacologiques, comportementaux, etc.). Bon nombre de praticiens ont alors préféré l’étiquette « psychodynamique », qui permet de se distancier de l’orthodoxie freudienne et qui connote un « dynamisme » que n’évoque pas le mot « analyse ». Des auteurs représentatifs de ce courant écrivent : « Bien que la psychothérapie psychodynamique soit largement pratiquée, sa définition est vague. Typiquement, elle est considérée comme plus efficace que la psychanalyse, quoiqu’elle en soit une forme diluée [water-down]. On la voit habituellement comme se situant le long d’un continuum allant de la psychanalyse à la psychothérapie de soutien » ([18] p. 10).

Un qualificatif facilement trompeur

Le Petit Robert (1993) donne trois significations pour l’adjectif « dynamique » : 1. Relatif aux forces, à la notion de force. 2. Qui considère les choses dans leur mouvement, leur devenir. 3. Qui manifeste une grande vitalité, de la décision et de l’entrain.

L’expression « thérapie psychodynamique » se justifie si l’on se réfère au premier sens. Malheureusement, beaucoup de personnes entendent naïvement le troisième : ces thérapies seraient particulièrement aptes à vitaliser les patients, à les dynamiser, à les transformer. En fait, lorsqu’elles se limitent à rappeler des souvenirs, à les analyser et les ressasser, le qualificatif est fallacieux. Son usage rappelle celui de « profondeur ». Dans une lettre à Freud du 14 février 1910, Jones montrait ce qu’il en est : « Mon article sur la psychanalyse a été bien accueilli. Je crois bon de prendre de la hauteur scientifique et d’enrober le tout de mots tels que “profond”, “à fond”, “pénétrant” ! » ([19] p. 94). À regarder de près, les thérapies « profondes » ramènent toutes les conduites problématiques à quelques pulsions et complexes élémentaires (pour l’explicitation, voir [20] p. 216-233).

Des thérapeutes fidèles à Freud, mais qui prennent du recul vis-à-vis de sa technique ou de certains concepts, utilisent les expressions « Psychothérapie d’orientation psychanalytique » (POP) ou « d’inspiration psychanalytique » (PIP) (voir [21] p.208). Ces expressions suscitent moins d’ambiguïtés et d’illusions. Encore importe-t-il de préciser si la référence est Freud, Reich, Klein, Lacan ou un autre. Jones avait beau dire en 1926 : « Quand tant de choses circulent sous le nom de psychanalyse, notre grande réponse aux enquêteurs est “la psychanalyse, c’est Freud” » ([19] p. 684), l’usage en a décidé autrement.

Références

1 | Rey A., Dictionnaire historique de la langue française. Dictionnaires Le Robert, 1992, p. 634.
2 | Dorer M., Historische Grundlagen der Psychoanalyse. Meiner, 1932, p. 106 & Sulloway F., Freud, biologiste de l’esprit. Fayard, 1981, p. 61.
3 | Boring E., A History of Experimental Psychology,Appleton, 1957.
4 | Webster R., Le Freud inconnu. Trad., Exergue, 1998.
5 | Breuer J. et Freud S., Studien über Hysterie, Leipzig & Vienne, 1895.
6 | Borch-Jacobsen M., Souvenirs d’Anna O. Une mystification centenaire, Aubier, 1995.
7 | Freud S., L’hypnose. Textes, (1886-1893), L’Iconoclaste, 2015.
8 | Freud S., « Fragment d’une analyse d’hystérie » (1905), Œuvres complètes. Psychanalyse, PUF, Volume VI.
9 | Freud S., « Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse », Œuvres complètes. Psychanalyse, PUF, Volume XIX.
10 | Index général des œuvres complètes de Freud. Gesammelte Werke, Gesamtregister, Fischer, Œuvres complètes. Psychanalyse, PUF, Volume XVIII.
11 | Freud S., Conférence à l’université Clark (Worchester) « De la psychanalyse » (1910), Œuvres complètes. Psychanalyse, PUF, Volume X.
12 | Freud S., « Sur la dynamique du transfert » (1912). Œuvres complètes. Psychanalyse, PUF, Volume XI.
13 | Freud S., « L’analyse finie et l’analyse infinie » (1937). Œuvres complètes. Psychanalyse, PUF, Volume XX.
14 | Yanacopoulo A., Henri F. Ellenberger. Une vie, Liber, 2009. Voir la note de lecture.
15 | « L’analyse pour comprendre ou pour soigner ? » In Marmion, J.-Fr. (éd.) Freud et la psychanalyse, Editions Sciences Humaines, 2015.
16 | Millet A., Psychanalystes, qu’avons-nous fait de la psychanalyse ? Seuil, 2010.
17 | Borch-Jacobsen M. et Shamdasani S., Le dossier Freud. Enquête sur l’histoire de la psychanalyse, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006.
18 | Summers R. et Barber J., Psychodynamic Therapy, Guilford, 2013.
19 | Freud S. et Jones E. Correspondance complète, PUF, 1998.
20 | Van Rillaer J., « La mythologie de la thérapie en profondeur ». In Meyer,C. et al., Le livre noir de la psychanalyse, Les Arènes, 2005.
21 | Dupont S., L’autodestruction du mouvement psychanalytique, Gallimard, 2014.

Publié dans le n° 319 de la revue


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L' auteur

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l’université de Louvain (Louvain-la-Neuve) et à l’université Saint-Louis (...)

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