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Retour vers le futur, ou l’électrosensibilité et les champs électromagnétiques vus par le Monde Diplomatique

Publié en ligne le 21 février 2017 - Science et médias -
Nous avons reçu une demande de droit de réponse de la part du Pr Olivier Cachard cité dans l’article ci-dessous. Vous le trouverez publié à la suite de notre texte.

Le mensuel a publié dans son numéro de février 2017 un dossier intitulé “Ondes magnétiques, une pollution invisible”. Dès le chapeau, le ton est donné. Ces ondes sont nocives. "La pollution électromagnétique de la société de l’information est invisible et inodore", mais elle existe. S’il n’y a pas encore de "consensus sur la nocivité des ondes électromagnétiques", soutient l’auteur, Olivier Cachard, agrégé de droit, c’est à cause des pressions des industriels et de la "fragmentation des disciplines scientifiques concernées" : biologie, chimie, cancérologie, etc.

Cri d’alerte ? Plutôt un voyage dans le temps. A quelques détails près, l’article aurait pu être publié tel quel il y a quinze ans. L’ensemble est ponctué de critiques et de considérations d’ordre politique. Et comme souvent quand la science est mise au service de revendications politiques, la pseudo-science n’est pas loin. Nous n’analyserons que quelques arguments.

Olivier Cachard déroule imperturbablement la thèse de la dangerosité des ondes des téléphones portables et des antennes, en oubliant totalement les études rassurantes publiées partout dans le monde ces dernières années [1]. Il juge “préoccupantes les conditions sulfureuses dans lesquelles ont été adoptées les limites réglementaires d’exposition” en France, “entre deux tours d’élections présidentielles” et “fondées sur une recherche déjà obsolète” en 2002. Il semble ignorer que le décret du 3 mai 2002 qui fixe les valeurs limites n’est que la mise en application de la recommandation européenne du 12/7/1999 fondée sur les travaux de la Commission Internationale pour la Protection contre les Rayonnements Non Ionisants (ICNIRP, ONG reconnue par l’OMS), qu’il existe une veille scientifique permanente, et que l’état des connaissances actuel sur les effets sanitaires des ondes électromagnétiques ne justifie pas de remettre en question la réglementation. Et de poursuivre, “contrairement à une croyance répandue (et entretenue), ces seuils élevés ne résultent nullement d’une politique concertée de santé publique, mais traduisent des choix principalement industriels”. Mais les normes ne semblent décidément pas du ressort de cet auteur, puisque même l’affirmation concernant les travailleurs “les valeurs limites sont deux fois plus élevées que celles applicables au public” est fausse ; elles sont cinq fois plus élevées, et ce toujours avec un facteur de sécurité par rapport aux seuils d’apparition d’effets avérés (d’origine thermique).

L’auteur discrédite au passage les agences nationales, dont il met en doute la pertinence des travaux et la compétence des experts, tandis que tous les travaux scientifiques seraient entachés de biais et suspectés de conflits d’intérêts, à l’exception de ceux du Pr Belpomme. L’OMS se trouve épargnée, mais l’auteur en déforme à plusieurs reprises les messages pour étayer son discours. Par exemple, sur l’hypersensibilité électromagnétique, il écrit “au côté du syndrome d’hypersensibilité chimique (MCS) déjà reconnu par la classification des maladies de l’OMS, émerge un syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques, ou électrohypersensibilité (EHS). Souvent décrit comme résultant d’une exposition durable à des niveaux d’émissions plus faibles”. Ainsi le glissement s’opère, entre une présentation tronquée des conclusions de l’OMS, et les thèses défendues par le professeur Belpomme cité en référence. En effet, l’auteur oublie de préciser que l’OMS a classé l’hypersensibilité électromagnétique dans la famille des Intolérances environnementales idiopathiques (IEI) en 2004, et qu’elle explique clairement que “L’IEI est un descripteur n’impliquant aucune étiologie chimique ou aucune sensibilité de type immunologique ou électromagnétique. Ce terme regroupe un certain nombre de troubles ayant en commun des symptômes non spécifiques similaires, qui restent non expliqués sur le plan médical et dont les effets sont préjudiciables pour la santé des personnes [2].

Est-il sérieux de parler de "nouveaux marchés" à propos du mobile, comme le fait l’auteur, en invoquant le manque de recul sanitaire ? Les portables ont près de 30 ans. Ils sont utilisés massivement depuis deux décennies. Publiée en mai 2016, une étude australienne [3] menée sur 29 ans ne conclut pas à l’existence d’un lien entre l’évolution des tumeurs cérébrales et l’usage du téléphone mobile sur cette période, ce qui va dans le sens des études d’incidences publiées dans plusieurs pays, et des résultats des expertises collectives disponibles. Le Monde Diplomatique passe tout cela sous silence.

Doyen honoraire de la faculté de droit de Nancy, Olivier Cachard cite une jurisprudence de la cour de cassation italienne, reconnaissant comme maladie professionnelle une tumeur au cerveau, déclenché chez un cadre très gros utilisateur de portable. Il s’agit de la décision 17438 de la Corte di Cassazione, en date du 12 octobre 2012. Elle confirmait un arrêt de la cour d’appel de Brescia du 22 décembre 2009. Là aussi, les années ont passé. Cette décision n’a pas créé de précédent. Comme la Cour de cassation française, la haute juridiction italienne dit seulement si le droit a été respecté. Elle ne se prononce jamais sur le fond. Elle n’a jamais acté la dangerosité du portable, que l’expertise scientifique a de plus en plus nettement écartée depuis 2009. La justice italienne, aujourd’hui, ne reconnaît pas les ondes comme une cause de maladie professionnelle. L’auteur met sur un même plan la science et des décisions de justice en apportant ces éléments dans une continuité. N’est-il pas bien placé pour savoir que les décisions de justice ayant donné gain de cause à des plaignants ne constituent pas un argument scientifique pour démontrer un effet sanitaire ?

Mêlant lignes à haute tension et téléphonie mobile, afin d’accréditer la novicité de "l’électrosmog", Olivier Cachard avance aussi une étude britannique de 2005 suggérant un lien entre la proximité des lignes et les cancers chez les enfants. Un sujet évidemment très sérieux. Pourquoi ignorer que des études postérieures n’ont rien démontré pouvant confirmer cet effet ? [4]

L’auteur considère que les chercheurs qui produisent des études rassurantes ne présentent pas de garantie d’indépendance suffisante vis-à-vis des industriels. Selon lui, "la constitution de réseau internationaux de chercheurs, avec, par exemple, la publication des études de référence du réseau BioInitiative, permettra de surmonter cette difficulté". Problème, et pas des moindre, le fameux rapport Bioinitiative n’est pas issu d’un travail d’expertise collective comme il le laisse entendre. Le premier rapport BioInitiative date de 2007 [5], le second de 2012. Les deux ont été éreintés par toutes les autorités indépendantes qui les ont examinés. On pouvait employer le futur pour parler du réseau BioInitiative il y a dix ans, pas en 2017.

De même, la déclaration “Dorénavant, dans le débat public sur les ondes, il faudra compter avec les associations, les partenaires sociaux et les riverains - sans oublier les juristes !” nous ramène bien avant le Grenelle des ondes [6].

Il ne fait guère de doute que le juriste Olivier Cachard emploie une version à jour du code de la santé publique. Pourquoi se contenter d’un état des connaissances aussi daté en matière scientifique ? Se pourrait-il que les résultats récents ne cadrent pas avec ses convictions ? Pourquoi être aussi prompt à suspecter le manque de transparence chez les autres, et ne pas mentionner son propre engagement dans l’association (ARTAC) du Pr Belpomme [7] ?

En définitive, les ondes radio et l’électricité sont utilisées depuis plus d’un siècle maintenant, mais l’auteur entend révéler un vaste complot et des manigances pour cacher les dangers des ondes au profit des industriels. “Les portables sont dangereux, l’avenir le dira”. L’avenir ne l’a pas dit ? Retournons dans le passé.

Cet article du Monde diplomatique serait risible si l’on ne savait pas que les messages inutilement inquiétants qu’il véhicule sont de nature à accroître le nombre de personnes se déclarant hypersensibles aux ondes électromagnétiques et dont la vie risque d’être gravement impactée. Les données scientifiques qui le montrent ne manquent pas, encore faut-il prendre le temps de s’intéresser à la science.

Références

1 | Final opinion on potential health effects of exposure to electromagnetic fields (EMF), SCENIHR, 27 January 2015
2 | OMS, Aide-mémoire N°296, Déc. 2005, Champs électromagnétiques et santé publique : hypersensibilité électromagnétique
3 | Chapman S. et al, 2016, Has the incidence of brain cancer risen in Australia since the introduction of mobile phones 29 years ago ?, Cancer Epidemiology, 42, 199-205.
4 | Souques M.et Lambrozo J., 2015, Champs magnétiques 50–60 Hz et santé : quoi de neuf ? Radioprotection, 50(2), 95-99
5 | Krivine JP, 2009, Le rapport BioInitiative, ou l’apparence de sérieux scientifique , SPS n°285
6 | Borraz O., Devigne M., Salomon D., 2004, Controverses et mobilisations autour des antennes de téléphonie mobile, Rapport du centre de sociologie des organisations.
7 | AFIS-médias, 2016, Dominique Belpomme dans Télérama : 70 % à 90 % à côté de la plaque.


Droit de réponse du Pr Olivier Cachard :

Le 21 février dernier le blog « pseudo-sciences.org » a publié un post intitulé Retour vers le futur, ou l’électrosensibilité et les champs électromagnétiques vus par Le Monde Diplomatique mettant en cause un article que j’y ai signé dans le numéro de février 2017. Par sa tonalité Polémique et ses procédés rhétoriques, le post ainsi publié n’appartient ni à la catégorie des recensions ni à celle du débat sincère exercé sans outrance et avec un minimum de courtoisie. Dans ces conditions, il appelle de ma part l’exercice nécessaire d’un droit de réponse sur plusieurs points qu’il s’agisse de réparer une omission malicieuse ou de rectifier des affirmations erronées en droit et en technique.

En premier lieu, le post passe délibérément sous silence la référence centrale que mon article fait au Principe de précaution figurant à l’article 5 de la Charte de l’environnement ayant valeur constitutionnelle. Or le principe de précaution trouve précisément à s‘appliquer « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertain en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement ». Et de nombreuses publications scientifiques, parues dans des revues à comité de lecture soulèvent, dans le domaine des sciences de la vie, la nocivité de champs électromagnétiques. En écartant d’un revers de la main ces centaines de références scientifiques qui, manifestement ne pouvaient être toutes citées dans le cadre d’un article de presse, les auteurs du post énoncent une opinion qui leur est toute personnelle et s’éloignent d’une information scientifique sincère. En passant sous silence le principe de précaution, ils s’inscrivent dans le cadre d’une ligne dogmatique et politique dont le site « pseudo-sciences.org » s’est déjà fait l’écho, en qualifiant par exemple le principe de précaution de « principe contre-productif ».

En second lieu, les auteurs du blog (auxquels, derrière le voile confortable de l’anonymat, on peut supputer toutes les qualités) prétendent administrer aux internautes une leçon magistrale de droit qui, hélas, se trouve viciée par plusieurs erreurs.

Tout d‘abord, il est nécessaire de préciser que le décret du 3 mai 2002 fixant les valeurs réglementaires d’exposition n’a pas été adopté dans le cadre de la transposition nécessaire d’une directive communautaire imposant aux Etats membres des valeurs harmonisées. D’ailleurs, d‘autres Etats européens ont adopté des valeurs réglementaires bien plus faibles. Comme nous l‘avons indiqué, le pouvoir réglementaire français a fait le choix d’opportunité d’intervenir pour donner effet à une recommandation, c‘est-à-dire à un texte dépourvu de la moindre portée normative obligatoire. En l’absence de nécessité et d‘urgence, les observateurs se sont donc étonnés que ce décret ait été adopté dans l’entre-deux tours des présidentielles, sans même porter la signature du Ministre de l’environnement.

Ensuite, les auteurs du post prétendent donner une leçon de jurisprudence en minimisant la portée de l’un des arrêts cités, en l’occurrence rendu par la Cour de cassation italienne le 10 octobre 2012, car selon eux la Cour de cassation « ne se prononce jamais sur le fond » ... Cette affirmation péremptoire méconnaît manifestement ce que les praticiens du droit et les universitaires appellent « la technique de cassation » qui tend précisément à définir le contrôle exercé par la haute juridiction, contrôle au terme duquel un arrêt fait jurisprudence ; elle ignore également la jurisprudence postérieure. Elle fait encore bon marché des protocoles transactionnels signés entre les victimes et les responsables, protocoles qui, par nature, sont couverts par des clauses de confidentialité. C’est ainsi que de nombreuses affaires disparaissent des bases de données juridiques pour tomber dans l’oubli.

Enfin, paradoxalement, les auteurs du blog n’ont pas tort de soutenir que la réalité « nous ramène bien avant le Grenelle des ondes » puisque les décrets d’application de la loi Abeille du 9 février 2015 ont ensuite minimisé le portée de cette loi. Les conditions de la participation du public à « l’instance de concertation » sont particulièrement floues et les riverains des antennes ont été écartés du débat.

En troisième lieu, les auteurs du blogs ne craignent pas d‘affirmer que les
scientifiques disposent de tout le recul nécessaire puisque « les portables ont près de trente ans » (sic). Cette affirmation caricaturale réussit l’exploit de passer sous silence l‘extension régulière des zones de couverture dont les rapports successifs de l‘ARCEP rendent compte, la multiplication du nombre d’abonnés en particulier chez les préadolescents et la modification des usages des terminaux avec la convergence entre la téléphonie et l’internet (qui implique une élévation du débit, de la durée de connexion et un changement de la technique de codage) : elle passe sous silence l’évolution générale rapide de la technologie car c’est dans le domaine des télécoms qu’une proportion significative de nouveaux brevets est déposée puis exploitée. Elle passe encore sous silence qu’une même station radioélectrique voit généralement son niveau d’émissions évoluer dans le temps, avec le renouvellement des antennes, l’allocation de nouvelles fréquences et l’arrivée habituelle de plusieurs opérateurs sur un même site.

Dans ces conditions, les auteurs du post auraient sans doute dû s’abstenir de mettre en cause le caractère sérieux de mon article (« est-il sérieux ? »), son actualité ( « un voyage dans le temps ») et sa base juridique. Pour utiliser un terme que les auteurs du post semblent affectionner, tout cela n’est vraiment pas « risible », ni pour les Citoyens qui attendent une discussion digne plutôt qu’un libelle, ni pour les justiciables qui attendent d’être entendus plutôt que méprisés ...

Olivier Cachard, Professeur des universités, agrégé des facultés de droit.