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Ressources naturelles : sont-elles inépuisables ?

Publié en ligne le 4 mai 2016 - Énergie -

Les ressources naturelles 1 peuvent-elles satisfaire sans fin nos exigences de bien-être ? À long terme sûrement pas, les gisements (métaux – uranium, thorium, or… et pierres précieuses – diamants, saphirs, topazes…), les hydrocarbures (gazeux, liquides, solides) et les géomatériaux (roches, sables, granulats…) ne sont pas renouvelables.

Mine de cuivre (Eric Guinther, Wikimedia)

L’économie internationale étant contrainte en premier lieu par la géologie, il en résulte une distribution inégale des richesses de la Terre et une lutte pour se les approprier, nécessitant un développement technologique pour accroître les volumes récupérables. Certains vont même jusqu’à parier que les futures ressources seront à prendre sur d’autres planètes, sur des astéroïdes ; des équipes y travaillent déjà. En attendant, tentons un bilan de la situation actuelle : reste-t-il assez de ressources sur notre planète ? Pour combien de temps ? Estimer leur volume ultime 2 est assez facile grâce à l’exploration de plus en plus efficace, mais prédire leur durée d’exploitation est une autre paire de manches car elle dépend de facteurs économiques et politiques aléatoires aussi bien dans les court et moyen termes. Les réserves ne peuvent qu’évoluer au cours du temps en fonction des moyens et les déclarer est un acte politique et économique de grande importance.

Depuis plus de 15 ans, les pics pétrolier et gazier sont régulièrement annoncés comme atteints. Pourtant, force est de constater qu’il n’en est rien. Pour preuve, les réserves prouvées tant de pétrole et gaz conventionnels, subconventionnels que non conventionnels 3 s’accroissent régulièrement.

Mine à ciel ouvert en Allemagne (Raimond Spekking, Wikimedia Common)

Il en va de même de la production mondiale qui a toujours pu satisfaire la demande même lorsque celle-ci était soutenue. Y aura t-il un pic à l’échelle mondiale ou un long plateau avec ou sans pics mineurs ? Est-ce la bonne question ? Ne faudrait-il pas plutôt parler d’adéquation entre l’offre et la demande 4 ? Cette problématique est de premier ordre, nous dépendons depuis plus d’un siècle à plus de 80 % des énergies fossiles et les acteurs du monde énergétique ne prévoient pas de modifications majeures d’ici 2030, et même 2050, période durant laquelle la demande d’énergie primaire va s’accroître, la population mondiale augmentant chaque jour de 200 000 personnes (naissances moins décès) et le niveau de vie des pays émergents s’élevant continûment. Toutefois, les progrès technologiques, l’efficacité énergétique et les considérations environnementales conduiront, probablement à moyen terme, à une réduction progressive de la demande. Bien entendu, les réserves de combustibles fossiles ne sont pas infinies, mais de nouvelles réserves sont découvertes, d’anciens champs sont optimisés, les progrès technologiques (techniques de prospection, forages horizontaux, amélioration du taux de récupération primaire 5...) permettent de valoriser toutes les ressources d’hydrocarbures. Sur une ressource pétrolière conventionnelle estimée à 6 000 milliards de barils (Gb), au moins 1 200 Gb ont déjà été produits (aujourd’hui à raison de près de 32 Gb/an, soit un peu plus de 85 000 millions de b/jour, ou encore environ 1 000 b/seconde – 1 baril = 159 litres). Que reste-t-il à récupérer ? Pour les pessimistes, environ 1 200 à 1 500 Gb, pour les optimistes 2 000 à 3 000 Gb. La fourchette est large et principalement pilotée par l’économie (le prix du baril) et la politique (géostratégie). À cela s’ajoutent (i) le pétrole non conventionnel (au moins l’équivalent de 7 000 Gb) dont les schistes bitumineux, les oil shales, les shale oil ou huiles de schiste, les tight sands, les tar sands, etc. 6, et (ii) le gaz conventionnel et non conventionnel (« shale gas » et clathrates) 7, également plus abondants que le pétrole conventionnel. Enfin, ajoutons le combustible le plus abondant, le charbon, avec des réserves prouvées trois fois plus élevées que celles du pétrole conventionnel. Hors considérations environnementales, ces combustibles sont encore utilisables pour très longtemps (au moins 70 à 100 ans pour l’ensemble) et nous quitterons sans doute l’ère du pétrole alors qu’il en restera, de la même façon que l’homme préhistorique n’a pas quitté l’âge de la pierre faute de pierres 8. Tant mieux car nous n’avons pas dans le court terme de substituts pour les avions et la carbochimie. Même constat avec l’uranium, près de 100 ans de réserves à consommation constante, ensuite possibilité de production d’énergie nucléaire à partir du thorium, trois à quatre fois plus commun que l’uranium.

Et les ressources minérales ? Les métaux sont partout (plus d’une vingtaine dans notre smartphone...), le poids de ces ressources extraites atteint plus de 60 Gt/an, plus que l’ensemble du sable déplacé sur la planète par les rivières et les fleuves. Leur exploitation étant liée à l’amélioration des techniques d’extraction et de purification, il est dès lors possible d’augmenter les réserves puisque les gisements à faibles teneurs deviennent rentables. Bien entendu, on a commencé par les gisements à la fois étendus et à fortes teneurs. Aujourd’hui, ce sont surtout les gisements petits à fortes teneurs et d’autres beaucoup plus grands mais avec de faibles teneurs qui sont exploités. Ces gisements nécessitent de gigantesques capitaux et de lourds investissements (évacuation d’immenses volumes de roches et consommation de grandes quantités d’eau et d’énergie). À nouveau, il est difficile d’estimer précisément les réserves des métaux ou matières précieuses, d’autant plus que pour des raisons technologiques, tous les gisements n’ont été entamés que dans la partie la plus superficielle de la croûte terrestre : la mine la plus profonde au monde exploite de l’or dans un mince filon de quartz vieux de 3,5 milliards d’années à 3,9 km de profondeur, près de Johannesburg. Il n’y a pas de raisons géologiques pour que de tels filons d’or ou des gisements d’autres métaux ne continuent pas à plus grandes profondeurs. Le drainage des gisements sous-marins, volcaniques ou non, est à l’étude. Tout comme pour le pétrole, l’impact environnemental est important avec les déboisements, les nappes phréatiques, etc.

Les réserves naturelles sont diversifiées et encore abondantes. Leurs exploitations, lorsqu’elles sont mal gérées, détériorent l’environnement, ces réserves correspondent en réalité plus à un concept économique qu’à un concept physique. Leur qualification de « réserves » dépend des prix et des efforts que nous sommes prêts à consentir pour les récupérer. Jusqu’à présent, nous restons des énergivores invétérés… Que d’énergie fossile et de métaux variés (combustibles et matériaux) dans les 24 000 avions transportant à chaque instant 500 000 personnes autour de la Terre ! Cela fait aussi partie de la question 9.

1 Volumes estimés en place dans le sous-sol, indépendamment des conditions économiques pour leur valorisation.

2 Volume total de la ressource qui sera extraite d’un champ (hydrocarbures) ou d’un gisement (minéraux, métaux) du début à la fin de la production. Il ne s’agit que d’une fraction des ressources, celle qui est extraite.

3 Les réserves sont classées en trois catégories, en fonction du degré de connaissance que l’on a : réserves 1P ou prouvées (90 % de probabilité de les récupérer), réserves 2P ou probables (50 % de probabilité) et 3P ou possibles (10 % de probabilité). Le pétrole et le gaz conventionnel représentent les hydrocarbures piégés dans les roches réservoirs (porosité et perméabilité élevées), les hydrocarbures non conventionnels sont restés dans les roches mères (porosité et perméabilité très faibles), les hydrocarbures subconventionnels (« pétrole offshore » ou « ultra-profond ») sont piégés dans des réservoirs situés par plus de 300 m d’eau (aujourd’hui, on dépasse 3 000 m d’eau).

4 Jean-Pierre Schaeken-Willemaers, Pic pétrolier, pic gazier, sans cesse reportés. Éditions Académie royale de Belgique, Collection Académie en poche, novembre 2015.

5 Après exécution d’un forage dans une roche réservoir, seulement 15 % (en moyenne) du pétrole peut-être récupéré facilement, le reste étant retenu par les forces de capillarité des grains et cristaux de la roche réservoir. Des récupérations « assistées » onéreuses permettent d’augmenter ce taux de récupération primaire.

6 Il faut noter que, contrairement à leur appellation, les schistes bitumineux ne contiennent pas de bitume, mais bien du kérogène, i.e. de la matière organique immature, précurseur du pétrole.

7 Ou hydrates de méthane, i.e. un mélange d’eau et de méthane piégé au fond des océans ou dans le permafrost des régions arctiques.

8 Citation du Cheik Yamani, ministre saoudien du pétrole et des ressources naturelles de 1982 à 1986.

9 Science et pseudosciences, 310, octobre 2014, Gaz de schiste et gaz de roche mère

Publié dans le n° 315 de la revue


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L' auteur

Alain Préat

géologue et professeur à l’Université Libre de Bruxelles dans le département des Sciences de la Terre et de (...)

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