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Cash Investigation et les pesticides : quand des contrevérités sont diffusées en prime time

Publié en ligne le 9 février 2016 - AFIS -

L’émission Cash Investigation, diffusée le 2 février 2016, était intitulée « Produits chimiques : nos enfants en danger » [1]. Elle s’est attachée à montrer pendant 2h15 que les pesticides présentent un danger imminent pour la santé des agriculteurs, des consommateurs et des enfants. Tout au long de l’émission, la journaliste Elise Lucet a martelé, sur un ton inquiet et alarmiste, que 97 % des produits alimentaires contiendraient des résidus de pesticides.

L’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS) déplore qu’une chaîne publique de télévision ait transmis en prime time un tel message, trompeur et alarmiste, à plusieurs millions de téléspectateurs, et que ce message ait ensuite été relayé par l’ensemble des médias et des réseaux sociaux, sans le souci ni de la véracité des « informations » colportées, ni de l’inquiétude légitime mais injustifiée ainsi propagée dans la population. Sans prendre position pour ou contre les pesticides, l’AFIS entend rappeler, ici, plusieurs éléments qui ont été occultés pendant l’émission et qui donnent un tout autre éclairage au chiffre de 97 %.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a contrôlé la présence de 685 pesticides de synthèse sur 81 000 échantillons de fruits et légumes, d’aliments transformés et de vins, provenant des 27 états membres de l’UE, d’Islande et de Norvège. L’étude a fait l’objet d’un rapport paru en 2013 [2], une synthèse publiée en mars 2015 étant disponible en français [3].

97 %. Les analyses de l’EFSA montrent que 97,4 % des 81 000 échantillons sont conformes à la réglementation, parmi lesquels 54,6 % ne contiennent aucun résidu détectable de pesticides. Sont considérés conformes à la réglementation, les aliments dans lesquels les pesticides sont retrouvés en quantité inférieure aux seuils fixés pour prévenir d’éventuels effets nocifs sur la santé.

L’EFSA a intitulé sa synthèse : « Plus de 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides dans les limites légales ». Cash Investigation a transformé ce titre en : « Plus de 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides ». Chacun peut apprécier l’intoxication !

Capture d’écran réalisée le 8 février sur le site FranceTVinfo

3 %. C’est le pourcentage (2,6 % précisément) des 81 000 échantillons qui, à l’opposé, dépassent les limites légales. Environ la moitié de ces échantillons (1,5 %) dépassent nettement ces limites.

Rien n’a été dit sur ces 3 % pendant l’émission Cash Investigation. Si 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides, alors les téléspectateurs pouvaient logiquement en déduire que seuls 3 % des aliments n’en contiennent pas. Lorsqu’il a été interrogé par un internaute sur ces 3 %, Martin Boudot, le journaliste qui a réalisé l’enquête, a d’ailleurs répondu : « les 3 % restants correspondent au bio ou aux aliments à très faible teneur en pesticide ». Chacun peut apprécier le contresens !

Le bio. L’étude de l’EFSA ne concernait que les pesticides de synthèse et ne portait donc pas sur les pesticides « naturels ». Rappelons que les aliments bio contiennent également des résidus de pesticides « naturels », que le « naturel » n’est pas, pour autant, vierge de tout risque et qu’il ne doit pas être dispensé d’une évaluation du risque. Ainsi, pour ces seuls pesticides de synthèse, l’étude montre que 15 % des échantillons « bio » contiennent des résidus, dont 0,8 % au-dessus des limites légales.

En résumé : Cash Investigation a fait implicitement passer le message que seulement 3 % des aliments seraient vierges de résidus de pesticides. C’est faux. Totalement faux.

Plus de la moitié des aliments (55 %), bio ou non, sont vierges de résidus de pesticides détectables. 42 %, bio ou non, contiennent des résidus détectables mais dans les limites légales et ne présentent pas de risque. Seuls 3 %, bio ou non, dépassent ces limites légales dont 1,5 % les dépassent nettement.

Au-delà de l’émission Cash Investigation et de ces manipulations de chiffres, l’AFIS invite celles et ceux qui souhaitent se forger une opinion éclairée et raisonnée sur les pesticides à se référer au dossier « Pesticides : ce qu’en dit la science », publié dans le numéro du 1er trimestre 2016 de sa revue Science et pseudo-sciences [4].


Thème : AFIS

Mots-clés : Désinformation - Média


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