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Des vaches produisant des anticorps thérapeutiques humains

Publié en ligne le 7 septembre 2015 - OGM et biotechnologies -

Dans une des brèves (« OGM contre Ebola  ») du numéro 311 de Science et pseudo-sciences, il était expliqué comment on pouvait produire des anticorps monoclonaux anti-virus Ebola à partir de tabac génétiquement modifié. Le procédé décrit consiste à sélectionner, un par un, des anticorps provenant de souris vaccinées contre le virus. Ces anticorps ne reconnaissent, chacun, qu’une région des protéines virales vaccinantes et c’est pour cette raison qu’on qualifie ces anticorps de monoclonaux. L’administration de trois anticorps monoclonaux contribue à protéger les patients. Il s’agit alors d’une vaccination passive dans la mesure où les patients ne fabriquent pas eux-même les anticorps. Ce sont des souris qui sont immunisées pour être la source de gènes dirigeant la synthèse d’anticorps. Ces gènes sont pour cela transférés dans le tabac qui produit alors des anticorps.

La vaccination active consiste à administrer des protéines d’un virus ou d’autres microorganismes pathogènes, ce qui se traduit par la synthèse d’une multitude d’anticorps monoclonaux différents plus ou moins capables chacun de neutraliser le virus. Ces anticorps sont qualifiés de polyclonaux. Ce mode de vaccination est souvent très efficace en raison de la multiplicité des anticorps produits.

Pour mimer ce processus, il est théoriquement possible de vacciner des animaux et de récupérer leurs anticorps à partir de leur sang pour les administrer aux patients. Ce procédé est mis en œuvre, entre autres, pour neutraliser les venins chez les patients qui ont été mordus ou piqués par des animaux. Un tel traitement ne peut se répéter car les anticorps des animaux sont reconnus comme étrangers par les patients. Cela se traduit par l’induction de mécanismes de rejet qui inactivent ces anticorps et peuvent aussi compromettre la santé des patients.

Il est possible de prélever les anticorps de personnes qui ont été infectées par le virus Ebola et qui ont survécu. Ces anticorps polyclonaux sont, par essence, humains et ils se sont avérés efficaces et sans effets secondaires. Le problème est que de tels anticorps ne sont disponibles qu’en quantités très limitées. L’idéal serait donc de disposer d’anticorps polyclonaux intégralement humains provenant d’animaux vaccinés. Il a fallu une décennie pour y arriver. Le principe en est simple mais la technique est très sophistiquée [1]. Elle consiste à inactiver les gènes des anticorps des animaux et de transférer dans ces mêmes animaux des fragments de chromosomes contenant les gènes des anticorps humains. Ces animaux génétiquement modifiés, qui sont qualifiés de transchromosomiques, produisent des anticorps strictement humains à la suite d’une vaccination. Il est possible d’extraire les anticorps du sang de ces animaux pour procéder à des immunisations passives en utilisant donc des anticorps polyclonaux humains. C’est ainsi que des vaches génétiquement modifiées produisent des anticorps dirigés contre le virus Ebola [2]. Cette technique est extrêmement prometteuse car des quantités d’anticorps très élevées peuvent ainsi être préparées à des coûts réduits. Des anticorps obtenus de cette manière peuvent avoir des applications thérapeutiques multiples et aussi variées que la neutralisation des toxines de venin, l’atténuation des réactions de rejet des organes greffés ou le ralentissement du développement de tumeurs.

Une étape essentielle a donc été franchie. Il reste à évaluer l’efficacité des anticorps polyclonaux humains chez des souris infectées expérimentalement par le virus Ebola puis des singes avant de procéder à des essais chez l’homme. Les premiers résultats ont montré que les souris sont résistantes au virus Ebola lorsque les anticorps polyclonaux sont administrés une seule fois, peu de temps après l’infection, mais pas plusieurs jours plus tard. Des tests sont en cours pour évaluer l’efficacité d’injections répétées d’anticorps polyclonaux. Il faut aussi se rappeler que les virus sont en perpétuelle mutation ce qui leur permet de changer partiellement d’identité et d’échapper ainsi aux mécanismes de défense immunitaire des personnes infectées. C’est le cas pour le virus Ebola. Les anticorps polyclonaux sont, selon les cas et de manière peu prévisible, plus ou moins capables de reconnaître et de neutraliser les différents mutants des virus. Dans certains cas, toutefois, des anticorps monoclonaux dirigés contre des régions clefs de protéines virales et non sujettes à des mutations peuvent s’avérer aussi, voire plus efficaces que des anticorps polyclonaux.

Cette technique a été associée à une autre qui pourrait se généraliser. Une vaccination peut se faire classiquement en administrant les organismes pathogènes sous forme atténuée et plus récemment avec des protéines provenant des pathogènes en question. Il est tout aussi logique d’administrer aux animaux des fragments d’ADN codant pour les protéines virales. Les gènes viraux contenus dans cet ADN peuvent diriger la synthèse de protéines virales qui jouent le rôle de vaccins. Pour que l’ADN produise des protéines virales, il faut qu’il pénètre dans des cellules des animaux. L’ADN de deux virus de la famille des hantavirus qui provoquent des maladies pulmonaires a été transféré dans des cellules de la peau de vaches transchromosomiques à l’aide de jets à haute pression, au voisinage des cellules immunitaires cutanées. Cette méthode est simple, non traumatisante pour les animaux et sans risque environnemental. Les anticorps polyclonaux humains de ces animaux résultant de la vaccination se sont avérés capables de protéger très efficacement des cobayes infectés expérimentalement par les deux hantavirus [3]. C’est cette même technique qui a été mise en œuvre pour obtenir des anticorps polyclonaux humains dirigés contre le virus Ebola [2].

Références

1 | Houdebine L.M. (2011) “Production of human polyclonal antibodies by transgenic animals”. Advances in Bioscience and Biotechnology 2 : 138-141.
2 | Genetically Modified Cattle With Human DNA Might Hold Ebola Cure - NBC News.com.html
3 | Hooper J.W. et al. (2014) “DNA vaccine-derived human IgG produced in transchromosomal bovines protect in lethal models of hantavirus pulmonary syndrome”. Sci Transl Med. 6 (264):264ra162.