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Smartphone + labopuce = laboratoire mobile

Publié en ligne le 4 septembre 2015 - Technologie -

La diffusion des téléphones portables ne se limite pas aux pays riches – ils sont en fait très répandus dans les nations moins développées comme en Afrique où, en l’absence d’un réseau téléphonique classique, ils assurent des fonctions de communication essentielles et autorisent des transferts d’argent instantanés et sécurisés. Ils permettent aussi aux producteurs agricoles et aux pêcheurs de connaître instantanément les cours du marché, et leur évitent ainsi de se faire exploiter par les intermédiaires. Mais ces outils aujourd’hui très répandus, y compris sous la forme de smartphones possédant des fonctions évoluées, peuvent aussi jouer un rôle dans d’autres domaines et en particulier dans le secteur médical. Un article récemment paru dans Science Translational Medicine [1] et commenté dans la revue en ligne MIT Technological Review [2] décrit ainsi la transformation d’un smartphone en laboratoire d’analyses autonome grâce à l’adjonction d’un accessoire pas plus gros que le téléphone lui-même.

Le système a été mis au point et testé sur le terrain dans le cadre d’une collaboration entre plusieurs universités nord-américaines et des instituts rwandais. Il a pour but d’effectuer un triple dosage d’anticorps présents dans le sang et de détecter ainsi l’infection par HIV, par le tréponème de la syphilis, ainsi que le caractère actif ou non de cette dernière infection via le dosage d’un troisième anticorps. Ceci est réalisé dans un système miniaturisé du type lab-on-a-chip ou labopuce, faisant appel aux techniques de microfluidique développées depuis une vingtaine d’années grâce à la maîtrise de réactions dans de tout petits volumes de liquide circulant dans des microcanaux. L’ensemble se présente sous la forme d’un bloc de plastique d’une taille équivalente à celle du smartphone, alimenté en électricité par la prise audio (prise écouteur) de ce dernier, qui assure aussi la transmission des données. Une application spécifique installée sur le smartphone lui permet de donner les instructions à l’opérateur, d’effectuer les calculs et d’afficher les résultats. Pour entamer le test, l’opérateur charge, dans une cartouche contenant les réactifs, l’échantillon sanguin (provenant d’une goutte de sang obtenue par piqûre digitale), insère cette cartouche dans la labopuce et enfonce une membrane élastique laquelle, en se relevant, crée une dépression qui va aspirer les réactifs à travers le système et provoquer les réactions. L’ensemble du processus dure 15 minutes et les résultats obtenus sont équivalents à ceux d’un dosage (dit ELISA) en laboratoire classique, qui met en œuvre des appareils d’un coût dépassant 15 000 euros et nécessitant un branchement électrique 1. Le coût de l’appareil (bien entendu réutilisable) est évalué à moins de 30 euros et celui d’un test à un euro environ.

L’intérêt d’un tel système est évident : il permet d’effectuer une analyse de bonne qualité en l’absence de toute infrastructure, sans personnel spécialisé et sans autre alimentation électrique que le smartphone. Ce dernier fournit à la fois l’alimentation électrique (une fois chargé, il peut assurer une quarantaine de tests), les instructions à l’opérateur, le calcul des résultats et leur affichage. Pour en arriver là, il a bien sûr fallu concevoir une labopuce très performante, réduire le plus possible sa consommation électrique et, par exemple, éviter l’emploi d’une pompe grâce au système de membrane élastique. L’ensemble paraît aujourd’hui bien maîtrisé, et l’on peut s’attendre à une floraison d’appareils transformant nos smartphones en laboratoires d’analyse portatifs et personnalisés, dont les applications seront nombreuses dans les pays dépourvus d’infrastructures médicales, mais aussi, plus généralement, chaque fois qu’une mesure « au chevet du malade » permet d’intervenir de manière plus efficace en évitant le passage par un laboratoire central et les délais que cela entraîne inévitablement.

Références

1 | Laksanasopin T et al. A smartphone dongle for diagnosis of infectious diseases at the point of care. Sci Transl Med. 2015 ; 7 : 273re1
2 | Talbot D. Smartphone Test for HIV and Syphilis Costs Pennies. MIT Technology Review, Feb 5, 2015

1 Il existe des tests rapides du type « bandelette » (comme les tests de grossesse), mais leurs performances sont beaucoup moins bonnes. Il s’agit ici de remplacer un véritable test de laboratoire ne nécessitant pas de confirmation.

Publié dans le n° 312 de la revue


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L' auteur

Bertrand Jordan

Biologiste moléculaire et directeur de recherche émérite au CNRS. Auteur de nombreux articles et d’une douzaine (...)

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