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Chikungunya et Malathion en Guyane : DDT bis repetita ?

Publié en ligne le 27 avril 2015 - Santé et médicament -

Les autorités françaises ont autorisé cet été l’usage temporaire du Malathion en Guyane pour lutter contre le développement du virus Chikungunya, et plus précisément, contre les moustiques vecteurs de la maladie 1. En effet, dans ce territoire, plus de 1 600 cas étaient dénombrés à la mi-août. L’enjeu est de contenir la maladie et d’éviter que l’infection ne se généralise à tout le territoire. L’insecticide normalement utilisé (la deltaméthrine) s’avère moins efficace du fait du développement de résistances de la part des moustiques cibles.

L’annonce a aussitôt provoqué de fortes réactions. Un « mouvement citoyen contre l’utilisation du malathion en Guyane » a lancé une pétition en ligne. Elle évoque un « produit hautement toxique », qui « va se retrouver dans les jardins, les cours, les écoles, les crèches », « interdit en Europe depuis 2007 et en France depuis 2008 » 2. Bref, les autorités auraient décidé de répandre un produit dangereux, sans en évaluer les conséquences, et qui plus est, un produit que l’Europe interdit pour elle-même, mais qui serait bon pour les autres... Guyane-Écologie (l’antenne locale de EELV) appelle à signer ce texte. La presse en général s’est largement fait écho de ces craintes.

Malheureusement, les éléments utiles à une information complète ne sont pas toujours donnés :
 Cette autorisation, temporaire, s’appuie sur des avis scientifiques donnés par l’Agence nationale de Sécurité sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail 3 (ANSES), le Haut Conseil de Santé publique 4 (HCSP) et l’Institut Pasteur de la Guyane 5, saisis pour l’occasion par le préfet de Guyane. Des modalités particulières sont mises en œuvre (absence de pulvérisation aérienne, exclusion de certaines zones, information des populations par exemple), et conformes aux recommandations des agences (ANSES, HCSP).
 L’usage du Malathion est recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et est utilisé avec succès dans la lutte anti-vectorielle au Canada et aux États-Unis.

Le Chikungunya

Le Chikungunya est une maladie virale transmise par un moustique. Généralement, elle se guérit spontanément au bout de quelques jours. Néanmoins, cette maladie présente des formes sévères aiguës et chroniques fortement incapacitantes. Dans certains cas, le handicap peut s’installer durablement. De même, des décès liés au Chikungunya peuvent intervenir, notamment chez des sujets fragilisés par d’autres pathologies ou par leur âge (nourrissons, personnes âgées). Pour lutter contre cette maladie, le monde médical ne dispose ni de vaccin ni de traitement curatif. Des médicaments traitant les symptômes sont administrés aux patients. De plus, aucun habitant en Guyane n’est immunisé contre cette maladie nouvelle sur le continent. Ainsi, la lutte antivectorielle (qui s’attaque au moustique, vecteur de la transmission de la maladie) reste la seule arme susceptible de contenir la propagation du virus.

Au 19 août 2014, on comptait, depuis le début de l’alerte, 3 665 cas en Guyane, 55 920 cas en Martinique et 73 120 cas en Guadeloupe. Il est à déplorer plus de 60 décès connus liés au Chikungunya en 8 mois, pour la Martinique et la Guadeloupe.

Source : Lettre du directeur de l’Agence Régionale de Santé, du préfet de Région et du président du conseil général de Guyane adressée aux élus locaux (19 août 2014).

Encore une fois, au lieu d’une analyse complète, prenant en compte les risques connus de l’utilisation des différents moyens de lutte, mais aussi l’efficacité et les bénéfices attendus dans la lutte contre la propagation du virus du Chikungunya, une croisade « anti-pesticide » présente l’usage du Malathion comme le mal absolu, à diaboliser et à proscrire. Oubliant au passage les victimes du Chikungunya. Comme souvent, l’existence d’une incertitude scientifique, aussi minime soit-elle, le fait qu’un aspect des choses puisse nécessiter une investigation supplémentaire, est invoqué pour exiger une interdiction pure et simple (voir par exemple l’argumentaire du « Mouvement citoyen contre l’utilisation du Malathion en Guyane », à l’origine de la pétition en ligne) 6.

Ce n’est pas sans rappeler l’histoire du DDT et du paludisme...

Lire aussi
Le Malathion contre le chikungunya, après le classement comme « cancérogène probable ».

Publié dans le n° 310 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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