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Les fantômes, les anges, les dieux, les démons... n’existent pas

Publié en ligne le 9 mars 2015 - Paranormal -

Pourquoi certains voient-ils des fantômes, des dieux, des anges, des démons, pourquoi ont-ils la sensation de flotter, de voler et de voyager hors de leur corps ? En quoi et pourquoi le cerveau se comporte-t-il en machine à générer des croyances ? C’est à ces questions que Michaël Shermer a tenté d’apporter des réponses scientifiques dans plusieurs de ses livres, dont il propose, avec Pat Linse, un condensé dans un livret intitulé The science behind why people see ghosts 1.

Passant en revue plusieurs facteurs et conditions à l’origine d’expériences extraordinaires, les auteurs montrent pourquoi ces mystérieux visiteurs qui peuplent les rêves et hantent les jours de certains d’entre nous, les hallucinations étranges et les états bizarres, ne sont pas réels mais des inventions de l’esprit humain : « Toute expérience est médiatisée par le cerveau, qui se compose d’une centaine de milliards de neurones avec un millier de milliards de connexions synaptiques entre eux. Il n’est pas étonnant que le cerveau soit capable d’idées sublimes telles que l’évolution et la cosmologie du Big Bang. Mais cela signifie aussi que, sous une variété de conditions, le cerveau est capable de générer des expériences extraordinaires qui ne sont pas réelles ».

Les substances psychoactives, les maladies neurologiques, la pensée magique, la régression hypnotique, etc. seraient les causes réelles de ces expériences paranormales.

Les substances hallucinogènes

La capacité des drogues hallucinogènes, telles que l’atropine et les alcaloïdes de belladone, extraits de la mandragore, drogue des sorcières européennes et des chamans amérindiens, stimulent la sensation de voler et de flotter. Les anesthésiques dissociatifs, tels que les kétamines, provoquent des expériences de sortie du corps. L’ingestion de méthylènedioxyamphétamine (MDA) engendre le sentiment de régression d’âge, tandis que le di-méthyl-tryptamine (DMT), autre nom de l’ayahuasca des chamans d’Amérique du Sud, provoque la dissociation de l’esprit et du corps. Les personnes qui prennent du DMT disent qu’elles n’ont plus de corps, qu’elles volent, tombent, s’élèvent.

Explorant la neurochimie de la superstition et de la pensée magique, des psychologues, Peter Brugger et Christine Mohr, ont montré que les personnes ayant des niveaux élevés de dopamine sont plus enclines à trouver une signification aux coïncidences, ainsi qu’à des phénomènes qui n’ont pas de sens. Après avoir donné à quarante sujets du L-Dopa, médicament utilisé pour la maladie de Parkinson qui augmente les niveaux de dopamine dans le cerveau, ils ont constaté que cela entraînait l’identification de visages dont les traits sont brouillés. En effet, la dopamine « augmente la vitesse de tir des neurones en liaison avec la reconnaissance des formes ». D’autres chercheurs ont constaté que la dopamine, non seulement améliorait l’apprentissage, mais, dans des doses plus élevées, pouvait également déclencher des symptômes psychiatriques, tels que des hallucinations.

Agenticité et patternicité

L’« agenticité » est la tendance à croire qu’il y a des agents invisibles qui hantent le monde et contrôlent nos vies, tels que des dieux, des démons, des esprits, des fantômes et la « patternicité » est la tendance à attribuer des formes connues à des stimuli informes, comme par exemple voir un animal dans les nuages ou le visage de la Vierge Marie dans une pizza.

Nous avons tendance à interpréter les signaux de notre environnement en associant l’agenticité et la patternicité. Par exemple, si un individu se trouve

en plein milieu des plaines d’Afrique et qu’il entend un bruissement dans l’herbe, il se posera cette question cruciale : est-ce le vent ou est-ce un dangereux prédateur ? Le vent représente un agent inanimé, le prédateur indique un agent intentionnel. S’il pense que c’est le vent, que le danger n’est pas réel, alors que c’est un lion, il aura fait une erreur de type II appelée « faux négatif », mais ce sera plus dangereux que s’il avait pensé que c’est un lion, alors que c’est le vent, et donc fait une erreur de type I ou « faux positif ». Le problème est que l’erreur de type II ou faux négatif peut lui coûter la vie. Il en ressort que la position la plus sûre est de supposer que tous les bruissements dans l’herbe viennent de pré- dateurs dangereux.

La pensée magique

Nous attribuons à chaque chose une âme, une volonté et nous cherchons à nous la rendre favorable. Ceci est la base de la superstition et de la pensée magique. Un tiers des patients qui ont subi une transplantation cardiaque croient qu’ils reçoivent avec son cœur la personnalité du donneur. De même, la plupart des gens déclarent avec dégoût qu’ils ne porteront jamais le chandail d’un meurtrier, parce qu’il est imprégné de l’esprit du mal.

Les lésions cérébrales

Oliver Sacks, neurologue bien connu, dont le travail remarquable dans l’action de « réveil » des cerveaux catatoniques des victimes de l’encéphalite a été rendu populaire, dans les années 1990, par le film Awakenings, « Éveil » en français, (avec Robin Williams en Sacks), a écrit un certain nombre de livres décrivant les hallucinations bizarres rencontrées par ses patients, comme l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Ces hallucinations sont interprétées par ceux qui en font l’expérience comme des réalités indépendantes de leur cerveau. Un patient âgé, qui souffrait de dégénérescence maculaire et avait complètement perdu la vue, a été diagnostiqué par Sacks comme atteint du syndrome de Charles Bonnet 2, à cause d’une succession d’hallucinations visuelles complexes, telles que des déformations des traits de visages. En fait, dit Oliver Sacks, environ 10 % des déficients visuels font l’expérience d’hallucinations visuelles. L’imagerie cérébrale de ces patients montre que le cortex visuel est activé de différentes façons et en différents endroits pendant ces fantasmes.

Le coma, les migraines

Un professeur de Harvard, Eben Alexander, raconte dans un livre, Proof of Heaven, son expérience de mort imminente au cours de laquelle il dit être allé au ciel pendant un coma dû à une méningite. Il affirme que son cortex était à ce moment-là totalement mort. Pourtant, Shermer remarque que s’il se souvient de cette expérience, c’est que son cerveau était encore vivant. C’est d’ailleurs pourquoi ces expériences s’appellent de « mort imminente ». Les personnes qui les vivent ne sont justement pas mortes. Oliver Sacks note dans son livre Hallucinations, en 2012, que certaines migraines, qu’il a lui-même éprouvées, produisent également des hallucinations. Il explique que si les hallucinations semblent aussi réelles, c’est parce qu’elles activent dans le cerveau les mêmes zones que celles qui sont activées par les perceptions réelles. Ce qui est probable, c’est qu’Alexander a fait cette expérience de mort imminente, non pas quand il était dans un coma profond, mais alors qu’il était en train d’en sortir. Ce qui est curieux, dit Sacks, c’est qu’Alexander préfère l’explication surnaturelle à l’explication naturelle.

La privation d’oxygène

Par ailleurs, les expériences de mort imminente peuvent être induites par la privation d’oxygène vers le cortex. Les pertes de conscience accompagnées de visions de tunnel avec parfois une lumière au bout, puis de cécité, la sensation de flottement ou de paralysie, suivies, après avoir repris conscience, d’un sentiment d’euphorie, de paix ou de sérénité, ont été observées par James Whinnery 3 chez des pilotes d’avions de chasse soumis à des forces gravitationnelles extrêmes, dans une centrifugeuse géante, pour simuler les conditions qui peuvent se produire lors d’un combat aérien.

La solitude ou les environnements extrêmes

Des alpinistes en solitaire, des explorateurs polaires, des marins isolés, des athlètes d’endurance racontent parfois avoir ressenti une présence, lorsque certaines conditions étaient réunies, telles que la monotonie, l’obscurité, les paysages arides, l’isolement, le froid, les blessures, la déshydratation, la faim, la peur, la fatigue, la privation de sommeil. Charles Lindberg a dit avoir senti la présence de fantômes sur son vol transatlantique ; Hermann Buhl, le célèbre alpiniste autrichien, a dit avoir entendu des voix, entendu son nom, une fois arrivé au sommet du Nanga Parbat.

Quelle que soit la cause extérieure, une cause plus profonde de la sensation d’une présence se trouve dans le cerveau.

La méditation

Le neuroscientifique Andrew Newberg dans Pourquoi Dieu ne va pas disparaître a indiqué que les scanners faits sur les cerveaux de moines bouddhistes en méditation et de sœurs franciscaines en prière montrent une activité très faible dans la zone du cerveau appelée Orientation Association Area (OAA). Cette région a pour fonction d’orienter le corps dans l’espace. Les personnes qui souffrent de lésions dans cette zone ont des difficultés à faire le tour d’une maison, à éviter les objets, parce que leur cerveau ne traite pas l’objet comme séparé de leur corps. Quand l’OAA est en mode veille, comme dans la méditation ou la prière, la frontière se brouille entre la réalité et l’imaginaire, entre se sentir dans son corps ou hors du corps.

Les auteurs concluent : « C’est peut-être ce qui se passe chez les moines qui vivent un sentiment d’unité avec l’univers, ou chez des religieuses qui sentent la présence de Dieu, ou chez ceux qui sont enlevés par des extra-terrestres et qui flottent sur leurs lits pour rejoindre le vaisseau-mère ».

Les anomalies du sommeil et les rêves clairs

Les expériences d’enlèvements par les extraterrestres se produisent en général pendant le sommeil, juste après l’endormissement (hallucinations hypnagogiques) et juste avant le réveil (hallucinations hypnopompiques). D’autres états de rêve, tels le rêve lucide pendant lequel la personne se sait en train de rêver et peut modifier le rêve et la paralysie du sommeil, sont parfois aussi accompagnés d’expériences d’enlèvements. Les hallucinations peuvent être visuelles, auditives, etc. La paralysie du sommeil est un rêve lucide dans lequel le rêveur se sait rêver et détecte en même temps la paralysie, une pression sur la poitrine, la présence d’un autre dans la salle etc., avec des composantes émotionnelles variées.

L’hypnose et la mémoire

Certains racontent au cours d’une séance d’hypnose avoir vécu un enlèvement par des extraterrestres. Au cours de cette séance, on leur suggère de régresser dans le temps pour récupérer des souvenirs oubliés d’enlèvement et ensuite de lire, sur cette sorte d’écran imaginaire de l’esprit, le film du passé. Michaël Shermer et Pat Linse contestent cette métaphore de la mémoire qui fonctionnerait comme un dispositif d’enregistrement dans le cerveau. Les scénarios d’enlèvements par des extraterrestres sont suggé- rés par les thérapeutes et les sujets sous hypnose ne font que les complé- ter. Les récits d’enlèvements par des extraterrestres obtenus sous hypnose sont, selon Shermer, des constructions artificielles qui n’ont rien à voir avec le fonctionnement réel de la mémoire.

Le dualisme naturel

Selon Paul Bloom, psychologue à l’Université Yale, nous sommes naturellement dualistes. Lorsque nous disons « mon corps », c’est comme si « mon » et « corps » étaient deux entités distinctes. De même, la conception matérialiste n’est pas spontanée. Au cours d’une expérience, Bloom raconte à des enfants une histoire de souris mangée par un alligator. Les enfants admettent que le corps de la souris est mort, que son cerveau ne fonctionne plus, mais ils pensent que la souris aime encore le fromage, qu’elle sait qu’elle est morte... Pour eux, si la souris n’est plus physiquement en vie, sa vie mentale persiste. Pour l’enfant, comme pour l’adulte, le cerveau est perçu comme une sorte de prothèse cognitive ajoutée à l’âme ou à l’esprit. La raison du dualisme est intuitive : le cerveau ne se perçoit pas et attribue l’activité mentale à une source différente, l’âme ou l’esprit.

Notre cerveau s’est construit à travers l’évolution comme une « machine à croire », a belief engine, selon l’expression de Shermer. Une fois que nos croyances sont formées, nous cherchons à les renforcer en les confirmant de toutes sortes de façons pour nous donner raison. Mais, ce qui est remarquable, c’est que, d’une part, notre cerveau est la source d’illusions au sujet de l’univers et de nous-mêmes, et que, d’autre part, il est capable de comprendre le fonctionnement de l’univers ainsi que son propre processus de compréhension 4

Tel est le paradoxe.

A propos des miracles

« Un miracle est une violation des lois de la nature, et comme une expérience ferme et inaltérable a établi ces lois, la preuve que l’on oppose à un miracle, de par la nature même du fait, est aussi entière que tous les arguments empiriques qu’il est possible d’imaginer. Pourquoi est-il plus probable que tous les hommes doivent mourir, que du plomb ne puisse pas rester suspendu dans les airs, que le feu consume le bois et qu’il soit éteint par l’eau, sinon parce que ces événements se révèlent en accord avec les lois de la nature et qu’il faut une violation des lois de la nature, ou en d’autres mots un miracle, pour les empêcher ? Pour que quelque chose soit considéré comme un miracle, il faut qu’il n’arrive jamais dans le cours habituel de la nature. Ce n’est pas un miracle qu’un homme, apparemment en bonne santé, meure soudainement, parce que ce genre de mort, bien que plus inhabituelle que d’autres, a pourtant été vu arriver fréquemment. Mais c’est un miracle qu’un homme mort revienne à la vie, parce que cet événement n’a jamais été observé, à aucune époque, dans aucun pays. Il faut donc qu’il y ait une expérience uniforme contre tout événement miraculeux, autrement, l’événement ne mérite pas cette appellation de miracle. Et comme une expérience uniforme équivaut à une preuve, il y a dans ce cas une preuve directe et entière, venant de la nature des faits, contre l’existence d’un quelconque miracle. Une telle preuve ne peut être détruite et le miracle rendu croyable, sinon par une preuve contraire qui lui soit supérieure.

La conséquence évidente (et c’est une maxime générale qui mérite notre attention) est : "Aucun témoignage n’est suffisant pour établir un miracle à moins que le témoignage soit d’un genre tel que sa fausseté serait plus miraculeuse que le fait qu’il veut établir ; et même dans ce cas, il y a une destruction réciproque des arguments, et c’est seulement l’argument supérieur qui nous donne une assurance adaptée à ce degré de force qui demeure, déduction faite de la force de l’argument inférieur. Quand quelqu’un me dit qu’il a vu un mort revenu à la vie, je considère immédiatement en moi-même s’il est plus probable que cette personne me trompe ou soit trompée, ou que le fait qu’elle relate ait réellement eu lieu. Je soupèse les deux miracles, et selon la supériorité que je découvre, je rends ma décision et rejette toujours le plus grand miracle. Si la fausseté de son témoignage était plus miraculeuse que l’événement qu’elle relate, alors, et alors seulement, cette personne pourrait prétendre commander ma croyance et mon opinion. »

Enquête sur l’entendement humain – 1748 (Traduit en français par Philippe Folliot, 2002)

1 www.skeptic.com/reading_room/the-science-behind-why-people-see-ghosts/. Michaël Shermer est fondateur et président de la Skeptics Society, rédacteur en chef du magazine Skeptic et chroniqueur mensuel pour Scientific American. Auteur de Why People Believe Weird Things : Pseudoscience, Superstition, and Other Confusions of Our Time, http://www.michaelshermer.com/weird... Pat Linse a créé le magazine Skeptic junior et est co-rédactrice en chef de The Skeptic Encyclopedia Of Pseudoscience.

2 Le syndrome de Charles Bonnet. http://www.circee.org/?syndrome-de-...

3 "The Trigger of Extreme Gravity : Dr. James Winnery’s NDE Research". http://www.near-death.com/experienc...

4 Cf. ce que dit Richard Wiseman dans Petites expériences extra-sensorielles : « ces petits points faibles [ceux de notre cerveau, qui nous "fait croire"] » ne sont que le « prix à payer pour être si prodigieux le reste du temps ». Note de lecture de Martin Brunschwig – SPS n° 303, janvier 2013, Petites expériences extra-sensorielles.

Publié dans le n° 309 de la revue


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L' auteur

Brigitte Axelrad

Professeur honoraire de philosophie et psychosociologie. Membre du comité de rédaction de Science et (...)

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