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Point de vue

Les académiciens baissent les bras

Publié en ligne le 2 février 2014 - Médecine -

L’Académie de médecine a toujours été, pour les scientifiques, le recours ultime, la référence incontournable et toujours présente, lorsqu’il s’agissait de fustiger les prétendues médecines non conventionnelles.

On se souvient d’un temps où les rapports à ce sujet savaient ne pas mâcher leurs mots. On pouvait y lire, par exemple, que l’homéopathie « est une méthode imaginée il y a deux siècles à partir d’a priori conceptuels dénués de tout fondement scientifique », que « de façon surprenante cette méthode obsolète continue à avoir de nombreux partisans, des préparations homéopathiques continuent à être produites et vendues, d’ailleurs uniquement dans le public, car dans aucun secteur de la médecine elles ne sont achetées et utilisées par les centres hospitaliers ». L’ostéopathie était condamnée dans des termes quasiment identiques comme : « méthode à visée diagnostique et thérapeutique qui s’appuie, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, sur des a priori conceptuels dénués de tout fondement scientifique ». Voilà ce qui s’appelait parler clair et en peu de mots !

Visiblement, le rapport sur les thérapies complémentaires qu’a publié le 5 mars 2013 l’Académie nationale de médecine est d’une tout autre nature. Les académiciens ont dû constater qu’ils n’avaient pas été entendus. Plutôt que de réitérer leurs condamnations, au moins pour le principe, ils semblent avoir opté pour une méthode qui, parodiant Jean Cocteau, consiste à penser : « puisque ces pratiques nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ». Le rapport, qui s’étale sur 31 pages, afin de mieux noyer le poisson, ressemble plus à l’acceptation d’un état de fait qu’à une prise de position scientifique.

Après avoir ergoté sur la désignation de ces prétendues médecines, les académiciens proposent de désigner désormais ces pratiques par le terme (un de plus) « thérapies complémentaires », ce qui revient, de facto, à admettre leur intérêt et leur action thérapeutique.

Afin de limiter les dégâts, les académiciens indiquent que « l’insertion des thérapies complémentaires dans les soins dispensés par les hôpitaux, notamment les CHU, nous semble présenter un réel intérêt si elle est comprise non comme une reconnaissance et une valorisation de ces méthodes, mais comme un moyen de préciser leurs effets, de clarifier leurs indications et d’établir de bonnes règles pour leur utilisation ». Voilà qui semble plein de bonnes intentions, mais qui n’est en fait qu’un rideau de fumée. Croit-on vraiment que le public fera la différence, alors que chacun sait que les « médecines non conventionnelles » sont déjà présentes dans les hôpitaux, non à titre de recherche, mais à titre de soins 1 ?

Les académiciens admettent qu’il y a actuellement plusieurs centaines de pratiques « à visée thérapeutique ». Comme ils ne souhaitent pas se lancer dans une analyse précise de chacune d’entre elles, ce qui est évidemment impossible, ils annoncent qu’« un choix arbitraire, mais réfléchi, [les] a conduit à ne retenir pour ce travail que quatre techniques : l’acupuncture, la médecine manuelle, l’hypnose et le tai-chi ». Leur choix s’appuierait sur le fait qu’elles sont les plus riches en publications et que ce sont celles que privilégie l’Assistance Publique – hôpitaux de Paris (AP-HP). En ce qui concerne la première motivation, il est pourtant évident que les publications concernant l’homéopathie sont considérablement plus nombreuses que celles qui s’intéressent au tai-chi. Quant à la seconde motivation, elle est assez curieuse, car il nous semble que c’est à l’Académie de médecine de faire des recommandations à l’AP-HP, et non l’inverse.

Mais, au fait, justement, où donc est passée l’homéopathie ? Il n’en est question nulle part dans le rapport, bien qu’elle soit sans doute, de très loin, la plus courante. En défendre la pratique aurait risqué de provoquer quelques vagues chez les scientifiques. Alors, chut ! Ne parlons pas de ce qui fâche et laissons nos chers collègues traire tranquillement la sécurité sociale.

Pour l’acupuncture, après un exposé des prétendues bases sur lesquelles s’appuie la discipline, une évaluation est donnée, qui précise bien que malgré leur grand nombre (plus de 4000 citations) la qualité est « pour beaucoup d’entre elles, estimée médiocre par les analystes qui les évaluent au regard des critères de la "médecine fondée sur les preuves" ».

Malgré cela, ce sont sur ces données que les académiciens s’appuient pour estimer que, dans l’état actuel des connaissances, l’acupuncture peut apporter un bénéfice aux patients souffrant de « lombalgie ou cervicalgie chronique, de migraine ou céphalée de tension, d’arthrose des membres inférieurs, d’épicondylite, aux femmes enceintes éprouvant des douleurs des lombes ou du bassin et lors des douleurs de l’accouchement, et pour prévenir les nausées et vomissements induits par la chimiothérapie anticancéreuse ».

Cet inventaire pratiquement similaire à celui qui figure dans le rapport du Centre d’analyse stratégique est tout aussi contestable et provient sans doute des mêmes sources, ce que semble confirmer la liste des praticiens auditionnés dans les deux cas.

La médecine manuelle ostéopathie (ou chiropraxie) a droit au même traitement. Long exposé indiquant qu’il faut, « avec l’aide de Dieu » (sic !),ajuster les différentes parties du corps, etc. Ceci est suivi d’une évaluation qui, au vu d’un article 2 publié dans le journal Chiropractic and Osteopathy, indique que ces manipulations « peuvent se révéler modérément efficaces » dans certains cas. Les académiciens ajoutent malgré tout avec honnêteté que les complications possibles des manipulationscervicales sont rares, mais graves. Pas un mot pourtant du rapport bénéfice-risque !

Concernant l’hypnose, paradoxalement, les académiciens parlent très peu de son utilisation dans le cadre de l’anesthésie où elle semble avoir fait preuve de son intérêt. Ils indiquent seulement que : « les indications les plus intéressantes semblent être la douleur liée au geste invasif chez l’enfant et l’adolescent et les effets secondaires des chimiothérapies anticancéreuses ». On s’en serait douté puisque c’est justement le domaine dans lequel l’effet placebo est le plus actif. Ils indiquent cependant qu’« il est possible que de nouveaux essais viennent démontrer l’utilité de l’hypnose dans d’autres indications ». Peut-on valider une approche aujourd’hui au nom de résultats « peut-être » à venir dans le futur ?

Le Taï Chi et le Qi gong, dit le rapport, « peuvent présenter un intérêt dans la prise en charge d’un ensemble assez hétéroclite de maladies qui ont toutes en commun d’être dans une certaine mesure sensible à l’exercice physique ». Sachant que ces disciplines sont tout simplement des gymnastiques d’origine exotique, nous n’en sommes pas étonnés. Ont-elles pour autant leur place dans un hôpital, doivent-elles être considérées comme des médecines et doivent-elles donner lieu à un remboursement, alors que les gymnastiques classiques ne le prétendent pas ? C’est là toute la question.

L’exposé qui concerne l’effet placebo est objectif 3. Il confirme ce qui a été déjà écrit ailleurs, mais surtout conclut sur ces termes : « L’effet placebo est donc le mécanisme d’action de l’acupuncture le plus plausible. On peut penser qu’il en est de même, au moins partiellement, pour l’ostéopathie et la médecine manuelle ».

Les paragraphes qui suivent ne présentent pour le lecteur profane qu’un intérêt très limité. Ils s’intéressent surtout à l’état des lieux de ces pratiques (prix, formation...). Le seul intérêt réside peut-être dans la constatation de l’augmentation déraisonnable du nombre des ostéopathes. Pour autant, les auteurs du rapport ne semblent pas se souvenir que cette catastrophe avait été annoncée, puisqu’elle est tout simplement le résultat mécanique de la reconnaissance de cette profession.

À force de jouer avec des allumettes...

En conclusion, le rapport indique « les thérapies complémentaires, nées de pratiques non médicales ou d’une médecine éloignée de la nôtre, et pratiquée initialement dans le seul secteur libéral par des médecins ou non-médecins sans la caution des instances académiques ou professionnelles, se sont progressivement installées dans l’offre de formation des universités et l’offre de soin des hôpitaux, du fait d’initiatives individuelles, sans concertation ni planification, et sous l’effet conjugué de la faveur du public et des réponses insatisfaisantes de la médecine conventionnelle face à nombre de troubles fonctionnels. Force est de constater qu’à l’heure actuelle ces pratiques, dont l’une ou l’autre figure au programme de presque toutes les facultés, dans l’usage de tous les centres d’oncologie, dans celui de la plupart des CHU et, semble-t-il, de nombreux centres hospitaliers et établissements de soins privés, sont un élément probablement irréversible de nos méthodes de soins ».

Inutile donc de préciser que le rapport de l’Académie de médecine est une énorme désillusion. Les sages nous avaient habitués à se positionner comme un rempart, au moins moral, face aux intrusions irrationnelles et mercantiles 4. Ils auraient dû s’inspirer de la réaction des doyens des Facultés de médecine de Belgique qui ont marqué avec fermeté que, malgré l’injonction qui en était faite, ils se refusaient à enseigner des techniques médicales qui n’avaient pas été validées.

Allons-nous devoir un jour, comme le font, hélas, aujourd’hui certains parents d’enfants autistes, émigrer vers la Belgique ?...

1 Rapport Fagon : « médecines complémentaires à l’Assistance Publique – hôpitaux de Paris »

2 Bronfort G., Haas M., Evans R. et al. ; « Effectiveness of manual therapies : the UK evidence report ». Chiropr Osteopat, 2010, 18, 3.

3 Sujet connu de nos lecteurs. Voir par exemple : Placebo, es-tu là ? – SPS n° 294, janvier 2011

4 Il n’y a pas que les marchands de médicaments qui sont mercantiles, il y a aussi les marchands d’illusions.

Publié dans le n° 305 de la revue


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L' auteur

Jean Brissonnet

Agrégé de physique, a créé et développé le site www.pseudo-medecines.org. Il a été vice-président de l’AFIS de (...)

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