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L’écologie est-elle encore scientifique ?

Publié en ligne le 8 décembre 2013
L’écologie est-elle encore scientifique ?

Christian Lévêque
Éditions Quae, 2013, 143 pages, 16 €

La science écologique est devenue très médiatisée et très sollicitée par la société des pays développés pour tenter de comprendre et de résoudre des problèmes environnementaux divers, considérés comme résultant en majeure partie des activités humaines. Christian Lévêque est écologue, spécialiste des milieux aquatiques continentaux, directeur de recherche émérite de l’IRD et président de l’Académie d’Agriculture de France.

Tout au long du livre, l’auteur s’emploie à montrer les réalités de l’écologie moderne, celle des écologues, qui ne correspond pas toujours à celle des écologistes. L’écologie est à la croisée des chemins entre les sciences de la vie, les sciences de la Terre et les sciences de la société. L’écologie est donc une science de synthèse qui, de ce fait, est plus complexe que ce que beaucoup imaginent. Une idée fausse est, en particulier, celle qui s’appuie sur les notions d’ordre et d’équilibre naturels des écosystèmes qui elles-mêmes sont des réminiscences de créationnisme, de dessein intelligent voire de malthusianisme et, en tout cas, de conservatisme. L’auteur insiste beaucoup sur le fait que les écosystèmes sont en évolution permanente dans des directions peu prévisibles. Les écosystèmes suivent des trajectoires mais non des modifications réversibles ou des cycles. Ceci implique que la recherche d’un Éden perdu et d’une nature pure, inviolée, est totalement illusoire mais aussi que les modifications des écosystèmes, quelles que soient les directions suivies, ne sont pas imputables aux activités humaines autant que certains le prétendent. Il est de ce fait irréaliste d’imaginer que des écologues ont le pouvoir de restaurer à l’identique un écosystème dégradé. Tout ce qu’on peut obtenir, c’est de recréer de la nature dans un lieu donné mais non la nature dans son état antérieur. Un état antérieur stable est lui-même une notion fausse car tous les états sont par essence transitoires et se modifient sans but perceptible. Beaucoup de citoyens ne réalisent pas que la plupart des écosystèmes, en Europe en tout cas, peuplée depuis longtemps par des agriculteurs, ont été modifiés de manière notable via une co-construction et une co-évolution de l’homme et de la nature. Les écosystèmes que l’on observe ont été et sont encore le plus souvent construits pour répondre à des demandes de la société et non l’inverse.

L’étude des écosystèmes est donc particulièrement malaisée. Les chercheurs sont contraints d’agir avec empirisme et de se livrer à des pratiques que l’auteur n’hésite pas à qualifier de bricolage. Cette stratégie est plus ou moins gratifiante pour les opérateurs qui se réfugient souvent dans des investigations qui ont peu de chance de bien répondre aux questions posées. L’étude des écosystèmes se cantonne trop souvent à des inventaires comparatifs de la flore et de la faune en négligeant exagérément les microorganismes dont les impacts sont pourtant décisifs. Les chercheurs dans le domaine sont tentés de privilégier excessivement la construction de modèles mathématiques sur des données primaires trop rares ou de qualité insuffisantes. La collecte de données sur le terrain est par trop délaissée, le confort des bureaux étant meilleur que celui du terrain. Plus sérieusement, peut-être, bon nombre d’écologues sont, comme bien d’autres, soumis au terrorisme du facteur d’impact de leurs publications. Là comme ailleurs, les chercheurs tendent à être plus productifs que créatifs. L’écologie, qui ne peut se comprendre et agir que sur le temps long, ne peut se satisfaire de telles pratiques. L’auteur note aussi que les luttes de pouvoir et les querelles de clochers nuisent à la productivité des laboratoires qui, par ailleurs, pâtissent plus que d’autres secteurs de la recherche publique d’un sous-équipement en gros matériels.

À cela, il faut ajouter que l’écologie, à son corps défendant, est au cœur de préoccupations de la société. Ceci expose ce domaine de la recherche aux effets de mode et au pouvoir des média. Les écologues ne parviennent pas toujours à éviter les pièges idéologiques tendus par diverses ONG.

En conclusion de ce bilan, l’auteur ne sombre pas dans le pessimisme. Il pense que l’écologie scientifique doit se développer en France et que cela est possible à condition de donner la priorité à une vision et une gestion globales des projets de recherche. Le livre contient l’analyse d’une situation qui n’est pas l’exclusivité de l’écologie. Ce n’est pas là son moindre intérêt.