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L’autisme d’un DSM à l’autre

Publié en ligne le 4 août 2013 - Autisme -
par Baudouin Forgeot d’Arc

Depuis la publication des critères proposés pour le DSM-5, la future classification américaine des troubles mentaux attendue pour 2013, les modifications concernant l’autisme ont suscité beaucoup de passion et ont agité les revues spécialisées et la presse grand public : disparition du syndrome d’Asperger, possibilité du retrait du diagnostic pour une proportion importante des personnes concernées. Essayons d’y voir plus clair sur la nature et les enjeux des changements en cours.

L’autisme a été décrit il y a plus de 60 ans, simultanément en Autriche par Hans Asperger et aux USA par Léo Kanner. Pour Kanner, « le trouble fondamental est l’incapacité des enfants à établir une relation ordinaire avec les gens et les situations, depuis le début de leur vie ». Il décrit également des particularités du langage, une mémoire excellente, des troubles alimentaires, des réactions anormales au bruit, des comportements répétitifs avec une aversion au changement, une limitation dans la variété des activités.

Ce qui est frappant au premier abord, à la relecture de cette description, c’est sa grande actualité, à la fois dans l’interprétation générale (« l’incapacité des enfants à établir une relation ordinaire ») et dans certains détails parfois si étonnants (« une manie de faire tourner les objets »). Pourtant, dans bien des cas, les choses sont moins claires : les préoccupations de cette famille, les particularités de cette personne, est-ce bien en rapport avec ce que décrivait Kanner, ou est-ce autre chose ? Si le médecin n’avait pas besoin d’apprendre ni de transmettre, peu importeraient les mots employés. Mais la similarité entre des cas ouvre d’importantes perspectives : pouvoir répéter les observations, comparer les situations et les évolutions permet de communiquer et d’envisager d’améliorer les connaissances et les possibilités d’intervention. Le développement des classifications répond à ce besoin d’une définition qui permette une reconnaissance fiable. Une définition abstraite (par exemple : « l’autisme est une absence ou une altération de l’instinct social ») peut exprimer de façon essentielle notre compréhension d’un trouble, mais elle laisse une large place à l’interprétation et donc aux différences entre les utilisateurs, perdant ainsi de sa fiabilité et donc de son utilité. L’idée que la façon la plus fiable de définir cliniquement un trouble était un ensemble de critères descriptifs s’est progressivement imposée.

Brève histoire de la définition de l’autisme

Après la description initiale de l’autisme au milieu du XXe siècle, le terme « schizophrénie de l’enfant » reste largement utilisé pour désigner un large ensemble de troubles incluant l’autisme. La reconnaissance de l’autisme en tant que diagnostic distinct vient avec le DSM-III, troisième classification de l’association américaine de psychiatrie, en 1980. Le principe d’utilisation est le suivant : une série de six critères descriptifs s’appliquent. Le diagnostic est porté si tous les critères sont remplis. Le diagnostic ne concerne donc que les manifestations très prototypiques. Ainsi, un déficit global du développement langagier est exigé, ainsi que des particularités précises du langage (« écholalie différée, inversion pronominale, langage métaphorique »). Cette approche apparaissant trop restrictive, la version révisée (DSM-III-R) apporte la possibilité de ne remplir qu’une partie des critères, ce qui élargit le concept diagnostique.

Le DSM-IV est publié en 1994. L’autisme est alors inclus dans un nouveau groupe appelé « troubles envahissants du développement » (TED), comprenant en particulier deux autres troubles du spectre de l’autisme – le syndrome d’Asperger et le TED-non spécifié. Les symptômes des TED sont développés au sein de trois domaines d’altérations souvent résumés en : « communication, socialisation, imagination ». De nombreux critères sont proposés et seule une proportion est requise pour le diagnostic. Les critères sont également plus larges que ceux du DSM-III. Ces modifications font que sont davantage inclus dans le spectre les individus avec des formes moins prototypiques, en particulier ceux sans déficience intellectuelle, avec une perturbation du fonctionnement social.

Dans le même temps, l’autisme devient plus connu du public et des médecins et la fréquence du diagnostic augmente : avec une fréquence des personnes ayant un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme qui dépasse 2 % de la population d’après certaines études récentes, on parle parfois d’épidémie. Pourtant, si la fréquence du diagnostic a considérablement augmenté, il n’est pas clair que le nombre de personnes atteintes ait changé : une reconnaissance plus grande du public et des professionnels, l’utilisation du diagnostic pour établir l’éligibilité à des services et à des compensations, ajoutés à l’élargissement du concept de TED au-delà du trouble autistique proprement dit, pourraient expliquer cette augmentation, en particulier par la substitution du diagnostic de TED à d’autres diagnostics (par exemple déficience intellectuelle, autres troubles neurodéveloppementaux, troubles de personnalité). Certains professionnels ont proposé l’insertion dans les manuels diagnostiques d’avertissements contre le surdiagnostic, ou encore des conférences pour « rééduquer les cliniciens sur l’utilisation appropriée des critères ». Il ne s’agit pas que d’une dérive de praticiens peu formés : même les experts diffèrent considérablement dans leur application des critères actuels (même si cette variabilité est réduite par l’utilisation d’outils standardisés).

Ainsi, alors que l’autisme de Kanner, jusqu’au DSM-III, était un trouble rare et très caractérisé, les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont, au début du XXIe siècle, des troubles fréquents et certainement beaucoup plus hétérogènes. En plus d’avoir favorisé la surinclusion et l’inflation diagnostique, sont également reprochés aux critères diagnostiques du DSM-IV une mauvaise sensibilité pour les femmes et dans certaines cultures, ainsi qu’une sensibilité différente selon les âges, responsables d’un manque de stabilité du diagnostic dans le temps. Dans le même temps, c’est sur ces critères que se sont considérablement développées nos connaissances sur l’autisme, ses facteurs biologiques et ses particularités psychologiques 1.

Vers une nouvelle classification

La révision du manuel diagnostique de l’Association Psychiatrique Américaine (APA) a compris une remise à plat des différents diagnostics psychiatriques. Il est probable que, comme la précédente version, cette classification s’imposera comme référence pour la communication internationale pour plusieurs années. Après consultation d’experts désignés par l’association, réunions de groupes de travail et revue des données actuelles, l’APA a proposé des révisions, dans plusieurs phases successives de consultations et discussions [1]. L’association affirme que les révisions sont guidées par « l’utilité clinique », les « preuves scientifiques », cherchent autant que possible à assurer la « continuité avec l’édition précédente » sans pour autant se contraindre à la suivre « là où l’organisation ou les critères étaient problématiques ». Les exigences de la clinique et de la recherche ne sont pas toujours les mêmes dans un tel processus, à tel point qu’on pourrait se demander s’il ne serait pas préférable d’utiliser une classification pour la clinique (regroupant les patients selon la probabilité de besoins communs) et une pour la recherche (regroupant les patients selon la probabilité d’une origine commune). Pourtant, une telle dissociation compliquerait considérablement le transfert des connaissances scientifiques. Ces conséquences ne feraient que s’ajouter aux coûts inévitables d’un tel changement, à la fois pour la clinique et la recherche. Du côté de la recherche, comment assurer la continuité et interpréter des travaux effectués avec une définition obsolète ? Du côté de la clinique, il faudra, partout où la nouvelle version va être utilisée, développer de nouveaux outils de diagnostic, former les professionnels.

L’autisme version DSM-5.0

Parmi les changements prévus avec l’arrivée du DSM-5 2, plusieurs concernent l’autisme [2]. On note d’abord la disparition du terme de TED (troubles envahissants du développement) et l’insertion du terme de TSA (troubles du spectre de l’autisme), déjà largement utilisé en pratique. Alors que le groupe des TED comprenait cinq diagnostics différents, TSA serait un seul diagnostic. La disparition annoncée du syndrome d’Asperger soulève des protestations. Entré dans le DSM en 1994, le syndrome d’Asperger désignait en pratique, parmi les personnes du spectre autistique, celles qui n’ont ni atteinte du langage, ni déficience intellectuelle. Ces « aspi » sont-ils vraiment un groupe distinct de l’autisme ? Sur le plan génétique, l’hérédité plaide pour des origines communes entre autisme et syndrome d’Asperger. En cognition, même si certaines études ont rapporté un plus fort niveau de fonctionnement intellectuel verbal chez les personnes avec syndrome d’Asperger que chez les personnes avec autisme, la recherche ne permet pas de conclure sur les rapports entre syndrome d’Asperger et autisme. Ensuite, le devenir des enfants avec syndrome d’Asperger semble similaire à celui d’enfants avec un diagnostic d’autisme ayant ensuite développé un langage. Enfin, leurs besoins sont très variables et ne sont pas systématiquement différents de ceux des personnes autistes de même niveau de fonctionnement. La prise en compte plus individuelle des besoins ne nécessite pas forcément la multiplicité des qualificatifs diagnostiques : la mention de la sévérité des atteintes dans les différents domaines, proposée dans le DSM-5, pourrait être une réponse pertinente sur ce point. Dans ce contexte, le syndrome d’Asperger semble décrire une partie du spectre autistique, plutôt qu’un trouble distinct.

Il est toutefois possible que des différences ne soient pas apparues dans les études à cause de la définition inutilisable du syndrome d’Asperger dans le DSM-IV. À l’aune du DSM-IV, en effet, plusieurs des patients décrits par Hans Asperger... n’auraient pas un syndrome d’Asperger, mais un autisme ! Puisque le DSM-IV n’a pas su saisir la particularité de cette description, une option aurait été d’améliorer cette définition. La disparition annoncée du syndrome d’Asperger a un impact affectif clair dans la communauté des personnes concernées et il est possible que le nom d’Asperger reste longtemps associé à l’autisme avec langage et fonctionnement intellectuels préservés [3]. Dans l’éternel match entre les « agrégeurs » qui ont tendance à regrouper autant que possible les troubles qui se ressemblent et les « séparateurs », adeptes des classifications à ramifications multiples, les agrégeurs remportent la manche du DSM-5. La compréhension des points communs au spectre y gagne, mais il faudra trouver d’autres outils pour penser l’hétérogénéité au sein du spectre de l’autisme.

Il se pourrait par ailleurs que la population définie avec le DSM-5 soit différente de celle définie avec le DSM-IV (voir encadré).

Une classification qui identifie moins de personnes atteintes ?

La possibilité de perte de diagnostic a récemment fait l’objet d’un débat : en appliquant les critères proposés pour le DSM-5 sur plusieurs centaines de dossiers, des chercheurs de l’université de Yale ont rapporté des conséquences importantes [4] : tandis que peu d’enfants non diagnostiqués avec le DSM-IV se voyaient attribuer un diagnostic avec les nouveaux critères, seulement 60 % de ceux qui avaient un diagnostic avec le DSM-IV le conservaient.

Ainsi, le seuil diagnostic du DSM-5 semblait beaucoup plus exigeant. Les individus avec un diagnostic de trouble autistique selon le DSM-IV conservaient davantage leur diagnostic que ceux avec un diagnostic de syndrome d’Asperger ou de TEDns. Le groupe de travail du DSM-5 a aussitôt critiqué la méthode de l’étude, notamment la pertinence du groupe étudié et l’interprétation des critères, en l’absence d’outil développé pour les appliquer. Enfin, les auteurs de l’étude n’ont pas évalué les diagnostics alternatifs, en particulier pour les individus qui « perdraient » le diagnostic de TED. En effet, le DSM-5 voit notamment la naissance d’un « trouble de la communication sociale », exclusif du TSA, qui pourrait correspondre à une partie du groupe ayant actuellement un diagnostic de TED.

Il se pourrait donc que la population définie avec le DSM-5 soit différente de celle définie avec le DSM-IV.

Notons que, même si elle était confirmée, cette discontinuité ne reflèterait pas forcément la mauvaise qualité de la nouvelle approche, mais constituerait une nouvelle tendance : à l’inflation de prévalence associée à la surinclusion du DSM-IV, aux substitutions diagnostiques en faveur du TED, succéderait le mouvement inverse ? Dans un tel cas, il ne faudrait pas négliger l’impact du changement sur le système : alléger la charge sur le système en réduisant le surdiagnostic serait bénéfique, mais priver de services des individus avec des atteintes n’atteignant pas les seuils pour le diagnostic pourrait se révéler dans certains cas dramatique.

Il est probable que dans la pratique, les conséquences n’apparaîtront que progressivement : en effet, on peut supposer que l’influence de l’ancienne classification restera sensible longtemps après son remplacement, en particulier chez les cliniciens déjà expérimentés. Un changement de classification n’est ainsi complètement appliqué que par les nouveaux cliniciens qui sont formés sur les nouveaux critères et leur utilisation.

Conclusion

Une classification est une structure cognitive établie en fonction d’un but. Concernant les troubles mentaux (ou quel que soit le nom qu’on veuille donner aux situations qui conduisent à consulter un psychiatre), le but est de permettre aux psychiatres de relier au mieux des situations particulières à des populations pertinentes, en fonction de l’état des connaissances. Le DSM, classification de l’association américaine de psychiatrie, a une place majeure dans l’élaboration des connaissances actuelles en psychiatrie et est de ce fait incontournable. Nous avons tenté d’expliquer le contexte, les changements apportés et leurs conséquences dans le champ de l’autisme. Ilapparaît que la classification des maladies mentales a des implications qui vont bien au-delà du cabinet médical, en particulier sur les possibilités offertes aux personnes atteintes. Dans ce contexte, on comprend l’inquiétude des usagers à la perspective de voir les frontières entre TSA et autres troubles se déplacer. Pour beaucoup de familles et de personnes concernées, le risque est énorme. Pour répondre à cette inquiétude, les autorités doivent faire évoluer l’attribution des supports, non en fonction de l’inclusion dans un groupe diagnostique plus ou moins avantageux, mais en fonction des besoins, évalués de façon individuelle.

Références

1 | Swede SE et al. "Commentary from the DSM-5 Workgroup on Neurodevelopmental Disorders". J Am Acad Child Adolesc Psychiatry. 2012 Apr ;51(4) :347-9.
2 | "DSM-5 diagnostic criteria for autism spectrum disorder". J Am Acad Child Adolesc Psychiatry. 2012 Apr ;51(4) :368-83. Epub 2012 Mar 14.
3 | http://www.nytimes.com/2012/02/01/o...
4 | McPartland JC, Reichow B, Volkmar FR. "Sensitivity and specificity of proposed DSM-5 diagnostic criteria for autism spectrum disorder." Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry 51.4 (2012) : 368-383.

Publié dans le n° 303 de la revue


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Autisme

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) résultent d’anomalies du neurodéveloppement. Ils se manifestent par des altérations dans la capacité à établir des interactions sociales et à communiquer, ainsi que par des anomalies comportementales. Malgré la diversité des troubles et les capacités d’insertion sociale très variables de ces personnes, l’autisme est reconnu comme un handicap en France depuis 1996.
Source : Inserm

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