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Diesel et santé publique

Publié en ligne le 10 mars 2013 - Santé et médicament -

« Un groupe de travail du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) vient de classer les particules fines diesel carcinogènes certains pour l’homme (Groupe 1). L’exposition à ces particules est associée à une augmentation du risque de cancer du poumon. En 1988, le CIRC avait déjà classé ces particules comme carcinogènes probables (Groupe 2A) pour l’homme. […] En France, les particules fines diesel seraient responsables d’environ 1 000 à 1 500 nouveaux cas de cancer du poumon sur les 39 500 nouveaux cas estimés en 2011, et de 600 à 1 100 décès. »

C’est ce qu’on pouvait lire, le 13 juin 2012, sur le site de l’Institut National du Cancer [1].

À ce jour, le parc automobile français est composé d’environ 60 % de véhicules diesel et 70 % des nouvelles immatriculations concernent des voitures diesel [2, 3]. En 2010, le gazole représentait 80 % du volume de carburant consommé [4]. Cette envolée du diesel – bénéficiant déjà d’une taxation favorable par rapport à l’essence – fait suite à la mise en place, en 2008, d’un bonus-malus à l’achat, par le Grenelle de l’environnement.

Ce bonus-malus, dit « écologique », instauré pour diminuer les émissions de CO2, a encouragé l’achat de petites citadines. Certes, depuis le 1er janvier 2011, le filtre à particules est obligatoire sur les véhicules neufs mais reste majoritairement contre-productif et peu fiable pour la circulation urbaine [5, 6]. En gros : les filtres encrassés doivent régulièrement être « régénérés », ce qui pose problème en ville car cette régénération n’est effectuée qu’à partir d’une certaine température, rarement atteinte sur courtes de distances.

Retour de manivelle

« [...] des chercheurs de l’INSEE [Institut national de la statistique et des études économiques] ont montré que le bonus-malus aurait provoqué une augmentation des émissions totales de CO2 à court terme, du fait des émissions induites par la construction de véhicules neufs, et à long terme, car le bonus augmente le taux d’équipement automobile et l’usage des voitures. Sur ce dernier point, le rapport d’évaluation du Grenelle soulignait déjà que le succès du bonus-malus, couplé à la “prime à la casse”, avait eu un effet positif sur les achats de véhicules de petite taille “au détriment, au moins temporairement, des transports collectifs”.

En outre, ce dispositif repose sur le seul objectif de diminution des rejets de gaz carbonique, sans prendre en compte les émissions d’autres polluants, tels que le dioxyde d’azote, les particules fines ou les oxydes d’azote, qui sont nocifs pour la santé et dont la quantité présente dans l’air fait l’objet d’une réglementation européenne. L’absence de prise en compte de ces autres sources de pollution a conduit à octroyer le bonus écologique à des véhicules très polluants en termes d’oxyde d’azote, alors que l’attribution du bonus aurait pu être conditionnée à l’utilisation d’un filtre additivé. » Ici, une note de bas de page précise « Les filtres à particules pour les moteurs diesel sont très efficaces sur les particules (abattement d’un facteur 100 à 1 000 du nombre de particules émises), mais entraînent une augmentation significative des émissions de dioxyde d’azote. La technologie des filtres additivés permet de réduire également les émissions de dioxyde d’azote. »

En conclusion, la Cour demande, e.a., que le gouvernement s’attache désormais « à mettre en œuvre rapidement les taxes prévues par le Grenelle et à procéder à la mise en cohérence de la fiscalité des carburants avec les objectifs du Grenelle pour modifier les comportements environnementaux. Cette démarche semblerait à la Cour plus opportune que la création de nouvelles dépenses fiscales, qui sont certes efficaces, mais dont le coût pour les finances publiques est extrêmement délicat à maîtriser. ».

Refere_grenelle_environn.pdf : Impact budgétaire et fiscal du Grenelle de l’environnement – 3 novembre 2011 – du Premier président de la Cour des comptes au Premier ministre et réponse du Premier ministre le 30 décembre 2011.

NB : Les oxydes d’azote (NOx) comprennent le dioxyde d’azote (NO2) – toxique – et le monoxyde d’azote (NO) – non toxique. Mais comme le NO s’oxyde rapidement en NO2, les émissions sont indiquées globalement en équivalents-dioxyde d’azote (équivalents-NO2). Les moteurs diesel rejettent plus de NO2 que les moteurs à essence.

Si on en croit certains constructeurs, le filtre à particules additivé – breveté et recommandé (voir encadré) – serait « la » solution : grâce à un additif, les particules capturées et stockées dans le filtre pourraient être brûlées à une température moins élevée et l’efficacité du filtre serait garantie en toutes circonstances.

Des tests, menés dans les centres d’essais de ces constructeurs, semblent probants quant à l’efficacité du filtre à particules. Cependant, quelques précisions seraient nécessaires concernant les rejets pendant la phase de régénération, c’est-à-dire lorsque les particules fines et l’additif sont brûlés.

Quoi qu’il en soit, le problème du dioxyde d’azote et de son éventuel rôle de précurseur de polluants secondaires (ozone, particules secondaires…) subsiste [6, 7]…

Selon le directeur de recherche énergie et pollution de l’air de l’IFSTTAR 1, « Le filtre à particule aura au moins contribué à énormément diminuer les particules primaires 2 émises par les véhicules diesel et c’est tout à fait louable, d’autant qu’il semble avoir une très grande efficacité. Par contre, le filtre à particules n’a aucun effet sur les particules dites volatiles ou semi-volatiles qui se forment même au-delà de l’échappement du véhicule. Elles sont la conséquence de la pollution automobile. Elles continuent de se former bien après l’échappement, pendant 10-12 heures. Il est probable qu’elles vont se déposer – pour certaines, les plus lourdes – ou rester en suspension dans l’atmosphère. » [8].

S’il n’y a presque plus de particules au sortir d’un filtre à particules, les gaz d’échappement, en se refroidissant, reforment très rapidement des particules très fines, les plus toxiques, celles qui pénètrent plus facilement et plus profondément dans l’appareil respiratoire. Selon leur taille, elles seront dispersées quelques mètres derrière les véhicules – à la hauteur des prises d’air des voitures qui suivent ( !) – ou projetées beaucoup plus loin [8]. Quoi qu’en disent les constructeurs, il semblerait bien que cette technologie révolutionnaire ne soit pas suffisante…

Problématique non réglée

« Malgré la mise en œuvre de réglementations de plus en plus contraignantes sur les émissions à l’homologation des véhicules neufs, qui a conduit à la généralisation de l’installation de filtres à particules sur les véhicules à motorisation thermique Diesel, la problématique transports et composés particulaires n’est pas réglée. Plusieurs facteurs expliquent ce constat :

 l’existence d’un parc de véhicules hétéroclites en technologie, en âge et en usage,
 une connaissance imparfaite des émissions particulaires à la source notamment en ce qui concerne les particules les plus fines (particules de moins de 20 nm “nanoparticules’’),
 une connaissance très limitée pour certains types de véhicules (exemple des TQM [tricycles et quadricycles à moteur] et 2-roues motorisés),
 des effets défavorables de certaines technologies de filtration, élimination des particules (exemple du FAP additivé) sur les rejets de dioxyde d’azote (NO2).

De plus, les facteurs d’émission des particules concernent la fraction primaire de ces particules en sortie de pot d’échappement. Or, la contribution du transport routier aux niveaux de particules comprend également la formation d’espèces secondaires (fraction des particules formée à partir de gaz précurseurs) et la remise en suspension de particules au passage des véhicules. »

Source : Appel à projets R&D Cortea : « COnnaissances, Réduction à la source et Traitement des Émissions dans l’Air » – Édition 2013 – de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie)

Devant la récente menace formulée par la Commission, le gouvernement s’est empressé de produire une série de « mesures d’urgence » pour s’aligner aux normes européennes en matière de qualité de l’air. Parmi les trente-huit recommandations proposées début février 2013 par la ministre de l’Écologie, rien ne concerne la réduction du diesel, pourtant principale source d’émission de particules toxiques, et aucun calendrier n’a été fixé pour la mise en œuvre de ces mesures qui semblent n’avoir d’urgence que le nom.

En 1988, le CIRC avait déjà classé les particules fines diesel dans la catégorie 2A, c’est-à-dire « carcinogènes probables ». Mais aucun principe de précaution n’a été invoqué, aucun moratoire n’a été réclamé, l’opinion publique ne s’est pas mobilisée…

1 L’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux est un établissement public à caractère scientifique et technologique placé sous la tutelle conjointe du ministère de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement et du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

2 Les particules primaires sont les particules directement émises par les sources d’émission. Les particules secondaires se forment après émission d’un polluant précurseur, sous certaines conditions physico-chimiques.