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Regards sur la science

Qui faut-il croire ? Suite…

Publié en ligne le 30 juin 2013 - Éducation -

Plusieurs personnes se sont étonnées que ma brève du numéro dernier à propos des fausses découvertes se termine sur des interrogations et que je ne développe pas plus le « que faire ? ».

Y consacrer beaucoup d’énergie, ce n’est certes pas facile dans un monde où nous avons tous (même les retraités) de multiples activités qui nous semblent plus importantes que de réfuter le n’importe quoi qui traîne dans les gazettes ; d’autant qu’il est très difficile de faire valoir un point de vue scientifique dans une discussion qui nécessiterait le développement de longs arguments fondés sur une connaissance approfondie du sujet. L’essai n’est en général pas transformé, ainsi que le montrent quelques exemples de ce genre. J’en donnerai deux.

Le Matin des Magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier, publié en 1960, et que je mentionnais dans la précédente brève, se présente comme un récit « parfois légende et parfois exact », consacré à « des domaines de la connaissance à peine explorés » « aux frontières de la science et de la tradition ». Il ouvrit la voie au succès du « réalisme fantastique » auxquels adhérèrent de nombreux artistes (ce fut également le style de la plupart des grands écrivains sud-américains). Mais si un artiste a parfaitement le droit de faire œuvre de fantastique, un scientifique ne le peut pas. Or, le Matin des Magiciens fut pris par beaucoup de lecteurs pour un livre scientifique, d’autant que Jacques Bergier était un chimiste reconnu. L’Union Rationaliste décida de publier une réfutation : ce fut, sous le beau titre Le Crépuscule des Magiciens, un ensemble de textes réunis par Yves Galifret. La réponse fut malheureusement bien moins connue que l’original, peut-être justement parce qu’il s’agissait d’un ensemble un peu disparate, mais surtout parce que Louis Pauwels était très renommé en tant qu’écrivain et journaliste. Et naturellement aussi parce que les thèses alliant la Science au mystérieux sont toujours très prisées du public et ne nécessitent presque aucune connaissance préalable.

Le deuxième exemple est celui des manuels « d’anti-astrologie » que de nombreux astronomes ont publiés. Ils se sont donné beaucoup de mal pour montrer que l’astrologie n’est pas une science et l’ont fait très bien, mais ils n’ont convaincu que ceux qui l’étaient déjà. En effet, il ne semble pas que l’impact de l’astrologie ait diminué le moins du monde, et au contraire, on a l’impression qu’il s’étend, par exemple, à des services publics dans lesquels elle n’apparaissait pas avant. Tel cet opuscule distribué à la poste il y a quelques années et expliquant l’astrologie, ou bien ces publicités pour des voyant(e)s que l’on voit parfois sur le site de France Inter ou d’autres services publics.

Naturellement, il faut tout de même continuer ce type de travail et publier des livres ou des articles pour s’opposer à ces fausses sciences et ces fausses idées qui prolifèrent, même si c’est un sacrificede temps. Il faut, au moins dans nos milieux respectifs, sensibiliser nos collègues à la nocivité de certains écrits. C’est parfois très difficile, car ils pensent que la bataille est perdue d’avance ou plutôt qu’elle ne vaut pas la peine d’être livrée (j’ai des exemples précis de ce genre de réaction). En outre, s’il s’agit de publications par d’autres collègues, nous hésitons à « laver notre linge sale » en public. Et si nous proposons une discussion « professionnelle » avec le collègue en question, celui-ci la refuse (j’ai aussi des exemples précis).

On pourrait compter également sur le rôle de médias comme la radio et la télé, qui pourraient présenter des controverses en faisant venir dans leurs émissions des scientifiques aguerris au discours public. Malheureusement, de telles émissions sont rares, elles sont toujours trop courtes et d’ailleurs, si elles étaient plus longues, elles fatigueraient le grand public et ne seraient ni écoutées ni regardées, sauf par une petite fraction intéressée. Et elles laisseraient probablement aux autres l’impression que les deux opinions en compétition ont des statuts identiques, et finalement, la Science y perdrait.

Alors, comment lutter ? Il existe en fait un seul moyen de diminuer l’influence de ces fausses sciences, et c’est un moyen qui n’agira qu’à très long terme : l’école. Il faut renforcer non pas l’enseignement des sciences, mais celui de « l’esprit scientifique ». De façon générale, il ne faut pas donner aux enfants plus de connaissances « académiques » – ils en sont déjà saturés en France – mais leur apprendre à réfléchir, si possible d’une façon ludique et avec de nombreux exemples. C’est donc toute une réforme de l’école qui s’impose. Il faut y former les professeurs, car ce ne sont pas les master 2 avec leur ingurgitation à haute dose de connaissances qui vont pouvoir jouer ce rôle. Puis, il faut que ceux-ci transmettent cet esprit aux enfants. On ne peut donc espérer un effet qu’en deux générations, mais il n’y a aucune autre solution, et il faut commencer le plus rapidement possible ! Lors d’une entrevue que nous avons eue au Vietnam dans les années 1990 avec le général Giap, celui-ci nous avait expliqué qu’il voulait développer dès l’école les sciences fondamentales comme l’astronomie (alors qu’on avait là-bas pourtant beaucoup d’autres besoins urgents à satisfaire !), afin de contrecarrer l’augmentation des superstitions qui se développaient à grande vitesse. Inspirons-nous de ses propos...