Accueil / Regards sur la science / Procès de l’Aquila

Regards sur la science

Procès de l’Aquila

Publié en ligne le 16 juin 2013 - Expertise -

La sentence est tombée le 22/10/2012 : six années de réclusion pour homicide multiple et blessures, par imprudence. De plus, les membres de la Commission sont condamnés à l’interdiction perpétuelle d’occuper des emplois publics – ils bénéficient toutefois de circonstances atténuantes. Il faut aussi s’attendre à de lourdes sanctions financières pour les dommages et intérêts aux victimes. (Note de la rédaction : le procès en appel a finalement conduit à l’acquittement des scientifique).

Le numéro 8, Justice, du jeu de Jean Dodal (XVIIIe siècle)

On leur reproche d’avoir donné « des informations inexactes, incomplètes et contradictoires » sur le danger des secousses enregistrées dans les six mois qui précédèrent le 6 avril 2009. Le verdict, plus sévère que ce qui avait été demandé par le procureur, a été prononcé par un juge unique, soumis à une forte pression des médias et des victimes. Les avocats se pourvoiront certainement en appel. En attendant, L. Maiani 1 l’éminent physicien, président de la Commission renouvelée en décembre 2011, a présenté sa démission.

La communauté scientifique a été soulevée d’indignation. L’ONG, Union des Scientifiques Concernés 2, demande l’intervention du Président de la République italienne. L’influente Association Américaine pour l’Avancement de la Science 3 considère que des années de recherches « ont démontré qu’il n’existe pas de méthode scientifique pour la prévision des séismes, que l’on puisse appliquer de façon fiable pour avertir les habitants, d’un désastre imminent ». On peut craindre que les condamnations « ralentissent les recherches et empêchent le libre échange des idées, indispensable au progrès scientifique ». Elles risquent de plus de « décourager les scientifiques et les fonctionnaires de conseiller leurs gouvernants et même de travailler en sismologie ou dans l’évaluation du risque sismique ».

Que s’est-il effectivement passé ? Après l’essaim de secousses qui avaient effrayé la population, la Commission des Grands risques s’était réunie, le soir du 31 mars, mais elle se sépara sans prendre position sur ce qu’il fallait annoncer. Un de ses membres, le directeur adjoint de la Protection Civile, tint une conférence de presse, où il fit à la population des déclarations générales rassurantes (avec quelques prétendues explications sur le caractère bénéfique de la décharge d’énergie qui se produisait avec cet essaim), qui ne furent jamais démenties par les autres membres de la Commission. La thèse de l’accusation a été que ces paroles avaient rassuré la population, qui normalement aurait dormi hors des maisons, et l’avaient induite à rester dans les habitations où beaucoup furent ensevelis la nuit fatale. On peut estimer que finalement c’est la légèreté avec laquelle la Commission a fait ses déclarations, qui a été sanctionnée par le juge. L’uniformité de la sentence peut également surprendre.

La Commission a publié en janvier 2012 un communiqué inquiétant sur la sismicité de la zone padane 4. Et en mai, un séisme, de magnitude 6 et de faible profondeur, a ébranlé la région entre Modène et Ferrare, causé six morts, une cinquantaine de blessés et d’importants dégâts, en particulier dans le centre historique de Ferrare. Cette ville avait subi, au quinzième siècle, un séisme très important, dont on peut encore voir les traces. En juin, un nouveau communiqué très alarmiste a été publié par le gouvernement, particulièrement préoccupé par l’importance des risques mentionnés et la détérioration du climat parmi les spécialistes.

Comme pour les grands risques de toute nature (épidémies, tempêtes, risques hydrogéologiques 5...) la même question se pose : faut-il faire une prévision de catastrophe – qui risque d’être démentie par la suite et de rendre peu crédible la suivante, pourtant fondée – ou s’en abstenir – au risque de laisser la population en subir les conséquences ?

1 Directeur-général du CERN de 1999 à 2005, depuis 2008, directeur du Conseil national italien de la recherche

2 UCS – Union of Concerned Scientists.

3 AAAS – American Association for the Advancement of Science.

4 Partie continentale et septentrionale de l’Italie, recouvrant globalement la Plaine du Pô.

5 La prise en considération de ce risque est assez nouvelle. La Commission italienne évalue à 41 G € (milliards d’euros) la somme nécessaire à dépenser en 15 ans pour mettre à l’abri le territoire.

Publié dans le n° 303 de la revue


Partager cet article


L' auteur

Georges Jobert

Georges Jobert est géophysicien et professeur honoraire à l’université Pierre et Marie Curie. Il a été directeur (...)

Plus d'informations