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Raison scientifique et valeurs humaines

Publié en ligne le 11 décembre 2012
Raison scientifique et valeurs humaines
Essai sur les critères du choix objectif

Anastasios Brenner
Éditions PUF, science, histoire & société, 2011, 134 pages, 22 €

Cet ouvrage d’Anastasios Brenner part du postulat que les valeurs sur lesquelles s’est fondée la science sont : la précision, la cohérence, la simplicité, la complétude et la fécondité. On peut sûrement imaginer des nuances ou des ajustements, mais reconnaissons que ce choix fait mieux que se défendre et peut être retenu comme judicieux.

Brenner fait donc une sorte d’historique de ces notions, retraçant le parcours des différents penseurs qui ont parlé de ces sujets (riche bibliographie en fin d’ouvrage), détaillant les traductions, les évolutions, les étapes et les grandes lignes de ces cinq notions, piliers de la science.

Parmi les penseurs en question, Brenner fait une place assez large aux relativistes 1, ce qui est somme toute logique, puisqu’ils ont souvent contesté les fondements de la science. Ils s’en sont donc pris, si l’on peut dire, à ces valeurs. Le relativisme nous apparaît souvent comme une doctrine erronée plutôt qu’une pensée féconde, mais à la lecture de ce livre, il m’est revenu une idée développée par Jean Bricmont, notamment dans son article « Propos sur l’autorité scientifique », publié dans Science et pseudo-sciences 2 : les relativistes, d’après ce qu’on peut en voir dans cet ouvrage en tout cas, ne se seraient-ils pas attaqués davantage au discours de la science qu’à la science elle-même ? Sans aucun doute, les scientifiques décrivant leurs travaux les ont-ils exposés dans un langage et avec des idées marqués par leur époque, et c’est peut-être cette narration qui pouvait être remise en cause comme « relative », plus que ce qui avait été découvert ou inventé…

Parlant (jargonnant ?...) beaucoup sur le langage, Brenner montre en creux que ces joutes verbales s’arrêtent parfois au discours de la science 3. Par contre, il n’a aucun mal à nous faire admettre que ces valeurs, et surtout la façon de les comprendre et de les concevoir, ont évolué selon les époques, et que par exemple, l’exactitude (« sciences exactes ») n’est pas la précision, ou l’harmonie n’est pas la cohérence. Et même que la précision ou la simplicité d’une époque ne sont pas les mêmes qu’à une autre.

Doit-on alors devenir relativistes ? La réponse se trouve p 108 :
L’évolution des valeurs au cours du temps, l’émergence de nouvelles valeurs ne doivent pas nous conduire à croire à une remise en cause perpétuelle, à l’absence de toute justification des décisions scientifiques. Les anciennes valeurs ne disparaissent pas ; les nouvelles valeurs se superposent. […] Sans doute la science ne peut-elle s’affranchir totalement des traits de la psychologie humaine : l’apprentissage reproduit en raccourci l’histoire ; les stades antérieurs sont recouverts mais non supprimés. Nous avons affaire à une série d’emboîtements, telle des poupées russes – une rationalité stratifiée. Ainsi s’explique l’apparente stabilité des valeurs. En un sens large, la science continue à puiser dans le fonds commun de la raison humaine, faite de bon sens et d’expériences anciennes. En un sens étroit, elle renouvelle constamment ses valeurs.

Cette page est éclairante, mais elle est en quelque sorte bien seule, et j’avoue que dans l’ensemble, ce petit livre m’a paru parfois un peu long… L’auteur nous perd quelquefois, à trop vouloir étudier méticuleusement certaines notions ou certains auteurs. Des réflexions riches et documentées, certes valables, mais que je recommande surtout aux étudiants ou aux passionnés de ces sujets.

1 Le relativisme est un courant de pensée post-moderne qui prétend qu’aucune valeur ne saurait être universelle. La science serait donc une sorte de « récit occidental » du monde, équivalente aux mythes d’autres peuples.

2 Propos sur l’autorité scientifique, SPS n°290, avril 2010.

3 À noter tout de même l’existence de relativistes « intégristes » qui n’hésitent pas à remettre en question les résultats de la science eux-mêmes ! On se demande un peu la tête qu’ils font devant un avion qui décolle, mais enfin…


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Auteur de la note

Martin Brunschwig

Martin Brunschwig est membre du comité de rédaction de (...)

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