Accueil / L’autisme, un trouble de la cognition sociale ?

L’autisme, un trouble de la cognition sociale ?

Publié en ligne le 7 mai 2012 - Autisme -
par Baudouin Forgeot d’Arc - abrégé dans SPS n°300, avril 2012, version intégrale ici

L’atypicité du fonctionnement social est un aspect central de l’autisme. Comment l’explique-t-on ? Certains modèles explicatifs insistent sur le caractère spécifique des particularités cognitives. Pour d’autres, ces mécanismes ne sont qu’un des aspects de particularités cognitives qui affectent tous les domaines..

Les atypies du comportement social font partie de la définition de l’autisme : « retrait », « indifférence », « bizarrerie » sont autant de termes associés à ses descriptions. Parallèlement, l’intégrité physique et la préservation du fonctionnement dans différents domaines cognitifs ont contribué à l’idée que l’autisme reflétait une atteinte primaire et spécifique des fonctions sociales. Pourtant, les descriptions de l’autisme ont toujours laissé une place à des particularités non spécifiquement sociales : les comportements répétitifs (stéréotypies et rituels), le caractère restreint des centres d’intérêt et leur nature sensorielle, ou encore la réactivité atypique aux stimulations. Parmi les modèles psychologiques 1 scientifiques de l’autisme, certains insistent sur les processus sociaux impliqués et d’autres sur les particularités générales de fonctionnement. Nous allons discuter ces différents modèles.

Se représenter les pensées et intentions des autres

La complexité et la quantité des interactions sociales ont eu un impact majeur sur la survie et le succès reproductif de nos ancêtres. L’esprit humain hérite ainsi du modelage par l’évolution d’outils hautement performants dans ce domaine crucial. Des outils perceptifs permettent de détecter sur un visage ou dans un timbre de voix de nombreuses informations, comme l’identité ou l’émotion. Des bases conceptuelles permettent d’attribuer à autrui des pensées, des buts, des opinions, et de les relier à l’ensemble de notre propre réseau de connaissances. Des mécanismes d’attention qui captent très tôt l’intérêt des petits humains sur l’environnement social lui permettent de développer son expertise sociale ultérieure. L’autisme serait-il l’expression de la défaillance d’un de ces systèmes spécialisés ?

Ce matin, alors que ma fille entre dans la cuisine, je me dis : « Si elle savait que le chocolat avait disparu, elle ne le chercherait pas dans ce tiroir, à moins qu’elle ne veuille me faire croire à son innocence… ». Ce simple mouvement vers un tiroir a donc déclenché chez moi une cascade d’attributions d’événements mentaux, pensées et intentions, reliés par des mécanismes (elle pense ceci parce qu’elle sait cela…). L’esprit de ma fille étant invisible, on appelle « théorie de l’esprit » l’outil cognitif qui permet de supposer son existence et ses propriétés. Dans les années 80, l’idée que ce mécanisme pouvait être défaillant chez les autistes a eu une influence considérable. L’impossibilité de se représenter les pensées des autres fournissait une explication commune à des symptômes apparemment très éloignés, comme les difficultés des autistes à comprendre les intentions du langage (comme dans l’ironie), ou encore leur absence de jeu de faire-semblant. Plusieurs situations expérimentales ont en effet montré que le raisonnement des autistes sur les pensées des autres était en moyenne moins efficace. Pourtant, certains, en particulier ceux ayant le plus haut niveau de langage, réussissent ces tests, et on ne peut certainement pas dire des autistes en général qu’ils n’ont pas de théorie de l’esprit. Il reste que, même chez les adultes autistes avec un haut niveau intellectuel, le raisonnement sur des situations sociales complexes semble moins spontané et moins efficace. Parallèlement, l’activation des régions cérébrales impliquées dans ces processus est en moyenne moins importante chez les autistes que chez les non-autistes.

La perception de l’environnement social

Les interactions sociales mettent également en jeu des processus perceptifs spécialisés qui semblent fonctionner différemment chez les autistes et les non-autistes. Par exemple, chez les non-autistes, la reconnaissance des visages repose largement sur leur configuration, c’est-à-dire sur la distance relative entre les parties du visage. Les autistes sont également capables de reconnaître des visages, mais ils se basent davantage sur la forme des détails. La présentation d’un visage active les mêmes régions cérébrales chez les autistes et les non-autistes. Toutefois, alors que ces régions semblent réagir assez spécifiquement aux visages chez les non-autistes, elles réagissent aussi à d’autres objets chez les autistes. Au moins certains autistes sont également capables de reconnaître des expressions faciales. Des difficultés dans ce domaine avaient plusieurs fois été rapportées, mais une récente étude sur un groupe nombreux d’adolescents sans déficience intellectuelle ne trouve pas de différence importante entre autistes et non- autistes. Pour tester la détection de l’intentionnalité dans le mouvement, on présente des points ou des formes abstraites exécutant les mouvements de façon aléatoire, ou au contraire à la façon de personnages. La détection du mouvement intentionnel est ainsi possible chez au moins une partie des autistes. Pourtant, les régions cérébrales impliquées semblent s’activer en général moins chez les autistes lorsqu’on leur présente ces stimuli. Ainsi, les différents processus de perception sociale font apparaître des différences, mais pas de déficit qui puisse sembler profond et universel dans l’autisme. L’hétérogénéité des résultats est même le phénomène le plus constant ! Elle semble liée à la variété des tests utilisés, des personnes autistes et des possibles mécanismes cognitifs impliqués. Elle laisse aussi supposer l’existence de mécanismes de compensation.

La motivation sociale

Avez-vous vu comme les bébés, très tôt, fixent les visages ? Non seulement ils sont fascinés par leur environnement social, mais ils y trouvent aussi des indices (comme la direction du regard de leurs partenaires) pour explorer le reste du monde. La clé de l’autisme se trouverait-elle parmi ces deux aspects de l’orientation sociale ? En effet, les marques d’intérêt pour l’environnement social montrent des anomalies qui sont les signes les plus précoces de l’autisme. Les bébés futurs autistes regardent moins les yeux, davantage la bouche et la périphérie des visages. Ils fixent plus le décor et leur attention est davantage attirée par les aspects sensoriels de l’environnement (textures, couleurs, mélodies) que vers ses aspects sociaux. La direction du regard et le pointage sont deux indices forts de notre attention. Dans la vie de tous les jours, les autistes les suivent moins. Pourtant, en l’absence de déficience intellectuelle associée, les autistes savent que la direction du regard indique où une personne regarde. Lorsque nous observons un visage faire une saccade oculaire, sa direction influence notre attention. C’est le cas chez les autistes comme chez les non-autistes. De plus, face à un visage faisant une saccade oculaire, les réactions du cerveau chez les autistes et les non-autistes semblent similaires. En revanche, chez les non-autistes, une activation différente se produit selon que le regard présenté est dirigé vers quelque chose ou dans le vide. Chez les autistes, cette différence n’apparaît pas.

Au total, un panorama de la cognition sociale nous montre des différences entre autistes et non-autistes concernant le raisonnement sur les situations sociales, la perception des stimuli sociaux, l’intérêt pour les aspects sociaux de l’environnement. Le lien entre ces différentes particularités n’est pas connu, mais il est clair qu’elles existent très tôt dans le développement. Il est possible que des mécanismes de compensation se mettent en place par la suite, rendant souvent ces particularités plus difficilement détectables.

Les processus non spécifiquement sociaux

En plus de l’atypicité des interactions sociales, l’autisme est caractérisé par d’autres manifestations : des comportements répétitifs (stéréotypies et rituels), le caractère restreint des centres d’intérêt et leur nature sensorielle, ou encore la réactivité atypique aux stimulations. L’association de ces particularités sociales et non sociales est-elle fortuite ou pourrait-elle nous en dire plus sur la nature des atypies sociales de l’autisme ? Il se trouve que, si l’autisme est défini par l’association de ces traits sociaux et non sociaux, les uns et les autres montrent une certaine indépendance, à la fois dans leur intensité relative chez les personnes autistes et dans leur répartition dans l’ensemble de la population. Certains facteurs génétiques peuvent avoir un impact sur un domaine indépendamment de l’autre, tandis que dans certains cas, une seule mutation peut provoquer l’ensemble des symptômes. Au total, c’est donc une histoire de verre à moitié rempli : les traits sociaux et non sociaux dans l’autisme, s’ils ne semblent pas systématiquement associés, ne sont pas non plus totalement indépendants. Il est donc pertinent de s’interroger sur une influence des uns sur les autres, mais on doit garder en tête qu’elle ne peut valoir pour l’ensemble des situations.

Raymond Babbit, le héros du film Rain Man, se répète inlassablement les mêmes phrases dès qu’il est perturbé dans ses routines. Les comportements répétitifs des autistes, leurs difficultés à sortir d’une routine ou à faire face à l’imprévu ont une certaine ressemblance avec des comportements faisant suite aux lésions du cortex préfrontal. On appelle « fonctions exécutives » un ensemble de fonctions du cortex préfrontal qui permettent les comportements non routiniers : organiser une série d’actions (planification), inhiber les comportements automatiques pour faire la place aux plus réfléchis (inhibition), modifier une séquence d’actions en fonction de l’évolution du contexte (flexibilité), maintenir à l’esprit en même temps les différentes informations utiles à la décision (mémoire de travail)… Les situations expérimentales ont montré un profil hétérogène dans l’autisme, confirmant le manque de flexibilité et la faiblesse de la mémoire de travail.

Il n’est toutefois pas clair que ce profil concerne l’ensemble des autistes ni qu’il soit spécifique et puisse par exemple distinguer l’autisme de l’hyperactivité (TDAH), deux troubles qui sont pourtant très différents. Pourtant, les processus en jeu semblent différents chez les autistes et les non-autistes : certaines régions du cerveau sont moins sollicitées chez les autistes lors de la résolution de ces tâches tandis que d’autres le sont plus, même lorsque les performances sont identiques. Ainsi, il semble plus pertinent de considérer que le fonctionnement exécutif est différent plutôt que déficitaire dans l’autisme.

La perception est constituée par les premiers niveaux de sélection, d’organisation, de représentation de l’information entrante. Plusieurs aspects de la perception distinguent les autistes des non-autistes : une meilleure discrimination auditive (tonalités) et visuelle (luminance, symétrie, hautes fréquences spatiales) ; des capacités plus élevées de détection et manipulations des régularités ; une plus grande autonomie des processus perceptifs par rapport aux autres processus cognitifs. Et enfin, une tendance à focaliser leur perception sur de plus petites échelles. Il est possible que ces particularités de la perception aient une influence sur l’attention portée à l’environnement social et dès lors, tandis que les non-autistes deviennent des experts de leur environnement social, les autistes deviennent des experts dans d’autres aspects de l’environnement. Enfin, la perception orientée vers le détail peut nuire à une compréhension sociale des situations, qui nécessite souvent d’intégrer plusieurs niveaux d’analyse.

Un tableau de l’autisme plus contrasté qu’un déficit isolé

Le tableau de l’autisme qui émerge de la recherche en psychologie est donc très éloigné de l’idée d’un déficit spécifique et isolé de tel ou tel aspect de la cognition sociale. L’autisme semble mieux décrit par une association de traits définissant un profil particulier dans ses caractéristiques sociales et non sociales. La prépondérance souvent accordée à l’aspect social peut être liée à l’impact adaptatif majeur de cet aspect du fonctionnement et à son importance aux yeux des non-autistes, davantage qu’à la spécificité des mécanismes impliqués.

Enfin, le profil autistique associe non seulement des faiblesses, mais aussi des forces qu’il faut comprendre pour les associer au développement des personnes autistes.

Références

1 | Forgeot d’Arc B. et Mottron L. Social Cognition in autism (2012). In Developmental Social Neuroscience and Childhood Brain insult (Anderson & Beauchamps, Eds), Guilford Publications, New York.
2 | Jones, C. R., Pickles, A., Falcaro, M., Marsden, A. J., Happe, F., Scott, S. K., et al. (2011). A multimodal approach to emotion recognition ability in autism spectrum disorders. J Child Psychol Psychiatry, 52(3), 275-285.
3 | Pelphrey, K. A., Morris, J. P., & McCarthy, G. (2005). Neural basis of eye gaze processing deficits in autism. Brain, 128(Pt 5), 1038-1048.
4 | Vlamings, P. H., Jonkman, L. M., van Daalen, E., van der Gaag, R. J., & Kemner, C. (2010). Basic abnormalities in visual processing affect face processing at an early age in autism spectrum disorder. Biol Psychiatry, 68(12), 1107-1113.

1 La notion de modèle psychologique, ou cognitif, ne préjuge absolument pas de la causalité entre le biologique et le psychologique dans l’autisme. Il s’agit d’un niveau de description qui s’intéresse à la fonction traitement de l’information. Concernant l’autisme, étant donné l’importance des facteurs biologiques, la plausibilité biologique des modèles cognitifs est toutefois une question essentielle.

Publié dans le n° 300 de la revue


Partager cet article


Autisme

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) résultent d’anomalies du neurodéveloppement. Ils se manifestent par des altérations dans la capacité à établir des interactions sociales et à communiquer, ainsi que par des anomalies comportementales. Malgré la diversité des troubles et les capacités d’insertion sociale très variables de ces personnes, l’autisme est reconnu comme un handicap en France depuis 1996.
Source : Inserm

Dossier Autisme

Le 6 novembre 2016