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Abattage des animaux : un débat sociétal incohérent

Publié en ligne le 11 mars 2012 - Agriculture -

La presse a diffusé récemment l’information que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) venait d’être saisie par le Ministère en charge de l’Agriculture pour conduire une expertise sur les méthodes d’abattage des animaux, dont les résultats seront communiqués dans le courant de 2012. L’information précise le point sensible de cette question, à savoir que si « la loi impose l’abattage après anesthésie », il existe « une dérogation pour les groupes religieux ».

Cette saisine survient alors que le problème est, depuis longtemps, l’objet de débats entre les autorités administratives, les professionnels, les communautés religieuses et de nombreuses associations de défense des animaux. Les objectifs de ces dernières peuvent être assez divers : pour les unes, il s’agit de veiller à la bientraitance des animaux à l’abattoir, pour d’autres, de militer pour la suppression de la consommation de viande, voire même de tous les produits d’origine animale.

XVe siècle. Sacrifices dans le rituel juif.

La reconnaissance officielle par les autorités européennes, au titre du libre exercice des religions, que les abattages destinés aux filières Casher et Halal doivent pouvoir se faire sans étourdissement préalable des animaux, est une disposition difficile à contourner, et de ce fait les protecteurs des animaux ont un motif réel de mobilisation, car rien ne prouve qu’en l’absence d’étourdissement les animaux ne souffrent pas lorsqu’ils sont mis à mort.

Les bilans de production en France des différentes espèces animales destinées à la consommation montrent, pour certaines d’entre-elles, que leurs effectifs sont très nombreux, par exemple près de 800 millions par an pour les poulets de chair. La proportion « dispensée d’étourdissement pour motif religieux » a été estimée à 20 % 1, ce qui correspond à un effectif de 160 millions d’animaux.

Dans un tout autre domaine, celui de la recherche biologique et médicale, la France utilise chaque année un peu plus de 2 millions d’animaux, en grande majorité des rongeurs, rats et souris. Bien que les pratiques soient hautement contrôlées et que, pour leur éviter toute souffrance, la bientraitance des animaux soit assurée par les chercheurs, les comités d’éthique et l’administration, cette utilisation soulève de violentes réactions et la formulation d’oppositions à l’expérimentation sur l’animal pouvant aller jusqu’à des exactions.

Globalement, la société française est opposée à cette démarche même si, par ailleurs, elle ne se prive pas de montrer ses exigences en matière de progrès médical.

Ainsi, d’un côté on continue à égorger des effectifs très nombreux d’animaux sans les avoir étourdis pour des motifs religieux et, d’un autre côté, on s’oppose à l’utilisation au laboratoire d’effectifs plus modestes, dans des conditions leur assurant une bientraitance maximale, dans l’objectif peu contestable de faire progresser la médecine.

La société aurait-elle perdu de vue que la défense de la santé de l’Homme mérite au moins autant que le respect des religions ? Les positions actuelles sont vraiment la conséquence de ce que la société a plus de considération pour les croyances que pour la science !

Publié dans le n° 299 de la revue


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L' auteur

Henri Brugère

Henri Brugère est vétérinaire, Professeur émérite à l’École Nationale Vétérinaire de Maisons-Alfort et président (...)

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