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Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête

Publié en ligne le 25 septembre 2011
Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête
15 grands scientifiques géographes nous rassurent sur notre avenir

Sylvie Brunel et Jean-Robert Pitte (dir.)
JC Lattès, 2010, 352 pages, 19 €

Commençons par une remarque contextuelle avant d’en venir au fond de la chose : sous-titré « 15 grands scientifiques géographes nous rassurent sur notre avenir », cet ouvrage issu d’un colloque tenu à la Société de géographie en septembre 2010 souffre d’emblée de deux tares pouvant nuire à son image, voire à sa crédibilité :

la formule de sous-titre évoquée ci-dessus, construite autour de la notion étrange de « grands scientifiques », si elle peut apparaître comme « vendeuse » aux yeux de l’éditeur, n’en a pas moins des aspects d’argument d’autorité tout à fait malvenus.

en attribuant son Grand Prix 2010 à un ouvrage ne relevant en rien de la géographie et souffrant de nombreuses erreurs – celui de Claude Allègre sur le climat – la Société de Géographie a plutôt discrédité son entreprise, lui donnant des airs de croisade idéologique plutôt que de mise au point scientifique.

Voilà qui est bien dommage parce que la géographie, en tant que discipline au croisement des sciences de la société et de celles de la nature, est effectivement particulièrement bien placée pour éclairer l’interface science-techniques-sociétés en amenant un peu d’apport scientifique là où généralement pèse avant tout l’idéologie.

L’idéologie dénoncée…

D’idéologie, il en est longuement question dans cet ouvrage, à travers la dénonciation de celle de l’écolo-catastrophisme auquel ce colloque s’efforçait de répondre. L’ironie à propos des « prêcheurs d’apocalypse » 1 contemporains, par le biais du rappel historique, est un jeu savoureux auquel plusieurs contributeurs se livrent avec efficacité. Une cible récurrente en est Paul Ehrlich, le père de la « Bombe P » – comme « population » –, qui dans les années 1960 prévoyait qu’entre 1980 et 1989 près de 4 milliards d’hommes dont 65 millions d’américains périraient dans une grande hécatombe provoquée par la supposée « surpopulation » ! Le même prophétisait en 1968 : « D’ici à 1985, l’humanité entrera dans une ère de pénurie des ressources et de pauvreté croissante ». Plouf ! Dans une intéressante contribution à propos des forêts (et de l’imaginaire largement sexuel qui leur est attaché, fait de virginité et de naturalité), Paul Arnould revient notamment sur l’épisode des « pluies acides », « merveilleux cas d’école illustrant les dérives de la sphère scientifico-médiatique ». Est ainsi cité un article de 1983 de Georg Reichelt à propos des forêts allemandes de conifères : « Il faut le dire clairement, si, dans cinq ans, on ne prend pas des mesures suffisantes en matière de réduction de la pollution, la plus grande partie des forêts résineuses et probablement pas seulement elle sera morte dans l’ensemble de la zone d’étude  » (p. 165). Yvette Veyret, spécialiste reconnue de la question des risques, s’en prend pour sa part au renouveau d’une vision rousseauiste et romantique d’une nature « “en équilibre”, que les sociétés humaines menaceraient » : « Cette vision, largement urbaine, est partagée par les membres citadins aisés du Club alpin français ou du Touring club, qui la développaient déjà dès la fin du XIXe siècle ». Même volonté de mise en perspective dans l’exposé de Georges Rossi, qui entreprend de dénoncer la « pensée unique » sur la question de la biodiversité : « Lors de la colonisation, les occidentaux furent tellement persuadés de découvrir un monde encore vierge qu’ils ont oublié de considérer que ces milieux n’avaient pas commencé à exister avec leur arrivée. La biodiversité, que l’Occident a considérée, le jour où il l’a découverte, comme “naturelle”, ne représentait qu’un moment particulier d’une longue histoire des rapports interactifs entre des écosystèmes et des sociétés. Au lieu de replacer les observations dans une perspective historique de temps long, on se réfère à ce moment singulier comme si il représentait un état idéal  » (p. 150).

…mais aussi employée

Mais malheureusement, ou inévitablement, l’idéologie affleure aussi du côté des contributeurs eux-mêmes, qui s’en tiennent plus ou moins à un exposé strictement scientifique selon les moments. Par exemple, dans sa contribution sur la montée des océans, Alain Miossec rappelle certes un principe qui est au cœur du refus du fatalisme dont l’ouvrage se veut le fer de lance : « la nature propose, l’homme dispose » (p. 90). Mais c’est pour, quelques pages plus loin, rejeter « la vision utopique selon laquelle l’égalité entre les hommes suppose l’égale répartition des richesses  ». L’homme dispose, donc... mais dans des limites prédéfinies par un cadre idéologique plutôt que par les contraintes naturelles ? Y gagne-t-il vraiment au change ?

Ne pas globaliser

L’apport de la géographie est sans doute, face au discours de crise « globale » mis en avant par les écologistes, d’obliger à penser les choses selon les lieux et les échelles. C’est ce qu’affirme par exemple Martine Tabeaud dans sa contribution sur le réchauffement climatique, très technique et d’orientation globalement « climato-sceptique » : « Pour les géographes, proches du terrain et tous nourris d’Histoire, les modélisateurs fétichisent les chiffres et les algorithmes. La planète n’a pas qu’un climat, une température ne définit pas à elle seule un climat et une société, aujourd’hui comme hier, n’est pas seulement déterminée par son climat... bien heureusement ! » (p. 84). C’est ce que résume l’exposé inaugural d’Yvette Veyret, qui donne le « la » de ce qui suit : « Peut-on parler de crise mondialisée de la forêt ? Ce serait oublier qu’à côté des espaces soumis à une très importante déforestation (Indonésie, certains secteurs d’Amazonie ou d’Afrique...) d’autres, en Europe notamment, enregistrent une avancée considérable de leur forêt. La crise de l’eau ne peut être enregistrée en termes globaux. Si plus d’un milliard d’hommes souffre d’insuffisance de l’eau dans certains secteurs de la planète, c’est certes en raison d’une ressource naturellement réduite ou trop sollicitée (Californie, Sahel...), mais le plus souvent le manque d’eau s’explique par le non-raccordement des populations pour des raisons politiques et économiques (comme par exemple la ville de Brazzaville).

Que dire alors de la crise climatique ? Le réchauffement est largement accepté, la température de la planète a augmenté de 0,74 % en un siècle, mais les conséquences seront-elles aussi dramatiques [que ce que l’on entend le plus souvent] ? Certainement pas, l’ensemble des continents ne subira pas les mêmes effets du réchauffement, localement si certains secteurs souffrent d’effets négatifs, d’autres enregistreront aussi des conséquences positives » (p. 37).

Un ouvrage inégal

Au total, c’est peut-être toutefois la déception qui l’emporte, du fait du caractère extrêmement inégal de l’ensemble des textes proposés, de l’absence complète de documents et notamment de cartes, ce qui est très surprenant dans un ouvrage revendiquant aussi fortement le patronage de la discipline « géographie ». Ma préférence ira aux contributions les plus factuelles et documentées, comme celle Loïc Fauchon, président du Conseil Mondial de l’eau, celle de Christian Pierret sur l’énergie ou celle de Sylvie Brunel – qui propose ici une sorte de résumé de son récent Nourrir le monde 2. On restera plus sceptique face à des contributions généralistes et conceptuelles laissant plus de place à l’idéologie ; et l’on sera même agacé du caractère un peu « verbeux » des contributions issues de la « géographie culturelle », comme la conclusion de Jean-Robert Pitte, dont on ne voit pas très bien en quoi elle a un lien quelconque avec la géographie telle que pratiquée par de « grands scientifiques ». Dans le même registre, mais à l’autre bord de l’échiquier politique, on restera pantois face à la contribution sur l’alimentation proposée par Gilles Fumey 3, dont on se demande si elle n’a pas été commandée pour illustrer ce que l’ouvrage s’efforce pourtant de dénoncer ! Ce texte aurait quasiment pu être écrit par José Bové, avec son éloge du bio et du dernier film de Coline Serreau, ses évocations du « maigre bilan sanitaire d’une agriculture industrielle  », d’une « nourriture industrielle sans âme  » ou encore cette flambée cocardière de patriotisme culinaire : « Pire, certaines entreprises mondialisées ont tenté de nous convertir à une forme américaine de manger rapide alors que nos fromages, nos charcuteries, nos pains, nos vins et nos pâtisseries pourvoyaient depuis des siècles à ces besoins d’un moment » (p. 242). On ne sait pas très bien à quelle communauté constituée se réfère ce « nos » étrangement partial et on se prend à se demander si l’auteur souhaite qu’un kebab ou qu’un Big-Mac impur abreuve nos sillons ?

Bref, cet ouvrage destiné au grand public ne rend qu’imparfaitement compte des travaux d’une discipline par nature utile à une réflexion au croisement des sciences de la nature et de celles de la société. Certaines outrances polémiques masqueront malheureusement les apports d’une réflexion en fait plus nuancée, comme en témoigne les réflexions de Loïc Fauchon, qui appelle à « augmenter la productivité de l’eau » et interroge aussi les modes de consommation, puisqu’il faut 5 à 10 fois plus d’eau pour produire un kilo de viande plutôt qu’un kilo de blé. « Nous sommes entrés dans un monde de ressources rares. Et ces ressources devront, à l’échelle de la planète, être protégées et économisées. Nos habitudes, nos comportements, vont devoir changer rapidement et significativement. (…) Le temps de l’eau facile est révolu » (p. 128)

1 Jean de Kervasdoué, Les prêcheurs de l’apocalypse, Plon, 2007.

2 Sylvie Brunel, Nourrir le monde. Vaincre la faim, Larousse, 2009.

3 Déjà auteur d’une Géopolitique de l’alimentation pleine de clichés de ce genre.