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Le 9/11 Truth Movement, entre politique et science

Publié en ligne le 21 août 2011 - Attentats du 11 septembre -

Le 9/11 Truth Movement est né à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et a commencé à avoir une certaine audience aux États-Unis à partir de 2004. Il rassemble des individus et des collectifs assez variés. On y trouve aussi bien des victimes, des proches de victimes ou tout simplement des citoyens intéressés par sa démarche. Un point commun de ses participants (partisans, adhérents, sympathisants) se situe au niveau d’une contestation radicale de la politique de l’administration de George W. Bush, et accessoirement du Parti Républicain. Cette opposition a redoublé de virulence au moment où une guerre avec l’Irak devenait l’objectif prioritaire de cette administration. Au niveau international, les questions géostratégiques, énergétiques (axées prioritairement sur le pétrole) et celles liées au terrorisme étaient au centre des confrontations entre les opposants et les partisans de cette action militaire. Quand en février 2003, en pleine assemblée de l’ONU, Colin Powell agite un flacon de poudre supposée être de l’anthrax, parle d’armes chimiques et biologiques, du développement potentiel d’armes nucléaires, de liens entre Saddam Hussein et al-Qaida, le rejet et la défiance envers cette administration sont à leur paroxysme chez ses adversaires politiques. Une thèse prend alors de plus en plus d’importance dans le camp des anti-Bush : pourquoi n’en serait-il pas de même des attentats du 11 septembre ? La théorie de l’inside job (complot interne), où s’est distingué Thierry Meyssan en 2002, commence à faire de plus en plus d’adeptes et le 9/11 Truth Movement verra affluer et se regrouper progressivement dans ses rangs une opposition hétéroclite de plus en plus affirmée.

Science ou politique ?

Alors, politique ou science ? Le 9/11 Truth Movement eut d’abord des objectifs plus politiques que scientifiques. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’apparaîtront des associations affichant un critère scientifique dans leur démarche, ceci afin de donner un gage de crédibilité et de légitimité à leurs affirmations liées aux causes et aux déroulements des attentats 1. Si des pétitions citoyennes et des actions de groupes de pression peuvent influer les choix politiques, l’argumentum ad populum n’a aucune validité scientifique.

La thèse du 9/11 Truth Movement

Les attentats du 11 septembre sont, pour le 9/11 Truth Movement, la plus grande escroquerie politico-militaro furtive des temps modernes. Il soutient que ce qui s’est passé le 11 septembre 2001 est une minutieuse et vaste opération « para-politique », pour reprendre l’expression de Peter D. Scott, orchestrée par des services secrets américains et étrangers. Ces services auraient organisé ou permis « l’attentat » afin de manipuler l’opinion publique, de justifier et faciliter l’instauration d’une société sécuritaire liberticide (surveillance, contrôle, etc.) et faire accepter les projets impérialistes de l’administration Bush, au nom de la lutte contre le terrorisme. Le 9/11 Truth Movement a identifié, dans « l’effroyable imposture » (pour reprendre le terme du livre de Thierry Meyssan) du « mythe du 11 septembre », la réalisation d’un « coup d’état » (Webster G. Tarpley) ourdi par des conjurés « profiteurs » (David R. Griffin) qui, loin d’être les victimes déclarées, sont en réalité les « véritables instigateurs du terrorisme » (Gerhard Wisnewski).

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Au complot terroriste d’al-Qaida répond un complot intérieur. Pour les truthers, l’effondrement des tours du World Trade Center n’est pas dû au seul crash des avions et aux incendies qui ont suivi. Le 9/11 Truth Movement avance l’idée que ces tours ont été techniquement préparées pour ces attentats. Un plan discret de démolition contrôlée et de prédécoupe, sur les 110 étages de la tour, aurait été mis en place, à l’aide d’explosifs et d’une substance nommée thermite. Pour la tour du WTC7, l’effondrement ne serait pas dû à la seule réception de débris des tours ou d’un incendie interne. C’est là aussi le fait d’une opération d’affaiblissement du bâtiment préalablement préparée et d’une démolition contrôlée qui, le jour même des attentats, a fait écrouler les 47 étages en « chute libre ». Concernant le Pentagone, il y a peu de chance, selon le 9/11 Truth Movement, qu’un avion civil s’y soit écrasé. L’explication la plus vraisemblable serait le fait, soit d’un « missile » non encore identifié, soit d’un avion militaire spécialement préparé à cette manœuvre. Ce serait aussi probablement un avion militaire qui aurait abattu le Boeing 757-200, quatrième avion détourné qui s’est écrasé en rase campagne. L’argument du 9/11 Truth Movement employé le plus souvent est « au vu de la taille du trou créé, l’objet qui a frappé le Pentagone n’était pas le Boeing 757-223, ce ne peut être qu’un missile (ou variante). Si tu ne me crois pas, eh bien explique-moi ce que c’était ».

Cette mise en scène machiavélique demanderait, pour camoufler cet homicide, une série de complicités et de corruptions quasi-infinies, vu l’ampleur du projet, sans craindre une seule fuite. Il reste quand même à verser au dossier accusatoire les preuves de ces préparatifs complexes et très bien minutés, sans accroc ni impondérable. Et si l’on n’a toujours pas de preuve de cette machination, n’est-ce pas la preuve de la puissance du complot que seuls les « Truth seekers » savent dévoiler et porter au grand jour sur la place publique en toute liberté ? Un autre exemple d’erreur de raisonnement logique (argumentum ad ignorantiam) est ici utilisé : « étant donné que personne n’a été capable de prouver que ce complot n’existe pas, il doit bien exister » ou « je crois en ce complot, et si tu n’y crois pas, alors prouve-moi qu’il n’existe pas ».

La revendication d’une démarche scientifique rigoureuse

Les associations liées au 9/11 Truth Movement ont dans leur rang toutes sortes de professions, dont des scientifiques, des ingénieurs, des architectes, etc. Mais les mots « scientifique », « ingénieur », « architecte » sont bien vagues et généraux. Ils peuvent désigner tout autant un physicien nucléaire, qu’un ingénieur commercial ou un architecte d’intérieur. Or, pour ce qui est des attentats du 11 septembre, ils ne sont pas forcément les mieux placés pour expertiser une structure de bâtiment, par exemple. En France, les quelques experts militants les plus visibles dans la sphère 9/11 Truth Movement sont Frédéric Henry-Couannier (physicien des particules), André Rousseau (géophysicien), Jean-Pierre Petit (astrophysicien), Jean-Luc Guilmot (ingénieur agronome). Ces associations mettent aussi en avant une minorité de scientifiques qui, à côté de leur domaine de compétence reconnu, ont des pratiques ou des démonstrations publiques et médiatiques assez surprenantes : Richard Gage, architecte, pense que l’on peut modéliser l’effondrement d’un immeuble avec deux cartons 2 ; Steven Jones, physicien, prétend avoir démontré le passage post-mortem de Jésus chez les Mayas 3, ou encore que les États-Unis ont pu provoquer le tremblement de terre d’Haïti 4 ; Judith Wood, physicienne, pense que les tours du WTC ont été détruites par des rayons depuis l’espace 5 ; etc. Un cas tout aussi marginal, mis sur le devant de la scène par le 9/11 Truth Movement pour sa remise en cause de la version portant sur le Pentagone, est celui d’Albert Stubblebine 6. Cet ancien chef du commandement des services de renseignement et de sécurité était en charge d’une cellule « paranormal » où il tentait de faire valider expérimentalement la traversée de murs par le simple pouvoir de la pensée, ou la possibilité de tuer des chèvres par l’imposition du regard. L’histoire ne dit pas s’il a tenté un jour de faire traverser les murs du Pentagone par des chèvres.

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Enfin, toujours associés au 9/11 Truth Movement, on trouve des scientifiques plus sérieux, dans leur esprit et dans leur démarche, qui ne sont pas satisfaits des conclusions du rapport final de la commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis. Ils demandent une réouverture juridique du dossier sur la journée du 11 septembre, avec la nomination de nouveaux experts (lesquels ?) par une structure encore indéterminée à ce jour. Cette démarche nécessiterait, d’un point de vue scientifique, la présence d’un argument de poids : il faudrait que ces auteurs réussissent à faire publier et valider leurs argumentaires et leurs démonstrations alternatives dans des revues spécialisées, à comité de lecture. Or, à ce jour, à part un article contesté, biaisé et non reproductible de Steven Jones 7, le nombre de travaux significatifs et de publications validées à ce niveau scientifique reste égal à zéro. Les auteurs du 9/11 Truth Movement n’ont pas démontré leurs thèses avec suffisamment d’arguments solides pour susciter une controverse scientifique internationale et une remise en cause globale des conclusions actuelles.

Finalement, pour le 9/11 Truth Movement, ces échecs n’ont que peu d’importance en soi. Il n’a pas eu besoin de caution scientifique à ses débuts et il peut très bien vivre sans. Les impasses scientifiques ne l’empêcheront pas de continuer son action, car rappelons-le, ce n’est pas un regroupement à visée scientifique, mais une structure de combat politique ayant deux finalités : montrer l’incompétence et l’hyper-pouvoir organisateur ou complice de l’administration Bush dans les attentats du 11 septembre.

Les scientifiques qui contredisent les thèses du 9/11 Truth Movement sont associés, dans le meilleur des cas, à la figure du savant ignorant, crédule, manipulé, croyant et irrationnel, ou dans le pire des cas, à celui du propagandiste ou du savant prostitué à la solde de la « pensée officielle » qui désinforme sciemment les citoyens. Pour être considéré comme un (vrai) scientifique respectable et honnête, il est nécessaire d’être en accord avec les thèses du 9/11 Truth Movement. L’argumentaire et les conclusions doivent coller impérativement avec les bornes suivantes : connaissance préalable (administration Bush), participation intérieure (services secrets), démolition contrôlée (WTC), engin militaire (Pentagone), destruction volontaire (vol 93). Toute donnée différente ou défavorable sera considérée comme suspecte, infondée ou fausse. La fraction dure du 9/11 Truth Movement ne cherche pas à remettre en question ces données considérées comme acquises, mais à confirmer ce qu’ils savent déjà. Affirmer que l’on doute, que l’on est sceptique tout en ayant une grille de lecture déjà affirmée, poser comme vrai et acquis au départ ce que l’on est supposé démontrer, tient plus de la stratégie politique que scientifique 8. Dans nombre de cas, les controverses débordent largement du domaine scientifique pour laisser une large part aux domaines du renseignement ou de la (géo)politique.

Les contradicteurs du 9/11 Truth Movement ne seraient-ils que des néo-conservateurs ?

Les contradicteurs sont aussi divers que les militants et les sympathisants du 9/11 Truth Movement. Au niveau politique, de la même manière que tous les militants du 9/11 Truth Movement ne sont pas des adeptes d’une explication des attentats par l’entremise d’un montage américano-sioniste ou d’un complot organisé par une quelconque société « ésotérique/occultiste », tous leurs contradicteurs ne sont pas des adorateurs de George W. Bush ou des soutiens aux idéologies néo-conservatrices.

C’est le cas d’Alexander Cockburn, présenté en 2006 par Le Monde Diplomatique comme une « figure marquante de la gauche radicale aux États-Unis », qui a publié un article très critique intitulé « Scepticisme ou occultisme ? Le complot du 11-Septembre n’aura pas lieu » 9. C’est également le cas du sociologue Philippe Corcuff, qui se définit comme un militant anticapitaliste, anti-impérialiste et altermondialiste (militant au syndicat SUD Éducation, dans l’association ATTAC et dans le parti NPA), qui a invité Jérôme Quirant le 11 février 2010 à l’Institut d’études politiques de Lyon pour y donner une conférence intitulée « 11 septembre 2001 : conclusions scientifiques et théories du complot ». Pour ma part, j’ai publié deux textes sur le sujet, dont un dans Le Monde Libertaire 10. Pour ces quelques exemples, les réactions de la communauté du 9/11 Truth Movement ont été immédiates : après l’article d’Alexander Cockburn, Le Monde Diplomatique a reçu une avalanche de lettres de protestation, et Alexander Cockburn fut traité par la suite « d’idiot utile de la CIA ». Pour mémoire, l’édition norvégienne du Monde Diplomatique a publié un texte totalement différent du journaliste Kim Bredesen intitulé « Was 9/11 an inside job ? » 11 sans subir, à ma connaissance, la même réaction d’indignation. Jérôme Quirant, qui a été chahuté dans l’amphithéâtre par des membres de ReOpen 12 lors de sa conférence à Lyon, est régulièrement mis en cause sur ses compétences scientifiques, quand ce ne sont pas des attaques ad hominem. À la suite de mes deux textes, des commentaires sur des forums français liés au 9/11 Truth Movement ont lancé une rumeur selon laquelle j’étais un néo-conservateur déguisé qui aurait fait de l’entrisme 13.

Gageons que ce dossier recevra une qualification aussi distinguée.

La sociologie relativiste au secours des thèses conspirationnistes

Pour les sociologues relativistes, la science serait un point de vue sur le monde parmi d’autres, sans qualité supérieure. En science comme ailleurs, la vérité n’existerait pas, et les termes de « vrai », « faux », « rationnel » ne seraient que de simples expressions qui seraient utilisées par une communauté pour habiller ses pensées, ses points de vue. La distinction entre science et pseudo-science serait purement sociologique et aucun discours ne pourrait réellement prétendre à plus d’objectivité. Interrogé sur les déclarations de l’humoriste Bigard reprenant les thèses conspirationnistes à propos des attentats du 11 septembre, le sociologue Pierre Lagrange illustre ce point de vue et justifie l’existence de plusieurs vérités, celle de Bigard et des « négationnistes du 11 septembre », au même titre que la thèse dite officielle. « La vérité n’est pas unique mais plurielle » affirme Pierre Lagrange, ajoutant : « qui peut dire ce qui sépare la réalité de points de vue qui seraient faux ? » Et la réponse est sans ambiguïté : si on sait que tout n’est pas pareil, « on ne peut pas affirmer savoir de façon catégorique qui dit le vrai et qui dit le faux ».

Ce qui importerait, ce serait la méthode apparente et la bonne foi des interlocuteurs : « le discours d’un Bigard n’est pas différent de la pensée scientifique, dans le sens où c’est un travail (même sommaire) sur la preuve : on accumule des indices avec lesquels on construit un scénario de la réalité » précise ainsi Pierre Lagrange1, ajoutant que rien ne permet d’affirmer que cette méthode conduise à une quelconque vérité, en science ou ailleurs : « le scientifique qui travaille pourra, à partir de raisonnements identiques, tomber juste ou tomber faux ». Le critère ultime de la correspondance avec la réalité, avec la nature, n’est jamais mis en avant, il est tout simplement, pour les sociologues relativistes, non pertinent. La nature, les faits et la réalité ne sont que des leurres.

J-P. K. (article complet publié dans SPS n°289, et consultable sur notre site Internet)

1 « Complot » du 11-Septembre : « On aime tous se rassurer avec un adversaire visible » Libération, 11 septembre 2009.

1 On peut citer Scholars for 9/11 Truth and Justice (2006), qui s’intitulait en 2005 Scholars for 9/11 Truth, Architects & Engineers for 9/11 Truth (2006), Scientists for 9/11 Truth (2010), Collectif Scientifique Francophone pour la Vérité sur le 11 Septembre (2010). Enfin, se sont liées à ce mouvement des associations à caractère corporatiste ou confessionnel : Pilots for 9/11 Truth, Fire Fighters For 9-11 Truth, Medical Professionals for 9/11 Truth, Political Leaders for 9/11 Truth, Intelligence Officers for 9/11 Truth, U.S. Military Officers for 9/11 Truth, Lawyers for 9/11 Truth, Journalists & Other Media Professionals for 9/11 Truth, Artist for 9/11 Truth, Religious Leaders for 9/11 Truth, Muslim Jewish Christian Alliance for 9/11 Truth, etc.

6 Qui eut son heure de célébrité : http://www.themenwhostareatgoatsmovie.com/#home

7 Cf. l’article « La chimie à la rescousse » dans ce même numéro.

8 Pétition de principe : « Il y a eu démolition contrôlée parce qu’on ne peut nier que l’effondrement du WTC7 ressemble à une démolition contrôlée » ; variante en soutenant une conséquence : « Si on effectue une démolition contrôlée, alors l’effondrement ressemble à une “chute libre” verticale. Or, nous avons remarqué une ressemblance de “chute libre” verticale, donc on a effectué une démolition contrôlée ».

10 Valéry Rasplus, « La science victime de l’hypercriticisme », Le Monde Libertaire, 9/09/2010.

12 http://video.sciencespo-lyon.fr/player/player.php?id=11&id_sequence=11]

13 La rédaction du journal Le Monde Libertaire indiquait, de sa propre initiative, à la fois en couverture « 11 septembre, les tours ont bel et bien existé » et en sommaire « La fosse “sceptique” des complotistes ». Du coup Le Monde Libertaire a eu droit à un cours sur l’anarchisme de la part du 9/11 Truth Movement. Par la suite, le site Conspiracy Watch (Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot) à titré en Une « 11 septembre. Théorie du complot : les anars sauvent l’honneur » (https://www.conspiracywatch.info/th...).