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Changement climatique

La science, la politique, et l’honneur de l’Académie

Publié en ligne le 28 juin 2011 - Climat -

Tout au long de son livre « l’imposture climatique », Claude Allègre se livrait, comme nous l’avons écrit, à « un réquisitoire impitoyable et d’une extraordinaire violence verbale non seulement contre les porte-paroles nommément désignés de la politique qu’il réprouve mais contre la communauté de la climatologie scientifique dans son ensemble, mettant en cause son intégrité » 1. La communauté de la climatologie scientifique française s’indignait et, sous l’impulsion de la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, coordinating lead author du chapitre 5 du GR1 du GIEC, demandait l’arbitrage de la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Valérie Pécresse confiait alors à l’Académie des Sciences le soin d’organiser « un débat scientifique approfondi pour permettre la confrontation sereine des points de vue et des méthodes et établir l’état actuel des connaissances scientifiques sur le changement climatique ». Ce débat, tenu à huis clos, a fait l’objet d’un rapport publié le 28 octobre 2010 2.

Les conclusions de l’Académie des Sciences

Ainsi que chacun pourra le constater en les lisant (voir encadré), les conclusions de l’Académie des Sciences ont le mérite de la concision et de la limpidité. Les médias ont salué unanimement cette clarification… Unanimement ? Non… C’est ainsi que le 13 novembre 2010 Le Monde publiait dans la rubrique Idées une analyse signée Stéphane Foucart reprenant ce qu’il défend dans la conclusion du livre intitulé Le populisme climatique 3 : « La science, le doute, et la faute de l’Académie ». Pour Stéphane Foucart, l’Académie « n’[aurait] pas rendu service à la science ».

Nous ne commenterons pas l’essentiel (en volume) de la tribune de Stéphane Foucart, qui n’est qu’une redite synthétique (analogie infamante avec le Sida incluse) de ce que l’on peut lire dans Le populisme climatique. Nous retiendrons ici qu’il reproche (à tort) à l’Académie d’avoir éludé la question des « projections climatiques pour le siècle en cours ». De façon implicite pour lui, ces projections fondent la nécessité de prise de décisions urgentes. Le leitmotiv du journaliste scientifique du Monde est donc, en reformulant avec des mots empruntés au directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace, que les climato-sceptiques, avec la complicité fautive de l’Académie des sciences, « prennent une lourde responsabilité envers l’avenir » 4. La nécessité de l’urgence semble d’une telle évidence « scientifique » pour Stéphane Foucart qu’il ne semble pas réaliser qu’il commet ainsi la faute qu’il reproche avec raison dans Le populisme climatique à nombre d’écologistes comme nombre de climato-sceptiques, à savoir la confusion des genres entre science, morale et politique. En effet, contrairement à ce qu’il infère chez son lecteur, l’acquisition de connaissances scientifiques sur le climat n’apporte rien d’autre… que de nouvelles connaissances scientifiques sur le climat. Autrement dit, jamais un travail de recherche scientifique sur le climat ne nous dira s’il faut contenir l’évolution du climat et, si oui, entre quelles limites, s’il faut réduire les émissions de CO2 et, si oui, dans quelle proportion, s’il faut mettre en oeuvre des mesures d’adaptation au changement climatique anticipé et, si oui, lesquelles, ou encore s’il ne vaudrait pas mieux se consacrer plutôt à des priorités tout autres comme l’eau potable, la malnutrition, la démographie, la santé, l’éducation, l’agriculture, le développement économique, etc.

Les conclusions de l’Académie des sciences

Un rapport de l’Académie sur ce débat, a été publié le 26 octobre 2010. Nous en reproduisons ici les conclusions.

  • Plusieurs indicateurs indépendants montrent une augmentation du réchauffement climatique de 1975 à 2003.
  • Cette augmentation est principalement due à l’augmentation de la concentration du CO2 dans l’atmosphère.
  • L’augmentation de CO2 et, à un moindre degré, des autres gaz à effet de serre, est incontestablement due à l’activité humaine.
  • Elle constitue une menace pour le climat et, de surcroît, pour les océans en raison du processus d’acidification qu’elle provoque.
  • Cette augmentation entraîne des rétroactions du système climatique global, dont la complexité implique le recours aux modèles et aux tests permettant de les valider.
  • Les mécanismes pouvant jouer un rôle dans la transmission et l’amplification du forçage solaire et, en particulier, de l’activité solaire ne sont pas encore bien compris. L’activité solaire, qui a légèrement décru en moyenne depuis 1975, ne peut être dominante dans le réchauffement observé sur cette période.
  • Des incertitudes importantes demeurent sur la modélisation des nuages, l’évolution des glaces marines et des calottes polaires, le couplage océan‐atmosphère, l’évolution de la biosphère et la dynamique du cycle du carbone.
  • Les projections de l’évolution climatique sur 30 à 50 ans sont peu affectées par les incertitudes sur la modélisation des processus à évolution lente. Ces projections sont particulièrement utiles pour répondre aux préoccupations sociétales actuelles, aggravées par l’accroissement prévisible des populations.
  • L’évolution du climat ne peut être analysée que par de longues séries de données, à grande échelle, homogènes et continues. Les grands programmes d’observations internationaux, terrestres et spatiaux, doivent être maintenus et développés, et leurs résultats mis à la libre disposition de la communauté scientifique internationale.
  • Le caractère interdisciplinaire des problèmes rencontrés impose d’impliquer davantage encore les diverses communautés scientifiques pour poursuivre les avancées déjà réalisées dans le domaine de la climatologie et pour ouvrir de nouvelles pistes aux recherches futures.

La faute climato-sceptique

Stéphane Foucart relève avec pertinence dans le populisme climatique que deux courants de pensée se rejoignent dans leur critique des positions politiques défendues sous couvert de science par la « climatologie politique » : d’une part le courant libéral et d’autre part la fraction du mouvement rationaliste « issue de la gauche progressiste et laïque, pour qui la science est essentiellement un moyen de désaliéner les hommes et d’ouvrir de nouveaux horizons aux sociétés ». Ces deux courants de pensée convergent, de par leur filiation commune avec le siècle des Lumières, sur une même récusation des courants technophobes qui veulent « en finir avec l’idéologie du progrès ». Dénonçant le discours néomalthusien de l’écologisme, discours instrumentalisant à son profit les résultats scientifiques collectés par les climatologues, certains écolo-sceptiques se montrent alors enclins à donner facilement crédit à tout argument suscitant le doute sur la climatologie scientifique. Cette mutation vers le « climato-scepticisme » n’est de toute évidence que le revers de la médaille de la même confusion des genres : pas plus que la science du climat n’implique le discours de la « climatologie politique », la récusation de cette « climatologie politique » et du néomalthusianisme écologiste ne nécessite une réfutation de la climatologie scientifique.

L’honneur de l’académie.

Dans une controverse où la confusion des genres et des ordres semble la règle et la clarté l’exception, l’honneur de l’Académie est d’avoir su résister, par le recours au huis clos, à la spectacularisation médiatique et d’avoir su résister à la tentation scientiste en restant sur le terrain strictement scientifique. Valérie Pécresse lui demandait de dire l’état de la connaissance : l’Académie a respecté son mandat en caractérisant le vrai (il y a réchauffement et les émissions de CO2 en constituent le facteur explicatif dominant), le faux (l’hypothèse selon laquelle l’activité solaire serait le facteur dominant du réchauffement constaté), et l’incertain (les nuages, l’océan, etc.) ; L’Académie, loin d’éluder la question des projections réalisées, répond aussi (conclusion n° 8) qu’elles sont suffisamment fiables pour que le débat politique ne se réfugie pas derrière les incertitudes qui subsistent.

Et maintenant ?

Ce débat à l’Académie des sciences ne doit pas rester un simple épisode d’une controverse sociétale. Comme elle avait su le faire à l’occasion d’autres controverses (biotechnologies végétales, ondes électromagnétiques, etc.), l’Académie a témoigné de sa capacité à résister aux pressions idéologiques de tous ordres. Saluons que l’autorité politique ait su confier ce mandat d’éclairage de la collectivité à une institution scientifique indépendante réunie sur les seuls critères de l’excellence, et non à quelque haut conseil hybride de science et de politique dont le postmodernisme a le secret. La climatologie scientifique comme la biotechnologie végétale, pour ne retenir que deux clivages de notre société parmi les plus médiatisés, n’ont pas à être pris en otages de controverses philosophiques, politiques, voire morales, qui leur sont, par nature, étrangères. Souhaitons que la confrontation légitime et nécessaire avec le malthusianisme et la décroissance revienne sur les terrains politique et philosophique qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Ce n’est rendre service ni à la science, ni à la nécessaire confrontation des idées politiques que de laisser prospérer la confusion des ordres dans les débats comme dans les institutions 5.

Le débat scientifique sur le climat à l’Académie des sciences

«  L’Académie des sciences a organisé le lundi 20 septembre 2010 un débat scientifique sur le climat, suite à la saisine par Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en date du 1er avril dernier, afin de « permettre la confrontation sereine des points de vue et des méthodes et [d’]établir l’état actuel des connaissances scientifiques sur le changement climatique ».

Cette journée, préparée par un comité de pilotage, s’est appuyée sur une quarantaine de textes de travail rédigés par des académiciens (membres, correspondants et associés étrangers) et par des personnalités éminentes dans le domaine du climat, à l’invitation de l’Académie. L’assemblée réunie le 20 septembre, constituant un auditoire pluridisciplinaire exigeant, a permis d’appréhender le sujet dans ses diverses composantes, car la science du climat est un domaine particulièrement complexe, de par l’interaction des différentes disciplines impliquées.

La journée a été structurée en quatre sessions successives. Chaque session, pilotée par des rapporteurs, a débuté par la présentation d’un état des lieux. Cette présentation, suivie systématiquement d’exposés et d’une discussion générale, a permis de distinguer les faits scientifiquement acquis et les incertitudes, ainsi que des questions non résolues, dans l’objectif de dégager des orientations de recherche prioritaires.

Dans les climats du passé, l’effet des variations de l’insolation liées à celles de l’orbite de la Terre est incontesté. En revanche, l’importance de l’impact des cycles de l’activité solaire reste en débat. L’émergence, depuis une vingtaine d’années, de données d’observation fiables, qu’elles soient satellitaires ou issues de grands programmes coordonnés au sol, permet d’aborder le changement climatique dans une démarche scientifiquement crédible. Les modèles, indispensables à l’interprétation des données en vue de projections pour l’avenir, ont progressé rapidement dans cette période. Concernant les gaz à effet de serre, dont le CO2 émis par les activités humaines, s’il existe un consensus sur leur impact direct, le rôle de leurs effets indirects est encore controversé. Parmi les mécanismes identifiés pour comprendre l’évolution du climat, la physicochimie des nuages est apparue comme une direction de recherche active et à renforcer. »

Communiqué de presse de l’Académie, 20 septembre 2010

1 L’imposture climatique, lecture critique de Michel Naud, SPS 291 (juillet 2010)

4 Revue Tangente, mars-avril 2010, n° 133, page 11.

5 José Bové, caractérise « l’idéologie du progrès », avec laquelle il appelle à « en finir », la face et le revers d’une même médaille « construite à la fois par les libéraux et par les marxistes ». Défaire le développement, Refaire le Monde, Collectif (Ivan Illich, Serge Latouche, José Bové, all.), L’aventurine, 2005, page 20.