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Nouveau voyage au centre de la Terre

Publié en ligne le 5 septembre 2010
Nouveau voyage au centre de la Terre

Vincent Courtillot
Odile Jacob, 2009, 350 pages, 27 €

Ces derniers mois, vous aurez certainement entendu dans vos médias audiovisuels préférés 1, Vincent Courtillot, professeur de géophysique, directeur de l’Institut de Physique du Globe de Paris et membre de l’Académie des sciences. En effet, la parution, et donc la promotion de son livre, a coïncidé avec la préparation du sommet de Copenhague, puis avec les remous autour du GIEC (le climategate) : et même s’il ne consacre qu’une soixantaine de pages à la question du réchauffement climatique, c’est sur ce sujet que les journalistes l’ont interrogé. Les débats qui ont animé, depuis, la communauté scientifique française par voie de presse, de pétition et de confrontation télévisuelle, l’ont depuis maintenu dans le feu de l’actualité climatique.

La première partie de l’ouvrage tente de répondre à la question « Qui contrôle le climat ? ». En une soixantaine de pages, donc, V. Courtillot conteste l’idée d’un réchauffement climatique global provoqué principalement par l’augmentation de la teneur atmosphérique en dioxyde de carbone d’origine anthropique, idée imposée, selon lui, par le GIEC. Face à cette thèse, Courtillot propose un rôle prédominant du Soleil, en établissant un cycle millénaire de son activité : nous sommes, comme il y a 2000 ans et comme il y a 1000 ans dans une période de recrudescence d’activité qui expliquerait l’augmentation de la température constatée depuis 150 ans. Outre l’argumentation de sa thèse, il expose un certain nombre d’aspects des méthodes et du fonctionnement du GIEC (confidentialité des données météorologiques ; degré de confiance accordé à des données rares, anciennes, obtenues par des méthodes approximatives ; la notion de consensus au sein de la communauté scientifique ; rôle des politiques dans l’adoption des rapports…). On notera que l’interprétation ou la citation par Courtillot, d’un certain nombre de travaux scientifiques ont été relevés par le climatologue Gilles Delaygue, de l’université de Grenoble 2.

Courtillot nous propose ensuite une « descente aux Enfers », le « paradis du géophysicien ». Dans cette grosse deuxième partie, fortement teintée d’histoire des sciences, il nous dresse un panorama des connaissances de l’intérieur du globe, jusqu’au noyau, dont l’activité se manifeste en particulier par les points chauds, ces remontées de matériaux profonds (670 ou 2900 kilomètres) et chauds qui, près de la surface, entrent en fusion et sont à l’origine d’un volcanisme important (le Piton de la Fournaise sur l’île de la Réunion est le témoin français de ce type de volcanisme, actuellement en activité), et par le magnétisme terrestre.

Enfin, dans la troisième partie, Vincent Courtillot met en relation « les colères de la Terre et les extinctions en masse » qui ont affecté la biosphère au cours des temps géologiques. Il faut rappeler que, dès le milieu des années 1980, Courtillot et son équipe proposaient une théorie concurrente de la théorie météoritique « américaine » (formulée par Alvarez en 1980) pour expliquer la fameuse extinction des dinosaures, il y a 65 millions d’années. Selon la théorie « française », des épanchements gigantesques de lave (appelés traps) sont associés aux périodes de crises biologiques, épanchements liés, précisément, au volcanisme de point chaud. Les extinctions de masse et la mise en place des traps à différentes époques de l’histoire de la Terre sont finement corrélées. C’est ainsi que pour la crise d’il y a 65 millions d’années, on trouve les traps du Deccan, en Inde, mis en place par l’activité du point chaud de la Réunion (à cette époque, la péninsule indienne qui n’était pas encore entrée en contact avec l’Eurasie venait de se détacher du sud de l’Afrique, migrait plein nord et se trouvait à la verticale du point chaud de l’actuelle Réunion). Ce sont les relations de cause à effet entre les phénomènes géologiques et les extinctions que Courtillot argumente, mettant en avant les perturbations climatiques provoquées par les éruptions volcaniques de grande ampleur, qui projettent de grandes quantités de dioxyde de soufre dans la stratosphère. Enfin, avec une approche plus hypothétique, l’auteur met en relation le fonctionnement magnétique du noyau et l’activité des points chauds.

Tout au long des deux dernières parties de son ouvrage, Vincent Courtillot nous expose la façon de travailler des scientifiques : les échanges, les débats contradictoires, argumentés, qui poussent à aller plus loin, le travail d’équipe. Sans doute cette description apparaît-elle idyllique ; toujours est-il qu’elle contraste avec la façon de travailler du GIEC, telle que décrite dans la première partie de l’ouvrage. Au fil de son récit, il insiste sur les modélisations utilisées par les chercheurs, leurs limites et la nécessité d’une confrontation permanente avec les données d’observation. Un certain nombre de thématiques qui entrent dans notre champ, telles que le consensus scientifique ou l’expertise, sont également abordées.

Les contestations soulevées par la première partie, portées à la connaissance du public, devront évidemment être réglées, comme le sont les thèses développées dans les deux dernières parties, dans les congrès et les publications du champ scientifique, et non sur les plateaux télé. Il n’empêche que cet ouvrage, clair et pédagogique pour l’essentiel, apporte un éclairage accessible sur les données et sur la façon dont s’élaborent les explications dans le domaine des géosciences.

Le consensus scientifique établit clairement qu’un réchauffement climatique est observé et désigne la responsabilité des activités humaines. Les rapports entre science, expertise et décision à propos du climat ont été développés dans un texte adopté par le conseil d’administration de l’Afis en 2013.
L’Afis précise un point important : la science ne dicte pas ce que la société doit faire. Cette question a été plus largement développée dans un dossier publié en juillet 2016.