Accueil / Un monde fou, fou, fou... / La conscience survit-elle au corps ?

La conscience survit-elle au corps ?

Publié en ligne le 23 avril 2010 - Cerveau et cognition -
par Brigitte Axelrad - SPS n° 290, avril 2010

Le 18 septembre 2008, BBC News annonçait qu’une étude internationale nommée AWARE (Awareness During Resuscitation), portant sur l’expérience de mort imminente (EMI), était lancée en septembre 2008, pour une durée de trois ans, par le Dr Sam Parnia, de l’Université de Southampton. Plusieurs dizaines d’hôpitaux américains et européens sont concernés, ainsi que 15 000 patients victimes d’un arrêt cardiaque avec un électroencéphalogramme plat, dont on attend que 150 à 300 d’entre eux vivent une EMI et « ressuscitent » pour raconter leur histoire.

Cette recherche devrait avoir pour but d’interpréter l’EMI et de trancher enfin entre l’hypothèse neurologique sur laquelle se fondent les sceptiques et l’hypothèse spiritualiste 1 des croyants « survivalistes ». Les sceptiques défendent une interprétation neurologique et en recherchent les causes biologiques. Les tenants de l’hypothèse survivaliste pensent que la conscience peut fonctionner indépendamment du cerveau et par conséquent survivre à la mort de celui-ci.

Dès 1975, le médecin et philosophe américain Raymond Moody (Lumières nouvelles sur la vie après la vie, 1977, J’ai lu) a rendu populaires les EMI (ou NDE Near Death Experiences) vécues par des personnes ayant frôlé la mort et qui racontent avoir parcouru une succession de stades définis, tels que la sensation de sortir de son corps, de traverser un tunnel obscur, de rencontrer des parents ou des amis décédés, et de se trouver inondées par une « lumière divine ».

David Rossoni, dans le riche blog Scepticisme Scientifique de Jean-Michel Abrassart, rappelle que les spiritualistes prétendent que n’importe qui peut vivre une EMI, alors qu’il semble que ceux qui expérimentent ce genre d’expérience ont en commun une prédisposition cérébrale particulière. Le Dr Kevin Nelson, de l’Université du Kentucky, a testé 55 sujets qui ont vécu une EMI. Or, 25 d’entre eux avaient déjà vécu une ou plusieurs expériences de paralysie du sommeil, 45 %, une « expérience de sortie du corps », dans un passage entre la veille et le sommeil (ou inversement), alors que cette proportion n’est que de 5 % dans un groupe contrôle de sujets n’ayant pas vécu d’EMI. Par ailleurs, Pim Van Lommel, cardiologue néerlandais, auteur d’une importante recherche réalisée aux Pays-Bas sur les EMI, publiée dans la revue médicale The Lancet en 2001, montre que certaines des personnes ayant fait une EMI ont une propension aux faux souvenirs. En effet, 4 des 37 sujets, qui ont été réinterrogés deux ans après leur arrêt cardiaque, se sont souvenu avoir vécu une EMI, alors qu’ils n’en avaient pas le souvenir lors de leur réveil. Les témoignages d’enlèvements par des extraterrestres sont souvent aussi rapportés par ces mêmes profils psychologiques.

Pour les spiritualistes, les EMI se produisent uniquement dans des situations extrêmes, telles que des noyades, des accidents opératoires, des arrêts cardiaques, etc. En réalité, très peu de personnes, jugées cliniquement mortes pendant quelques minutes, rapportent ce genre d’expérience, qui survient souvent dans des situations beaucoup moins dramatiques, telles qu’un accouchement ou un orgasme.

De plus, les récits des personnes ayant vécu une EMI diffèrent, selon leur culture, autant que les rêves ou les hallucinations. Par exemple, on ne retrouve pas le passage dans un tunnel ou l’arrivée dans la lumière et la béatitude dans les récits de certains pays d’Asie, ni les mêmes

figures mythologiques ou religieuses, celle de Jésus Christ, par exemple, à laquelle se substituent des « divinités du panthéon hindou pour les Indiens ». On remarque aussi que les images de tunnel et de lumière sont devenues de plus en plus fréquentes dans les pays occidentaux, après la parution du livre de Raymond Moody.

Plus important encore, on n’a jamais pu vérifier les perceptions extrasensorielles invoquées lors des phases de sortie du corps dans les cas référencés, comme celui dit de la « chaussure de Maria » en 1977 (une chaussure de tennis usée, posée sur le rebord d’une fenêtre et impossible à voir d’en bas, ni de l’intérieur de l’hôpital). La seule personne qui a rapporté ce fait, Kimberley Clark, une assistante sociale, l’a consigné dans un livre dans lequel elle raconte qu’elle avait fait elle-même une EMI, ainsi que d’autres expériences du même genre. Ce cas a été évoqué dans le numéro du Skeptical Inquirer (volume 20, numéro 4, pp. 27-33) de juillet-août 1996, sous le titre Maria’s NDE : Waiting for the Other Shoe to Drop. Maria était une patiente, qui avait subi un arrêt cardiaque et avait pu être ranimée. Elle raconta à Kimberley Clark, l’assistante sociale, qu’elle avait eu une expérience étrange de décorporation au cours de laquelle elle s’était sentie planer et avait remarqué cette chaussure de tennis impossible à voir autrement que d’en haut et de l’extérieur de l’hôpital. Kimberly Clark tout d’abord sceptique, découvrit enfin cette chaussure, telle que l’avait décrite Maria. Dans l’étude qu’il a consacrée à ce cas, « Fortunes et infortunes d’un cas célèbre de NDE : la chaussure de Maria », Denis Biette, du Laboratoire de Zététique 2 (Université de Nice-Sophia Antipolis), dénonce la hâte avec laquelle les spiritualistes se sont emparés du fait, pour confirmer leur théorie. Cependant, ni l’assistante sociale, ni personne, ne put, ou ne voulut, apporter de preuves (la chaussure, par exemple) pouvant corroborer ce fait, ce qui ne l’empêcha pas de devenir paradigmatique pour les tenants du dualisme du corps et de l’esprit.

L’étude AWARE a donc pour but de déterminer si l’esprit et la conscience peuvent continuer à fonctionner pendant la mort clinique, ou si l’esprit humain cesse de fonctionner, dès que le cœur cesse de battre. Peut-être le saurons-nous en 2011…

1 Les spiritualistes postulent que l’esprit n’est pas réductible à la matière, et qu’il existe des entités, comme l’âme, qui échappent à la description des sciences.