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La science est le défi du XXIe siècle

Publié en ligne le 3 juillet 2010
La science est le défi du XXIe siècle

Claude Allègre
Plon, 2009, 344 pages, 20,90 €

Qui ne connaît pas Claude Allègre ? La question peut paraître saugrenue tant l’homme a marqué les esprits lors de son passage tonitruant au Ministère de l’éducation nationale ou, plus encore, en publiant son best-seller Ma vérité sur la planète. Mais à y regarder de plus près, convenons que chacun en connaît surtout… la caricature. Claude Allègre, professeur émérite à l’Institut universitaire de France, à l’Université Denis Diderot et à l’Institut de physique du globe de Paris, membre de l’Académie des sciences, mais aussi de l’Académie des sciences des États-Unis, de l’Inde et de la Royal Society, est avant tout un des scientifiques les plus internationalement reconnus de notre pays. Il est également, à ce niveau, un de ceux qui est le plus engagé, en fréquence comme en intensité, dans les débats de société ; la trentaine d’ouvrages destinés au grand public qu’il a publiés en est une signature ; la rancune tenace que lui gardent ses contradicteurs en est une autre.

« Donner un coup de projecteur – fût-il éphémère et incertain – sur les ténèbres environnantes et surtout sur les attitudes à avoir vis-à-vis du progrès » (p. 14), telle est l’ambition principale de Claude Allègre avec ce livre. Pour ce faire, il balaie dans une première partie (quatre chapitres, 140 pages) les développements scientifiques et technologiques du XXe siècle marqués d’abord principalement par l’épopée de la physique, puis par la naissance de la biologie moderne et des sciences et techniques de l’information. Dans une seconde partie (sept chapitres, 150 pages), il jette un regard prospectif sur les grands chantiers scientifiques et techniques de ce début de XXIe siècle (les nanosciences, la biologie, les neurosciences) comme sur les grands défis lancés aux bientôt neuf milliards d’êtres humains, à commencer par l’énergie et la gestion de la planète (démographie, ressources naturelles, pollution, modification des systèmes écologiques). Dans la partie conclusive, enfin (deux chapitres, 35 pages), il évoque ce qu’il considère être le conflit majeur du XXIe siècle et les choix d’orientation qui s’offrent à notre société.

Le conflit majeur du XXIe siècle. « Il est probable que l’on va assister à une évolution scientifique accélérée en Asie, alors que l’Occident sera empêtré dans cette confrontation entre la science et, pour simplifier, les religions et l’écologisme flamboyant. » (p. 319). Pour Claude Allègre, donc, le conflit entre la démarche scientifique et les religions, tout comme celui, plus récent, avec les chantres de l’écologisme, et particulièrement ceux qui, majoritaires en France, appellent à en finir avec ce qu’ils appellent l’idéologie du progrès et prônent une décroissance vertueuse et pénitente, vont structurer de façon durable nos sociétés occidentales. Les sentiments antiscience et technophobes sont entretenus dans les sociétés humaines contemporaines par une réaction connue depuis longtemps comme étant particulièrement communicative : la peur. Or, Claude Allègre le disait il y a peu dans un entretien accordé à Terra Eco, son « combat numéro un » est mené contre la peur, qu’il considère être une « calamité », peur dont les écologistes et les technophobes sont, selon lui, les propagateurs dans la société : ils combattent la science en tant qu’obstacle à leur lutte contre le progrès ; « à l’inverse, chaque fois que la science met en lumière tel ou tel danger, elle est sacralisée et ses résultats négatifs popularisés » (p. 276).

« Et le changement climatique ? »
me dira-t-on, puisque tel est le terrain sur lequel beaucoup l’attendent. Claude Allègre, contrairement au costume dont on l’affuble régulièrement, ne nie pas l’existence d’un réchauffement planétaire, attesté, par exemple, par la fonte de la banquise ; il s’associe également à la remise en cause des énergies fossiles « parce que leur combustion dégage du gaz carbonique qui s’accumule dans l’atmosphère, contribue à l’effet de serre et acidifie l’océan. Ensuite parce que les réserves n’apparaissent pas illimitées » (p. 234) – on lira dans le chapitre IX comment il aborde les crises de l’énergie –, de même qu’il considère comme « inévitable » que les décisions politiques se prennent sur la base de « l’opinion scientifique majoritaire » en demandant que l’on veille cependant à ce que cette opinion ne prenne pas un statut « d’opinion officielle » (p. 338) ; par contre, risquant une analogie que d’aucuns trouveront hasardeuse, il « ne croit pas aux prédictions climatiques à coup de programmes informatiques, pas plus qu’aux prédictions économiques et financières, d’ailleurs, réalisées par les mêmes moyens virtuels » (p. 273) et surtout, on l’aura compris, il ne cesse de dénoncer ceux qui s’appuient sur la mesure d’un réchauffement planétaire pour prêcher une vision catastrophiste de l’avenir de l’humanité et culpabiliser les êtres humains dans leur aspiration à vivre mieux.

L’innovation est le moteur du progrès. « L’histoire des civilisations est d’abord le résultat des progrès de la science et de la technique. Le reste suit » (p. 8) « Il faut cesser de croire que le secret de l’essor économique réside uniquement dans la bonne gestion, en oubliant que c’est d’abord et avant tout l’innovation qui est le moteur du mouvement » (p. 9). Si le caractère urticant et, disons-le avec lui, nuisible, des mouvements antiscience et technophobes ne pouvait pas ne pas être évoqué, il convenait de ramener le projecteur sur la force motrice de la production de connaissances et d’innovations, et c’est ce à quoi Claude Allègre consacre, et, à mon sens, encore insuffisamment, la plus grande partie de son dernier chapitre.

« Le restaurant chinois est-il l’avenir de l’homme occidental ? Comme serveur bien sûr ! », demande alors, pour conclure, Claude Allègre avec son sens habituel de la provocation. C’est en faisant siens les mots de Jacques Monod qu’il y répond lui-même : « l’avenir de l’homme n’est écrit nulle part ; à lui de choisir entre le Royaume ou les Ténèbres » (p. 344).

En guise de conclusion. Ce « coup de projecteur sur les ténèbres environnantes et sur les attitudes à avoir vis-à-vis du progrès » était nécessaire, il est globalement réussi. Quant au fond, comme déjà signalé, le propos aurait encore gagné à voir développées davantage les préconisations de l’auteur en matière de stratégies de recherche, d’innovation et de développement industriel. Quant à la forme, nous nous permettrons de nous interroger sur l’efficacité d’un propos quelquefois agressif, dès qu’il s’agit d’aborder l’actualité ; certes, cette expression garantit une médiatisation avide des bons mots et fait – il faut le reconnaître – quelquefois plaisir à peu de frais, mais… elle contribue aussi à entretenir la radicalité du débat public. La méthode, c’est déjà le fond, dit-on souvent : sans faire pour autant des concessions au climat anxiogène entretenu par les écologistes et les technophobes, nous inclinons pour notre part à penser qu’un des objectifs à poursuivre de façon résolue devrait être de dépassionner le débat.